LE SACRE DE LA FRANCE - France Catholique
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LE SACRE DE LA FRANCE

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J’étais l’autre soir devant mon feu, écoutant France-Musique et regardant les flammes, quand un autre feu descendit sur moi, infinie nostalgie, sentiment de vies antérieures, inconnues ou depuis toujours connues, déchirement indicible. J’écoutai un moment, pétrifié, me levai, allumai et vis sur le programme que l’orchestre jouait Harry Janos, du musicien hongrois Zoltan Kodaly. Une encyclopédie m’indiqua que dans cette suite écrite à Budapest en 1926, Kodaly s’était inspiré d’un conte où apparaissait Napoléon et son armée. La France légendaire. La France vue de loin, de Budapest. J’éteignis et revins au feu, pensant à Petru Dumitriu 1 , tellement amoureux de la France qu’en le lisant, toujours je me demande : « Vraiment est-ce de nous qu’il parle ? Est-il possible que notre foule médiocre, égoïste, légère, arrogante, lui inspire de tels sentiments ? » Petru Dumitriu, double exilé, dépossédé de la terre où il est né, repoussé par celle où nous vivons et dont il rêve sans espoir, dit-il, honte sur nous. Les accords de l’orchestre sonnaient encore dans mon oreille. Ces quelques notes floues, noyées de rêve, disaient aussi un amour lointain pour la France. Quelle France ? Comme le génie de la musique m’en avait en quelques secondes rudement ébloui, et comme j’en étais hors de moi, brisé par la sublime tempête où nous vivons sans y penser, cette France de l’Histoire qui nous accueille, indignes, le temps d’une vie ! Une fois par siècle le cor de Roland Les Français sont des veaux, disait de Gaulle, qui, cependant, au moment le plus terrible, en avait exigé, et obtenu, qu’ils quittent tout pour la plus déraisonnable aventure. Et pourquoi ? Qu’est-ce donc que la France ? Je me rappelai cet ami, né comme moi dans le midi, et indifférent à tout jusqu’au jour, en 1942, où il dut pour ses études aller chercher je ne sais quel papier à Paris. Il vit la croix gammée à l’Étoile, sur le Palais Bourbon, sur tous les monuments qu’il connaissait, sans les avoir vus, depuis son enfance. La rage le prit. Quelques jours plus tard il rejoignait les combattants. Qu’est-ce que la France ? On peut relire Les soldats de l’An Deux, Michelet, Du Bellay, on peut remonter la nuit des siècles : Roland a mis l’olifant à sa bouche, Il l’empoigne bien, le sonne à grand éclat Hauts sont les monts, au loin porte la voix… Le Comte Roland a la bouche sanglante, De son front, brisées sont les tempes, De l’olifant il sonne.2. Il sonne du fond de notre Histoire, le cor de Roland, comme une prophétie a peine audible, et parfois – une fois par siècle, peut-être ! – notre foule médiocre l’entend ; elle comprend qu’on lui demande plus qu’elle ne peut, et elle décide que si c’est impossible, cela se fera. Il me semble – est-ce illusion – que nous allons vers un de ces moments. Il me semble que c’est un pauvre homme, celui qui a cru nous intéresser en nous promettant « le bonheur » et encore à deux sur trois3. Il me semble que le sentiment qui monte n’est pas l’aspiration à un bonheur légiféré et octroyé, mais, bien au contraire, le frémissement de l’incertain, de l’inconnu, le désir de répondre au cor lointain qui depuis douze siècles résonne sur nos têtes. Quand donc les Français ont-ils été « heureux » ? Quand ils rêvaient. La moisson passera la promesse des fleurs, dit Malherbe, rêvant à la paix4. La paix venue n’a jamais inspiré un si beau vers. J’écoutais les accords de Kodaly dans ma mémoire. La France dont il m’avait à l’improviste brûlé le cœur, celle qu’on voit de Budapest, il l’exprime en une idée géniale, de celles que l’habileté seule ne saurait trouver : à un certain moment qui commence dans l’ambigüité d’un rêve, on se demande si l’on entend, on croit entendre, on entend à la fois « Il pleut, il pleut, bergère, rentre tes blancs moutons », et « Aux armes, citoyens, formez vos bataillons ». Évidemment ! ce sont les mêmes notes. Mais qui l’avait remarqué avant lui que les notes de la Marche de l’Armée du Rhin, devenue l’hymne universel à la liberté, sont aussi celles de la plus charmante de nos vieilles chansons ? Il faut pour sentir cela, avoir longtemps pensé à la France en silence, loin du bavardage des Français. Ce que penser à la France signifie, de Gaulle l’a dit au début de ses « Mémoires » en quelques lignes raillées par les malins, dès leur publication5. Voilà que les malins s’ennuient, se demandant quoi désirer d’intéressant, commençant peut-être d’entrevoir que le bonheur est difficile, que le bonheur n’est pas le relâchement du désir, aveugle mécanique, mais la vraie liberté, celle des grandes ambitions partagées dans l’enthousiasme. Etaient-ils heureux, les Français, du temps de la Pucelle, au fond de leur détresse ? Les récits de la fin de la Guerre de Cent Ans sont terribles. Pourtant, dans cette misère, il y eut un moment de grâce, non parce que l’on souffrait moins, mais parce que pendant quelques mois les Français et la France ne furent qu’un : ce sont les mois rapides qui vont du siège d’Orléans au sacre de Reims6. « Les politiques, écrit Michelet, voulaient qu’on restât encore sur la Loire, qu’on s’assurât de Cosne et de la Charité. Ils eurent beau dire cette fois, les voix timides ne pouvaient être écoutées. Chaque jour affluaient des gens de toutes les provinces qui venaient au bruit des miracles de La Pucelle. L’indolent jeune roi lui-même finit par se laisser soulever à cette vague populaire, à cette grande marée qui montait… Roi, courtisans, politiques, enthousiastes, tous ensemble, de gré ou de force, les fols, les sages, ils partirent. Au départ, ils étaient douze mille. Mais, au long de la route, la messe allait grossissant. D’autres venaient, toujours d’autres. Ceux qui n’avaient pas d’armure suivaient la sainte expédition en simples jacques… » Comme La Pucelle, dit encore Michelet, ils n’avaient qu’une pensée : mener le roi à Reims. Les fols, les sages Ce roi n’était qu’un pauvre homme, un médiocre. Tous peut-être l’étaient. Mais ils menèrent leur roi, qui fut sacré. Ce que signifie cet épisode sublime, unique, il me semble que je le sens. C’est nous-mêmes, le médiocre peuple de France, qui fûmes sacrés à Reims, dans la personne du médiocre roi. Voilà ce que je crois7. Nous ne sommes qu’un méchant peuple parmi d’autres, mais voué à de grands devoirs. Quand je relis notre Histoire, je m’émerveille de ce que la Destinée (qui, pour nous, porte un autre nom) a su tirer de nous. Une âme nous habite, qui souvent s’endort, se révolte, même s’avilit. Mais, « de gré ou de force, les fols, les sages, ils partirent ». Il me semble, à d’imperceptibles signes, oui, que nous sommes en train de nous réveiller, que des devoirs trop lourds pour nous vont nous être confiés, et que, de gré ou de force par le sacre de Reims, ces devoirs trop lourds, nous les accomplirons. Aimé MICHEL Chronique n° 386 parue dans F.C. N° 1946 – 30 mars 1984 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 31 août 2015

 

  1. Petru Dumitriu est né en 1924 en Roumanie. Sa mère d’origine hongroise utilise le français pour parler avec son mari et son fils à la maison. À 17 ans, il bénéficie d’une bourse Humboldt pour étudier la philosophie à l’université de Munich. Il y écrit ses premières nouvelles. A 19 ans, en 1944, il revient en Roumanie désormais communiste et s’adapte à ce régime. En 1945, il reçoit d’un cercle littéraire roumain le prix de la meilleure nouvelle de l’année. Une romancière française, Henriette Yvonne Stahl, qui fait partie du jury, devient sa maîtresse et l’encourage. Son premier roman est bien accueilli par la critique. Membre de l’Union des écrivains roumains puis rédacteur en chef d’une revue littéraire, il devient successivement directeur des Éditions d’État pour la littérature et les arts en 1955 puis président du Conseil de publication du ministère de la Culture en 1959. Ses livres conformes à l’idéologie communiste connaissent de gros tirages, reçoivent des prix littéraires et sont traduits (notamment en 1956 ses Chroniques de famille sous le titre Les Boyards en deux volumes). Il est alors l’un des écrivains préférés du régime, un personnage officiel qui fréquente les dirigeants du pays. Malgré les privilèges dont il jouit, il a de plus en plus de difficultés à concilier ses ambitions littéraires avec les pressions politiques et craint de perdre son âme. En 1960, il quitte la Roumanie avec son épouse (il s’est marié en 1956 avec Irina Medrea après un premier mariage la même année avec H. Y. Stahl qui n’aura duré qu’une semaine) mais, en raison des dangers du passage, sans sa fille de dix mois qu’il mettra des années à retrouver. Il s’installe à Berlin-Ouest puis à Francfort, Bad-Godesberg, Paris et enfin Metz. Tout en vivant dans la crainte de représailles il continue d’écrire en roumain et en français, notamment Rendez-vous au Jugement dernier en 1961. Libre d’exprimer sa foi chrétienne il se signale par son œuvre d’inspiration religieuse : Au Dieu inconnu (Seuil, 1979), Zéro ou le Point de départ (Cerf, 1981, prix des écrivains croyants), Comment ne pas l’aimer ! Une lecture de l’Évangile selon saint Marc (Cerf, 1981), Walkie-talkie : marcher vers Dieu, parler à Dieu (Cerf, 1983), Je n’ai d’autre bonheur que Toi. Essai de dévotion moderne (O.E.I.L., Paris, 1984). En 1995, il retourne pour la première fois en Roumanie. Il meurt à Metz en avril 2002. Son entretien avec Bernard Pivot dans Apostrophes en octobre 1983 est disponible sur http://www.ina.fr/video/I13045016.
  2. (2) Chanson de Roland, laisses 133 et 135. 15 août 778, Charlemagne à « la barbe blanche et la tête fleurie » (vers 117) vient de ravager l’Espagne tenue par les Sarrasins et de s’avancer jusqu’à Saragosse, tenue par Marsile, qu’il ne parvient pas à prendre. Il revient en France en franchissant les Pyrénées par le col de Roncevaux. Mais le traître Ganelon aide les Sarrasins et les montagnards basques à organiser une attaque contre son arrière-garde commandée par son neveu Roland, comte de la marche de Bretagne. Olivier, son sage et dévoué compagnon, demande à Roland d’appeler son oncle au secours. Roland refuse d’abord mais devant les pertes subies il s’y résout, sonne du cor et meurt dans cet ultime effort. Dessous un pin gît le comte Roland, Les yeux tournés vers l’Espagne. Il se prend À rappeler mainte ressouvenance: Tant de pays conquis par sa valeur, Les gens de son lignage, et douce France, Et l’empereur, qui nourrit son enfance La seconde partie de la Chanson raconte la revanche de Charlemagne, son combat victorieux contre Marsile et l’émir Baligant puis, à son retour à Aix-la-Chapelle, la punition du traître Ganelon qu’il fait juger et supplicier. La défaite de Roncevaux resta gravée dans les mémoires. Plus de deux siècles après, vers 1100 (le plus ancien manuscrit dit d’Oxford date des années 1125-1150), un poète du nom de Turold (ou Turoldus) composa ce beau texte épique de 4002 vers assemblés en 291 laisses et inscrivit son nom au dernier vers.
  3. Valéry Giscard d’Estaing a écrit une douzaine d’ouvrages, essais ou romans. Celui auquel Aimé Michel fait allusion ici, Deux Français sur trois, éditions Compagnie 12, 1984 est un essai sorti quelques années après son échec aux élections présidentielles de mai 1981 où une majorité de Français lui ont préféré François Mitterrand. « Mon espoir, y écrit-il, est que l’opinion française choisisse d’entrer dans son histoire future, lorsque la parenthèse actuelle sera refermée, à partir d’une vision située dans son avenir, et non à partir de ses affrontements ou de ses frustrations du présent. C’est l’objet de ce livre : concevoir un dessein national conciliant la générosité et l’efficacité et répondant aux aspirations de deux Français sur trois. Je veux servir la cause d’une France libérale et réconciliée. »
  4. Ce vers de Malherbe cité de mémoire est tiré de la « Prière pour le roi Henri le Grand » dans les Stances (1605) Tu nous rendras alors nos douces destinées ; Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années Qui pour les plus heureux n’ont produit que des pleurs. Toute sorte de biens comblera nos familles, La moisson de nos champs lassera les faucilles, Et les fruits passeront la promesse des fleurs.
  5. Les Mémoires de Guerre, que de Gaulle rédigea à Colombey pendant sa « traversée du désert » (1947-1958), s’ouvrent sur cette déclaration : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »
  6. Jeanne, née en 1412, était âgée de treize ans quand, dira-t-elle à son procès, « j’ai eu une voix venant de Dieu pour m’aider à me gouverner. Et la première fois j’eus grand peur. Et vint cette voix environ l’heure de midi, au temps de l’été, dans le jardin de mon père. » Dès l’âge de 16 ans elle tente de convaincre Robert de Beaudricourt, capitaine de Vaucouleurs, de la conduire au dauphin. « Robert, par deux fois, refusa et me repoussa, et la troisième fois il me reçut et il me donna des hommes. La voix m’avait dit que cela se passerait ainsi. » Le mardi 22 février 1429, la petite troupe quitte Vaucouleurs ; elle arrive à Chinon le vendredi 4 mars (je suis ici les dates reconstituées par Régine Pernoud). Le dimanche suivant elle est reçue par le dauphin. « Quand j’entrai dans la chambre de mon roi, je le reconnus parmi les autres par le conseil de la voix qui me le révéla. » Jeanne est ensuite interrogée pendant trois semaines avec enquête de moralité à Domremy et examen de virginité dont les conclusions lui sont favorables (procès de Poitiers, document aujourd’hui perdu). Le 29 avril au soir, elle entre à Orléans. Les combats se déroulent à partir du 4 mai et le dimanche 8 les Anglais lèvent le siège de la ville. Le sacre de Charles VII dans la cathédrale de Reims a lieu le 17 juillet 1429. Mais début septembre Jeanne échoue devant Paris qu’elle avait promis de délivrer. Le 24 mai 1430, elle est arrêtée à Compiègne puis vendue aux Anglais et menée à Rouen. Le procès d’inquisition qui se déroule à partir du 9 janvier vise à débusquer l’hérésie et la sorcellerie. Nul alors ne met ses voix en doute : la question est de savoir si elles viennent de Dieu ou du Diable. Le 23 mai, Jeanne est « admonestée charitablement de se soumettre à l’Église et de se détourner de ses opinions erronées. » Elle refuse d’abord, puis, effrayée, elle abjure le lendemain. Mais, quelques jours plus tard, elle se rétracte. Elle est alors condamnée à mort et meurt sur le bûcher dressé sur la place du Vieux-Marché de Rouen, le 30 mai 1431, à 19 ans (voir la chronique n° 147, Ascèse et liberté – La libération du corps passe par la libération de l’esprit, 22.04.2013). Deux décennies plus tard, en février 1450, alors que Rouen n’est délivrée que depuis trois mois, Charles VII met en œuvre la révision du procès de condamnation pour réfuter l’accusation de devoir son trône à une hérétique. Le procès proprement dit, décidé par le pape Nicolas V, commence le 7 novembre 1455. De nombreux interrogatoires de témoins ont lieu en Lorraine, à Orléans et Paris. Les juges énoncent leurs conclusions le 7 juillet 1456 à Rouen, à savoir que « plusieurs articles » de l’acte d’accusation de 1431 étaient « faux et mensongèrement inventés ». En conséquence les « procès et sentences (…) ont été, seront et sont nuls, invalides, inutiles et vains. » En 1894, le pape Léon XIII déclare Jeanne « vénérable » et son procès de canonisation s’ouvre trois ans plus tard. Elle est béatifiée en 1909, canonisée en 1920 et proclamée patronne de la France (après la Vierge Marie) en 1922.
  7. Aimé Michel reprend et développe ce qu’il écrivait dans la chronique n° 382, Après le vote du Bundestag sur les Pershing, même la terreur s’évente – Un épisode clé de la guerre froide : la crise des euromissiles de 1983 (mise en ligne la semaine dernière) : « Avant de monter au bûcher, Jeanne d’Arc s’en alla sacrer à Reims son roi, c’est-à-dire son peuple, c’est-à-dire nous. Je ne pense pas que nous ayons été sacrés pour bouter hors de France le Plantagenêt et pour subir Andropov cinq siècles plus tard. » Aimé Michel n’avait pas du tout une conception nationaliste de l’intervention de Jeanne d’Arc et ne croyait nullement qu’elle avait été envoyée pour humilier les Anglais, au contraire. Si les couronnes de France et d’Angleterre avaient été réunies, m’avait-il expliqué, l’influence française l’aurait emportée et la Grande-Bretagne serait peut-être devenue « une grosse Corse au Nord de la France ». L’histoire du monde en aurait été changée. Qui peut dire ce qui serait advenu de l’expansion anglaise, des États-Unis et de leur formidable potentiel inventif ? Certes, il ne s’agit là que de spéculations que les « historiens sérieux » détestent mais elles donnent à réfléchir. Ces réflexions sont d’utiles efforts d’assouplissement de l’esprit ; on aurait donc tort de trop les décourager (comme aussi de trop s’y adonner). On aura reconnu sur cet exemple deux aspects récurrents de la pensée d’Aimé Michel : d’une part, le refus des interprétations trop simples et le talent à faire voir les idées et les évènements sous un angle neuf pour les arracher aux habitudes, aux conditionnements d’une époque, d’une classe sociale ou d’une idéologie ; d’autre part la confiance en la Providence (qu’on aura également noté dans le texte de Charles de Gaulle). Il ne manquait jamais d’en rappeler l’existence à ses lecteurs pour qu’ils se gardent de croire que le monde n’est qu’une vaste pagaille et qu’ils se souviennent que le monde va quelque part, même s’il nie toute prétention à connaître le détail du parcours à venir (voir par exemple les chroniques n° 211, La science imprévisible – L’idée d’un futur planifiable est une illusion, 15.09.2014, et n° 332, La providence et les microscopes – Certaines ignorances sont providentielles, 07.04.2014). Cette mise en garde vaut aussi pour le passé puisque chaque hasard, chaque choix, chaque intervention efface les possibilités alternatives et qu’on ne peut savoir ce qui se serait passé s’ils avaient été autres.