ÉLECTIONS : LA LEÇON D’ANGLAIS - France Catholique
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ÉLECTIONS : LA LEÇON D’ANGLAIS

Chronique n° 495 – F.C. – N° 2351 – 17 avril 1992

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La Chambre des Communes

La Chambre des Communes

© UK Parliament/Jessica Taylor/ Stephen Pike / CC by-nc

Quelle affliction, chers lecteurs, d’avoir découvert trop tard les vertus du scrutin proportionnel, seul capable d’exprimer nos diverses et précieuses sensibilités ! Un de mes amis, descendant méconnu des Mérovingiens, aurait pu présenter sa liste pour la restauration des Francs et être élu, puisqu’un partisan du vote nul l’a été dans notre chère vieille Bretagne. Pour ma part, j’aurais pu faire enfin connaître (à vos frais comme les autres) le Parti qui me tient à cœur : le P.A., ou Parti Anémique, du grec anemos, vent, seul capable de résorber nos trois millions de chômeurs en remplaçant toutes ces centrales polluantes par un million de moulins à vent. À raison d’un meunier et de deux mitrons par moulin, faites vos comptes. J’aurais aussi été élu, voire porté à une présidence, comme cette dame verte qui préside maintenant quelque part dans le Nord de la France grâce à un score de 6 %1. Un autre ami, anglais celui-là, et instruit de mes regrets, prétend que je n’y comprends rien. Résumé de ses réflexions : – D’abord, dit-il, où diable avez-vous pris l’idée qu’une Assemblée démocratique doit être le Musée de toutes les idées farfelues ? Je lui fis remarquer que mon idéologie anémique n’est pas plus farfelue que celle de Marx, toujours classée parmi les « forces de progrès » malgré les dégâts, et toujours honorablement représentée au sein de nos Assemblées. « Et je me demande, ajoutai-je, pourquoi les farfelus seraient interdits de parole. Nous autres Français n’excluons personne d’avance. C’est à l’ouvrage qu’on connaît l’ouvrier ». Mon ami anglais eut un rire cynique. – Je vois bien, dit-il, que vous avez oublié ces visites que nous fîmes ensemble à notre Chambre des Communes et même à notre Chambre des Lords2. Je veux être pendu (façon anglaise de parler) s’il y a au monde deux autres Assemblées où l’on puisse entendre autant de sornettes. Et inversement, citez-moi une seule sornette qui n’y ait été soutenue, examinée, discutée par nos honorables représentants. – Mon Idéologie Anémique ? – Vieille lune. Nous avons ici, depuis plusieurs années, déjà trois centrales expérimentales qui transforment le vent en électricité. Mais laissons cela et permettez-moi de vous expliquer comment, avec deux grands partis seulement, plus deux petits qui ne comptent guère, notre monarchie peut se louer d’être le système le plus démocratique, le plus stable, et le plus représentatif de la volonté générale, avec autant de nuances que l’on voudra. Votre Napoléon, beaucoup plus estimé ici que chez vous, a dit un jour qu’une bonne constitution doit être brève et obscure. La nôtre est la plus brève qui soit, puisqu’il n’y en a pas. Il n’y a qu’une coutume, mais sacrée. Légiférer une constitution à la française nous paraîtrait aussi inconvenant que de confier à nos Chambres une réforme du Five o’clock tea. En revanche nous avons des lois. La plus importante règle la représentation populaire et se résume en une formule, le scrutin uninominal à un tour : dans chaque (comme vous dites) arrondissement, tout citoyen a le droit de se présenter en faisant valoir tel argument qu’il voudra, par exemple votre Idéologie Anémique. Le peuple vote une seule fois, et celui qui a le plus de voix est élu. Élémentaire, isn’t it ?3 – Mais, dis-je, comment alors apparaissent les deux Partis ? – Tout aussi élémentaire. Les élus se réunissent en séance, discutent, marchandent même si vous tenez à employer une expression dérogatoire, pardon, désobligeante, s’entendent comme ils veulent et présentent une équipe gouvernementale. La chambre vote, accepte l’équipe ou la rejette. On finit toujours par trouver une équipe capable de contenter une majorité d’élus. Les mécontents votent contre. Et voilà formés les deux grands partis. « Les partis, chez nous, ne sont pas les porte-parole d’un plan de gouvernement. Un plan ! How ridiculous ! Comment n’avez-vous pas encore appris, depuis deux cents ans que vous votez, que les plans ne peuvent jamais être appliqués puisque les circonstances ne cessent de changer ? Un plan de gouvernement est une de ces absurdités qui ne peuvent franchir le Channel. Nous avons les nôtres, mais pas celle-là. C’est une de ces arrogantes abstractions cartésiennes qui affectent de tenir pour nuls et non avenus les desseins impénétrables de la Providence4. L’Histoire, Dieu merci, est imprévisible. Quel ennui descendrait sur le monde si tout venait à se passer comme prévu !5 – Mais l’ambition d’un homme d’État n’est-elle pas d’améliorer ce qui ne va pas ? Ne doit-il pas forcément exposer et faire accepter par ses électeurs une sorte de plan ? – C’est ce que vous croyez, vous autres Français ! Il nous semble à nous que, avec ou sans plan (que de toute façon il ne réalisera jamais), l’homme d’État doit d’abord se faire accepter lui-même. Je cherche en vain dans l’histoire un homme dont on puisse dire qu’il a un plan préalablement exposé. Les plus habiles n’ont jamais réussi qu’à se faire porter par l’inévitable. Un homme d’État qui explique ses échecs par la dureté des circonstances signe par là-même l’aveu de sa nullité. – Diable, et pourquoi donc ? – Parce que la politique est l’art de chevaucher les circonstances et d’en tenir les rênes. Quand on est désarçonné (suivez mon regard) il ne faut pas s’en prendre au cheval6. – Soit, mais comment les élus réduits à deux partis peuvent-ils exprimer toutes les nuances de l’opinion ? – Parce qu’ils ne sont pas choisis par les états-majors mais élus, rappelez-vous, directement par les électeurs, en un seul vote, ce qui ouvre la voie à toutes les fantaisies. Le candidat est personnellement connu de son électorat. Tel sera choisi pour ses bonnes manières, tel autre parce qu’il aime les roses. N’êtes-vous pas frappé par le charme amateur de tous nos hommes politiques ? Ici, même les plus rusés coquins doivent apprendre à parler modestement en bégayant un peu, comme tout le monde. Mais ils ont beau faire, ils sont vite repérés, pris en grippe et renvoyés à leurs études. Vos orateurs de prétoires n’ont aucune chance chez nous. À moins de se rendre supportables par beaucoup d’humour, comme Churchill. Mme Thatcher n’a tenu si longtemps que parce qu’elle cachait ses talents politiciens derrière son personnage d’Anglaise un peu bornée, moyenne en tout et entêtée comme une mule. Les Anglais connaissent bien ce genre de personnage qui enrichit le folklore des familles et inspire traditionnellement les romans populaires. Vous seriez surpris de l’Assemblée de Français moyens que vous concocterait notre mode de scrutin. Et d’abord il vous débarrasserait de ceux que vous appelez vos « éléphants », ces éternels premiers rôles qui, quoi que vous fassiez, sont toujours réélus, toujours nommés à la tête de vos partis, et toujours occupés à trahir leurs bons amis pour occuper les meilleures places en bernant tout le monde, et d’abord l’électorat7. – Je ne peux croire qu’un mode de scrutin suffirait à nous débarrasser de ces personnages. – Il n’y suffit pas. Il faut aussi le droit de dissoudre l’Assemblée, qui revient au Premier ministre. Dès que le Premier ministre se croit plus populaire dans l’électorat que dans l’Assemblée, il dissout celle-ci et, s’il ne s’est pas trompé, il retrouve une Assemblée plus disposée à le suivre. S’il s’est trompé, le voilà balayé par l’opposition.)8 – Beaucoup de Français ont pourtant été surpris qu’un petit collège de votre Parti Conservateur ait pu, sans mandat spécial, se débarrasser de Mme Thatcher en une nuit de discussion. Le peuple n’a pas été consulté pour ce changement, le plus important de ces dix dernières années. Si ce n’est pas le régime des Éléphants, qu’est-ce que c’est donc ? – Vous oubliez toujours le mode de scrutin. Le peuple élit directement ses représentants, qui sont obligés pour gouverner de former une majorité, donc une minorité. À l’approche d’un scrutin la majorité examine ses chances d’être reconduite comme majorité. Si elle estime que son leader la conduit à la défaite, elle en change. C’est ce qui est arrivé à Mme Thatcher. La majorité l’a destituée en espérant être approuvée par le corps électoral, premier et dernier juge9. « Ce n’est pas votre système, mais il fonctionnait déjà du temps de votre Ancien Régime et n’a produit aucune révolution. Nous nous flattons d’être aussi sanguinaires que quiconque, remember Cromwell et ses « têtes rondes »10. Le jour où les Anglais deviendront fous, tout se passera dans la plus grande courtoisie : les fous se trouveront au pouvoir sans une goutte de sang avant même d’avoir voté. Il ne leur restera plus qu’à confirmer leur folie aux prochaines élections. Ce que nous appelons « démocratie » depuis les têtes rondes de Cromwell repose sur un postulat : les fous, quoiqu’aussi nombreux chez nous qu’ailleurs (Dieu soit loué) n’y sont jamais majoritaires. Ou du moins, pas longtemps. « Il était une fois, disait Churchill, un Anglais tellement extravagant que même ses compatriotes s’en étaient aperçus ». Rule Britannia ! Aimé MICHEL Chronique n° 495 – F.C. – N° 2351 – 17 avril 1992 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 5 octobre 2020

 

  1. Le 31 mars 1992, Marie-Christine Blandin, professeur de sciences naturelles, militante écologiste presque inconnue, est élue présidente du conseil de la région Nord-Pas-de-Calais. Après douze heures de négociations nocturnes, ses 6,8 % de voix ont fait pencher la balance et obtenu le désistement du parti socialiste en faveur des Verts. C’est la première femme et le premier écologiste à accéder à un tel poste. En 2001, Mme Blandin a été élue sénatrice du Nord : c’est le premier écologiste à siéger à la Haute Assemblée.
  2. Je déduis de ces quelques indications que l’ami anglais d’Aimé Michel n’est autre que le diplomate, sinologue et ufologue Gordon Creighton. La notice nécrologique que le Times de Londres publia le 16 août 2003 nous apprend qu’il est né le 26 avril 1908 et qu’il étudia à l’université de Cambridge puis à l’École Libre des Sciences Politiques à Paris (Sciences Po, aujourd’hui Institut d’Études Politiques de Paris). Amoureux des langues, il en étudia une vingtaine dont le russe, le chinois et le sanskrit. Il commença sa carrière diplomatique en Chine, d’abord comme attaché d’ambassade à Pékin, puis comme consul à Nankin et Shanghai. Il a été également en poste à Recife au Brésil, à Anvers et à la Nouvelle Orléans. Il fut pendant huit ans officier de renseignement au Ministère de la Défense britannique sur les affaires russes et chinoises. Outre les langues, G. Creighton se passionna pour le problème des ovnis, en raison d’une observation qu’il fit en Chine en 1941 (voir note 8 de n° 446 ; il y fait allusion dans une interview non datée : https://www.youtube.com/watch?v=UIbZiT5QvZI). Il ne s’en cachait pas et fut un collaborateur régulier de la Flying Saucer Review que son ami Charles Bowen dirigea 1964 à 1982, avant qu’il ne prenne sa suite (mais avec moins de prudence et de succès). Durant cette période, G. Creighton traduisait en anglais les textes qu’A. Michel envoyait régulièrement à la FSR de 1963 à 1976. C’est dans ce cadre que les deux hommes firent connaissance. Puis ils se rencontrèrent pour la première fois à l’occasion d’un voyage d’A. Michel en Angleterre en mai 1966, où il fut accueilli par C. Bowen. Il fut sans doute question de bien d’autres choses que des ovnis au cours de cet entretien car A. Michel lui en proposa un second quelques années plus tard, dans un cadre professionnel cette fois. Dans une lettre datée du 5 juin 1970, Pierre Schaeffer, chef du Service de la Recherche de l’Office de la Radio-Télévision Française, écrivit à Gordon Creighton : « Mon collaborateur Monsieur Aimé Michel m’a fait part de l’accord que vous avez bien voulu lui donner sur le principe d’une émission de télévision. Je suis heureux de vous confirmer notre désir de réaliser cette production qui s’inscrit dans le cadre de notre magazine “Un Certain Regard” et qui est destiné à faire connaître au public de langue française votre vie, votre œuvre et de recueillir votre témoignage sur les grands problèmes de notre temps, mais je laisse à Aimé Michel le soin de définir avec vous les thèmes de cet entretien. » Schaeffer lui propose de « réaliser cet entretien en trois ou quatre jours » dans la seconde quinzaine du mois d’août 1970 « étant entendu que l’auteur accompagné du réalisateur et de notre équipe technique se rendra en Angleterre ou ailleurs si vous le désirez ». Cette émission a été réalisée et, je présume, diffusée car elle est conservée à l’INA (mais elle n’est pas disponible gratuitement et je n’ai pu la visionner). Je ne sais si les deux hommes ont eu l’occasion de se revoir par la suite. Gordon Creighton est mort le 16 juillet 2003.
  3. En matière de mode de scrutin législatif, le contraste est grand entre le Royaume-Uni et la France. Alors que nous avons changé une dizaine de fois de mode de scrutin depuis 1871, le scrutin en usage chez nos voisins est demeuré le même depuis le XVIIIe siècle ! Le scrutin uninominal à un tour britannique amplifie les résultats du parti arrivé en tête, réduit ceux du second et lamine les autres, ce qui favorise un système bipartisan lequel oppose depuis le XVIIIe siècle les tories (conservateurs) aux whigs (libéraux réformateurs, devenus aujourd’hui le petit parti Démocrate libéral) et, depuis le début du XXe siècle, le parti conservateur au parti travailliste. Dans le scrutin uninominal à deux tours des législatives françaises actuelles, seuls les candidats ayant obtenu un certain nombre de voix ou pourcentage d’inscrits au premier tour peuvent accéder au second, ce qui encourage les alliances, élimine les partis sans alliance et favorise la stabilité politique. À côté de ces scrutins majoritaires sont utilisés des scrutins proportionnels, où on vote moins pour un homme que pour un parti ou un programme, qui ont l’inconvénient de multiplier les partis, de donner une importance disproportionnée à de petits partis et de conduire à l’instabilité politique, et des scrutins mixtes (comme dans les élections municipales des communes françaises de plus de mille habitants) qui tentent de combiner les avantages des deux autres. Quel que soit l’intérêt de ces aspects techniques de la vie démocratique, il est plus intéressant encore de s’interroger sur les circonstances de l’émergence et du maintien de la démocratie elle-même. La démocratie représentative moderne fondée sur le pluralisme des partis et le suffrage universel est née en Angleterre, aux États-Unis et en France. Pourquoi dans ces trois nations-là et pas ailleurs (à l’exception de la Suisse, voir note 2 de n° 382 et n° 407) ? L’historien et anthropologue Emmanuel Todd, en se fondant sur l’histoire longue, fournit des éléments de réponse à cette question, éléments qu’il expose notamment dans deux livres, Après la démocratie (Folio actuel n° 144, Gallimard, Paris, 2008, dont j’extrais la plupart des citations qui suivent) et Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine (Seuil, Paris, 2017, dont j’ai déjà parlé en note 1 de n° 486). E. Todd discerne trois facteurs principaux ayant joué un rôle dans l’accès précoce (ou tardif) à la démocratie : l’alphabétisation de masse, la liberté de l’individu au sein de la famille et la présence d’un groupe adverse. Voyons cela. L’alphabétisation joue un rôle essentiel dans l’émergence de la démocratie. Elle commence dans les pays protestants, notamment l’Allemagne luthérienne, l’objectif étant de permettre au peuple de lire la Bible (mais d’autres causes ont pu jouer comme la naissance du capitalisme en Italie du Nord, voir note 11 de n° 465). En France, vers 1690, 29% des jeunes hommes et 14% des jeunes femmes sont alphabétisés si on en juge par les signatures au mariage. Un siècle plus tard, ce sont 47% des hommes et 27% des femmes, puis vers 1880, 86% et 74%, et enfin 96 % pour les deux sexes d’après le recensement de 1911. Selon E. Todd les décisions gouvernementales (telles que la loi de 1833 qui instaure une école primaire par commune, celle de 1882 qui rend l’instruction obligatoire ou celle de 1959 qui prolonge la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans) ont accompagné un mouvement plus profond qui lui est antérieur : « il suffit que l’État mette un minimum de moyens à la disposition des familles, écrit-il, pour que le rythme de progression se précipite. Ce que nous voyons en œuvre est, fondamentalement, une tendance autonome de l’esprit humain. » Le second facteur, moins connu, est la nature des familles paysannes traditionnelles. En Angleterre, dès le XVIIIe siècle, le mariage signifie la formation d’un nouveau ménage indépendant qui hérite de manière inégalitaire de leurs parents selon le bon vouloir de ceux-ci, alors qu’en Allemagne du Nord, par exemple, le fils aîné hérite du bien familial et continue de vivre avec ses parents et sous leur autorité : s’opposent ainsi la famille nucléaire à tendance individualiste et la famille souche à tendance autoritaire. À la même époque, les familles françaises du Bassin parisien sont nucléaires comme en Angleterre mais pratiquent une règle d’héritage « frénétiquement égalitaire » dont tous les enfants bénéficient, qu’ils soient garçon ou fille. On peut ainsi comprendre « la préférence anglaise pour la liberté, la passion française de la liberté et de l’égalité ». On comprend aussi que l’Allemagne, en dépit de son avance sur le plan culturel, n’a guère contribué à l’émergence de la démocratie, que l’Angleterre a introduit la représentation parlementaire et l’alternance mais a résisté à l’idée d’égalité, et qu’il est revenu à la France, malgré son retard en termes d’alphabétisation, de promouvoir l’égalité des citoyens (1789) et le suffrage universel direct (1848), du moins pour les hommes. Le troisième facteur identifié par E. Todd est plus surprenant : la présence d’un groupe paria qui simule l’égalité entre les membres du groupe dominant et peut suppléer à l’absence d’égalité entre frères. De même qu’à Athènes au Ve siècle les citoyens dominaient les esclaves et les étrangers (métèques), dans l’Empire britannique, les Anglais se concevaient comme le groupe dominant. Aux États-Unis, ce furent les Noirs qui jouèrent le rôle de paria : le racisme est ainsi le fondement de la démocratie américaine où « il est un principe simultanément d’exclusion et d’intégration ». La France, par contraste, « avec sa démocratie universaliste (…) ne se définit pas contre un autre ; étranger ou inférieur » mais par l’exclusion d’un homme différent, supérieur : le noble. La France a « toujours préféré, en définitive, l’affrontement de classes à l’affrontement ethnique ou racial » car « si l’on croit les hommes égaux, il parait plus raisonnable de s’attaquer aux privilèges économiques et sociaux que de désigner un bouc émissaire, de cibler le supérieur national plutôt que l’inférieur étranger ». L’analyse s’étend bien entendu à d’autres pays comme le Japon (à famille souche très inégalitaire, comme l’Allemagne), la Russie (l’éclatement de la famille souche, qui associe trois générations et plusieurs frères mariés et étouffe l’individu, provoque la chute de la monarchie et l’essor d’un totalitarisme qui substitue sa persécution à celle de la famille), la Chine (à famille souche moins égalitaire mais plus autoritaire que la famille russe), le monde musulman (à famille communautaire favorisant le mariage entre cousins germains), etc. On peut ainsi comprendre la résistance de certains pays à la vague démocratique (voir note 1 de n° 491) et au-delà se demander si la marche universelle vers la démocratie est inéluctable. Même si c’est le cas, des points de départ différents continueront de peser sur les évolutions à venir. « Le rêve français de l’homme universel va (…) sans cesse se heurter (…) à des systèmes anthropologiques différents, à des attitudes, qui, selon son concept, ne devraient pas exister ». Dans leur subconscient les Allemands et les Japonais continueront de penser que « les enfants sont inégaux, les hommes sont inégaux, les peuples sont inégaux, et (qu’) il n’existe pas d’homme universel », et les Anglo-américains qu’il existe une ligne (variable) qui sépare l’homme universel de l’homme non-universel rendant possible l’intégration de l’immigré « seulement s’il existe quelque part, proche, un Autre qui sert de repoussoir et permet toutes les assimilations sauf une ». Sans même énumérer les nuances qu’apporteront à ces schémas les multiples peuples de la Terre.
  4. En évoquant les « desseins impénétrables de la Providence » Gordon Creighton s’exprime comme Aimé Michel ! Ce dernier a souvent attiré l’attention sur cette notion, si désuète qu’elle est presque complètement oubliée, et a tenu à la faire figurer dans le titre de trois de ses chroniques : Les voies de la Providence (n° 316, novembre 1978), La Providence et les microscopes (n° 332, mars 1981) et Une idée nouvelle : la Providence (n° 419, juin 1986) et à en parler dans de nombreuses autres. Le mot est chargé d’une longue histoire. Il est né chez les stoïciens de la Grèce antique où il était associé à l’idée de nécessité dans un univers régi par la loi divine. Dans la Bible hébraïque au contraire elle est associée à la liberté souveraine de Dieu. Puis païens, juifs et chrétiens se sont efforcés de « rassembler pour les concilier, gratuité et nécessité, liberté et loi, puissance et sagesse, transcendance et immanence, causalité créatrice et médiation de salut » (Henry Duméry, article Providence de l’Encyclopaedia universalis), non sans querelles théologiques. Dans le monde contemporain, où l’on croit à la mort de Dieu, ces querelles paraissent surannées, alors que les notions de nécessité, de hasard et de liberté, sur lesquelles elles reposent, continuent d’agiter scientifiques et philosophes (voir notes 8 de n° 484, 2 de n° 489 et 11 de n° 493). Face au « vide métaphysique » (l’expression est d’E. Todd) qui étreint les cœurs, le Catéchisme de l’Église catholique continue d’affirmer tranquillement : « La création a sa bonté et sa perfection propres, mais elle n’est pas sortie tout achevée des mains du Créateur. Elle est créée dans un état de cheminement (“in statu viæ”) vers une perfection ultime encore à atteindre, à laquelle Dieu l’a destinée. Nous appelons divine providence les dispositions par lesquelles Dieu conduit sa création vers cette perfection » (article 302).
  5. L’imprévisibilité de l’Histoire est un leitmotiv de la pensée michélienne dont j’ai fait une courte recension dans la note 8 de n° 459. La principale raison de cette imprévisibilité est que le hasard joue un grand rôle dans les évènements qui se produisent. Le médecin, physiologiste et épistémologue Pierre Vendryès (1908-1989) en donne des exemples frappants et bien analysés dans un livre oublié, De la probabilité en histoire. L’exemple de l’expédition d’Égypte (Albin Michel, Paris, 1952), qui précède d’un quart de siècle les réflexions des physiciens sur la contrafactualité (voir chroniques n° 446 et 458). Le 19 mai 1798, une escadre formée d’une soixantaine de navires dont 13 grands vaisseaux de ligne, six frégates, neuf bâtiments de transport armés de canons et une trentaine de bâtiments légers, appareille de Toulon. À son bord, 49 000 hommes sous les ordres d’un général en chef qui n’a pas encore vingt-neuf ans, Bonaparte. Mission : coloniser l’Égypte, alors possession de l’Empire turc, contrôler la route des Indes et chasser les Anglais d’Orient. Le contre-amiral anglais Nelson, qui vient de perdre un œil et un bras dans des combats, chargé de surveiller les préparatifs des Français, essuie une tempête dans la nuit du 20 mai qui démâte son navire et l’oblige à faire escale pour réparer. Le 31, à son retour devant Toulon, il constate que la flotte française est partie pour une destination inconnue. La chasse alors commence. Le 22 juin, Nelson, au sud de la Sicile, apprend que les Français qui viennent d’occuper Malte et d’en repartir huit jours après ont pris la direction de l’Orient mais il ignore l’objectif de leur expédition qui pourrait être Constantinople, la Crète ou Alexandrie. P. Vendryès reconstitue le raisonnement de Nelson. En supposant que le convoi français parcourt 150 km par jour (en réalité sa vitesse moyenne fut moindre, 135 km/jour, soit moins de 6 km/h), Nelson pense pouvoir rattraper Bonaparte dans la journée du 25 à raison de 235 km par jour. À cette date, il prévoit que Bonaparte se trouvera quelque part sur l’arc de cercle qui joint le Péloponnèse au nord à la ligne droite Malte-Alexandrie au sud, soit une courbe de 350 km de long. Comme il peut explorer à vue une trentaine de km, à babord et à tribord, il a une chance sur six (60/350) de surprendre Bonaparte. En fait, il a l’intuition que les Français vont en Égypte, donc qu’ils vont passer au sud de la Crète, ce qui réduit de moitié la zone des possibles et ses chances montent même à une sur deux si le convoi français est étalé en largeur et si sa propre escadre de treize navires s’étale de même. Le clair de lune (elle est pleine le 28) favorise ses recherches de nuit. Nelson a donc autant de chance de découvrir Bonaparte que Bonaparte de lui échapper. En réalité, voici comment les choses se sont passées. L’impétueux Nelson suit la ligne directe Malte-Alexandrie tandis que Bonaparte longe la côte méridionale de la Crête. Les deux escadres se croisent sans se voir. Les Français sont retardés de 24 heures par un orage qui disperse leur convoi, si bien que Nelson arrive le premier sur les côtes égyptiennes, le 28 juin, et ne trouvant personne poursuit sa recherche vers le nord sans attendre. La première frégate française, envoyée en éclaireur, arrive devant Alexandrie le 29 à midi, suivi de Bonaparte le 1er juillet. Le consul de France leur apprend que Nelson vient de passer soixante heures auparavant et que l’Égypte avertie de l’arrivée des Français se soulève… À quelques heures près, l’Histoire suivait un autre cours. Napoléon dans ses Mémoires affiche un optimisme sur l’issue de la bataille navale si elle avait eu lieu qui n’était guère partagé par le vice-amiral Brueys car ses vaisseaux étaient en mauvais état et leurs équipages inexpérimentés et incomplets (la marine avait été désorganisée par la Révolution). Clairement, la traversée n’avait qu’une très faible probabilité de réussir. « Que cette chance était faible !, écrit l’historien Jacques Bainville. Peut-être n’y en avait-il pas une sur cent pour que le corps expéditionnaire arrivât seulement au but. C’était la Méditerranée tout entière qu’il fallait traverser par surprise. Cela se fit par un hasard prodigieux, presque inconcevable ». L’Égypte fut le grand rêve de Bonaparte et il y passa les années les plus heureuses de sa vie. Il voulait s’emparer pour la France du pouvoir civil en Égypte, ouvrir ce pays à la vie moderne, y faire œuvre civilisatrice, et aussi s’en servir pour dominer le Moyen-Orient, marcher sur l’Euphrate et l’Indus. Il déclara plus tard « L’Europe est une taupinière ; il n’y a de grands empires et de grandes révolutions qu’en Orient où vivent 600 millions d’hommes ». Bonaparte a donc joué son avenir sur un coup de dé. C’est surprenant chez un homme alors au faîte de ses capacités, servi par des dons hors du commun, une ambition immense et une confiance en soi exceptionnelle, qui en de multiples circonstances dut ses succès à son aptitude à prévoir toutes les éventualités. De fait, il n’avait rien laissé au hasard pour préparer les navires, l’armement, les hommes, enquêter sur les lieux de débarquement, les possibilités de pénétration dans le pays, prévoir les réactions des Mameluks et des Turcs, etc. Mais pour la traversée, il ne pouvait que s’abandonner à la Fortune. Ce « grand découvreur d’hommes » (Chateaubriand) emmenait avec lui 165 membres de la Commission des sciences et des arts. C’était la première fois qu’une mission scientifique accompagnait une expédition militaire. Elle réalisa une extraordinaire Description de l’Égypte en 23 volumes, fondatrice de l’égyptologie. Parmi ces scientifiques, outre Monge (52 ans) et Berthollet (50 ans), trois jeunes gens : Fourier (30 ans), Geoffroy Saint-Hilaire (26 ans) et Malus (23 ans) qui ne feront leurs grandes découvertes qu’une dizaine d’années plus tard : théorie de la chaleur et décomposition de Fourier, lois de l’anatomie comparée de Geoffroy Saint-Hilaire, polarisation de la lumière et double réfraction de Malus. Remarquons au passage que s’ils avaient trouvé la mort lors de la traversée, on ne peut guère douter que leurs découvertes auraient été faites par d’autres, peut-être même peu de temps après, comme le confirme la fréquence des découvertes simultanées : pour les évènements qui se répètent, les probabilités se muent en statistiques. « Sur le pont de l’Orient, [Bonaparte] lisait, méditait, conversait avec Monge, Berthollet, Brueys, Caffarelli ». Son ami Bourienne raconte que « “les entretiens roulaient le plus habituellement sur la chimie, sur les mathématiques et la religion”. Après le dîner, on se réunissait. Bonaparte “donnait toujours lui-même le texte de la discussion ; il la faisait rouler le plus souvent sur des questions de religion, sur les différentes espèces de gouvernement, sur la stratégie. Un jour il demandait si les planètes étaient habitées ; un autre jour, quel était l’âge du monde”. » En dépit des ambitions personnelles, des querelles nationalistes, de l’ambiguïté du colonialisme, l’expédition d’Égypte est une épopée qui conjugue enthousiasme juvénile, esprit d’aventure, découverte du monde, émancipation des peuples opprimés, grands idéaux, passé prestigieux, visions d’avenir… Elle résume en elle toutes les contradictions, grandeurs et petitesses, des œuvres humaines. Elle a fait rêver ses contemporains, pour le meilleur et pour le pire. Elle nous fait encore rêver, pour le meilleur, espérons-le. On connait la suite de l’aventure. Le débarquement se fait, non sans difficulté, et Alexandrie est prise avec facilité. Mais le 1er août, Nelson est de retour porté par une brise favorable. Il attaque immédiatement la flotte française au mouillage dans la baie d’Aboukir. C’est un désastre pour les Français mais il aurait pu être évité car même si les circonstances ne lui ont pas été favorables, le vice-amiral Brueys porte une grande part de responsabilité. Malgré la perte de sa flotte, Bonaparte s’installe au Caire et commence à administrer le pays. En 1799, la conquête de l’Égypte s’achève par l’occupation d’Assouan en février, puis de Kosséir sur la mer Rouge en mai, suivie peu après de la pacification des Mameluks… Kléber poursuit efficacement l’œuvre de colonisation après le départ de Bonaparte pour la France en août (où il parvint en septembre en échappant aux Anglais presque par miracle), mais sans la vision et l’enthousiasme de ce dernier. Assassiné en juin 1800, Kléber est remplacé par Menou qui, en dépit de sa conversion à l’Islam, croit moins encore à l’intérêt de l’Égypte et finalement capitule devant les pressions anglaises. En octobre 1801, l’Égypte est restituée à l’Empire ottoman. Pourtant, il s’en est fallu de peu que l’Histoire prenne un autre cours. Le 26 avril 1799, l’escadre de l’Atlantique sous les ordres de l’amiral Bruix quitte Brest avec 24 vaisseaux et 7 frégates à la faveur du brouillard. Le 4 mai, Bruix surprend les 16 vaisseaux de l’escadre anglaise de Keith qui bloque la rade de Cadix. Elle est à sa merci mais une tempête se lève qui l’empêche de manœuvrer. Il doit renoncer à une victoire qui le rendait pratiquement maitre de la Méditerranée. Vendryès, se fondant sur les statistiques météo des dix premiers jours de mai sur vingt ans, calcule que sur ces 200 jours seuls 24 ont eu des vents supérieurs à 12 mètres par seconde. Il n’y avait qu’une chance sur dix pour que Bruix soit arrêté par une tempête. Parvenu en Méditerranée, des avaries surviennent ; par malchance et pusillanimité, Bruix préfère rejoindre Toulon. « Si Bruix avait eu la témérité, souvent irraisonnée, d’un Nelson ou d’un Suffren, remarque Vendryès, il changeait le cours de l’histoire. Mais sa mission en resta à l’état virtuel ». En Égypte, un administrateur moins hésitant et démoralisé que Menou aurait pu tenir le pays. Bonaparte, devenu Premier Consul après son retour, fidèle à son rêve, a tout fait, au milieu de mille autres préoccupations pressantes, pour envoyer de l’aide à son armée d’Égypte soit par navires isolés (certains y parvinrent), soit en tentant plusieurs grandes opérations. Par exemple, le 23 janvier 1801, profitant d’une tempête, le contre-amiral Ganteaume sort de Brest avec sept vaisseaux et deux frégates emportant 4000 hommes. Il passe le détroit de Gibraltar sans encombre car les Anglais le cherchent dans l’Atlantique. Mais il capture une frégate anglaise dont les prisonniers lui disent que Keith est en train de débarquer en Égypte. Alors lui aussi perdant courage rejoint Toulon. Nouvel échec. « Les historiens, qui ont acquis le culte des faits, rapportent ceux qui se sont effectivement réalisés, note Vendryès ; mais ils ne rêvent guère à ceux qui sont restés dans le possible ». Que se serait-il passé, se demande-t-il, si l’expédition avait pu être secourue et si l’Égypte était restée française ? Peut-être Bonaparte n’aurait-il pas été pris dans le cycle infernal d’une lutte folle contre une Angleterre qui dressait l’Europe contre la France et aurait-il mis son génie au service de la paix ? À moins qu’il ne soit allé disputer les Indes aux Anglais, ouvrant un avenir possible pire que l’avenir réel ? (Voir à ce propos les craintes de Gordon Creighton en n° 446 et les réflexions parallèles d’A. Michel à propos de Jeanne d’Arc dans la note 7 de n° 386). Que conclure des exemples étudiés par P. Vendryès ? En premier lieu que « les évènements historiques ne sont ni parfaitement aléatoires ni parfaitement déterminés. Mixtes, ils sont conditionnés » (p. 299), car les relations entre systèmes sont déterminées ou probabilistes selon qu’ils sont dépendants ou indépendants, avec tous les intermédiaires possibles à proportion de leur degré de corrélation. À cette part aléatoire objective s’ajoute une part subjective en raison de l’ignorances des historiens, car « beaucoup d’actions n’ont pas été consignées par écrit, et beaucoup de textes ont été détruits », sans compter les mensonges et les dissimulations, si bien que « des évènements, même décisifs, sont à jamais ignorés », à commencer par les pensées des hommes. Pour répondre à cet aléa, un homme d’action, Bonaparte par exemple, s’efforce de prévoir ce que vont faire ses adversaires et leur oppose des actions contraléatoires qui mettent en jeu les moyens d’action qu’il a accumulés au préalable. Aussi Vendryès insiste-t-il sur l’autonomie (physiologique et mentale) de l’homme, c’est-à-dire sa liberté. En second lieu, le degré d’incertitude dépend de l’échelle d’observation : « Selon qu’elle sera regardée plus ou moins dans le grand ou dans le petit, l’histoire apparaîtra plus ou moins rationnelle ou probabiliste. Entre l’individu et l’humanité, il y a la même différence d’ordre qu’entre la molécule et le gaz. Plus on s’élève vers l’ordre supérieur, plus les permanences statistiques noient les écarts des actions individuelles. (…) En prenant de la hauteur, l’histoire passe de l’aléatoire des vies individuelles aux permanences des statistiques, puis aux rigueurs de la rationalité, et finalement aux servitudes du fatalisme. À quel niveau a-t-elle plus de vérité ? » (p. 346 ; Vendryès utilise ici les mots « rationnel » et « rationalité » au lieu de « déterminé » et « déterminisme », à tort car la probabilité n’est pas moins rationnelle que le déterminé). On retrouve dans l’histoire humaine une idée débattue dans l’histoire évolutive des êtres vivants (voir note 5 de n° 245). Cet enveloppement des libertés individuelles et des hasards par une détermination plus haute pourrait être une des formes de la providence.
  6. Napoléon Bonaparte n’aurait sans doute pas désapprouvé ces propos !
  7. À rapprocher du « mythe du mâle avantageux » qui, selon A. Michel, serait « au fondement indéracinable de la société française » (n° 238, De Brennus à Françoise Giroux).
  8. Dans la constitution de la Ve République, le Président a le droit de dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui peut être opportun pour résoudre une crise en cours ou dont on prévoit la venue. Il est tenu de consulter le Premier ministre et les présidents des deux assemblées mais pas de suivre leurs avis. La dernière dissolution en date, celle d’avril 1997, est décidée par Jacques Chirac qui souhaite mettre en œuvre une politique d’austérité pour réduire le déficit mais pense qu’elle lui fera perdre les législatives de 1998. On l’a qualifiée de dissolution « à l’anglaise » car elle s’apparente à celle qui se pratique au Royaume-Uni où le Premier ministre choisit le meilleur moment pour obtenir la majorité qu’il souhaite. C’est un échec car elle donne la majorité à la gauche, mais contrairement au Premier ministre britannique, Chirac ne démissionne pas, ce qui l’oblige à une nouvelle cohabitation, avec Lionel Jospin comme Premier ministre. Les quatre autres dissolutions de la Ve République avaient été des succès. En 1962, le général de Gaulle entend faire élire le président au suffrage universel mais les députés, y compris dans sa majorité, s’y opposent et renversent le gouvernement Pompidou par une motion de censure au début d’octobre. De Gaulle réplique en dissolvant l’Assemblée et l’emporte lors du référendum du 28 octobre et des élections législatives des 18 et 25 novembre. La seconde dissolution décidée par de Gaulle le 30 mai 1968 met fin à la crise de mai et les élections de juin donnent la majorité absolue à la droite. Celle de 1981 décidée par F. Mitterrand après les élections présidentielles lui donne la majorité dont il a besoin pour gouverner. En revanche, celle de 1988 n’est qu’un demi-succès car elle ne donne pas la majorité absolue au parti socialiste.
  9. Margaret Thatcher, à la tête du parti conservateur depuis mai 1975 devient Première ministre en mai 1979. Non seulement elle est la première femme à exercer cette fonction mais aussi la personnalité restée le plus longtemps à ce poste, du moins d’un seul tenant. Sa fermeté dans la guerre des Malouines en 1982 contribue à sa longévité (sur cette guerre, voir les commentaires d’A. Michel en n° 364 et n° 382). L’instauration d’un nouvel impôt local très impopulaire et ses réserves à l’égard de la Communauté européenne conduisent les députés conservateurs à la mettre en ballottage en novembre 1990, lors de la réélection annuelle du chef du parti conservateur. Après onze ans passés au 10 Downing Street, elle démissionne de ses fonctions à la fois de chef du parti et de Première ministre. John Major lui succède à la tête du parti et du gouvernement. En juin 1992, elle devient baronne à vie et siège à la chambre des lords. Elle meurt en avril 2013 à 87 ans.
  10. Les Anglais se sont effectivement montrés aussi sanguinaires que quiconque : le comte de Strafford fut décapité à la hache en mai 1641 devant 200 000 personnes et le roi Charles 1er de même en janvier 1649. Olivier Cromwell, premier régicide de l’Europe moderne, s’est fait remarquer par sa violence et sa cruauté lors de la guerre civile (1642-1649). Ayant proclamé la république, ce calviniste puritain, farouche antipapiste, réprime l’Irlande catholique et l’Écosse presbytérienne en révolte contre l’Angleterre. De 1649 à 1653, en Irlande, son armée assiège plusieurs villes, les met à sac et y massacre hommes, femmes et enfants. La population de l’île (un million et demi d’habitants à son arrivée) est réduite d’au moins 20 % et peut-être de 40 % par la guerre et ses suites (famine, peste), déportée, discriminée (interdiction aux catholiques de pratiquer leur religion et d’exercer des fonctions publiques) et durablement dominée par les colons protestants. Partout, les catholiques sont réprimés. Après sa mort en 1658, le gouverneur d’Écosse fomente une rébellion et rétablit la monarchie. Charles II fait exhumer le corps de Cromwell à l’abbaye de Westminster, son corps décapité est jeté dans un puits et sa tête exposée sur un pieu devant l’abbaye jusqu’en 1685. Pour un point de vue complémentaire sur la cruauté en Angleterre, celle envers les animaux et sa dénonciation, voir la note 2 de n° 406.