Replonger joyeusement dans les hérésies ? - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Replonger joyeusement dans les hérésies ?

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A la fin des années 70, un groupe de juifs orthodoxes de New York fut confronté à un dilemme. Il semblait qu’ils avaient une meilleure chance de gagner leur procès devant une cour civile alors que l’issue promettait d’être hasardeuse devant une cour rabbinique. Ils décidèrent finalement qu’ils préféraient perdre devant une cour rabbinique que gagner devant la cour civile car ils ne souhaitaient pas établir que, en matière de conséquences à leur égard, la loi civile méritait une prééminence ou une souveraineté sur la loi civile.

La leçon qu’ils ont enseignée là est redevenue d’actualité alors que nous affrontons de sérieux débats sur la victoire dans le procès Hobby Lobby, même parmi des amis qui ont fêté l’issue du procès.

Moi aussi, j’ai été soulagé que les familles Green et Hahn n’aient pas été forcées par l’administration Obama à devenir complices de fourniture d’abortifs à leurs employées. Mais j’ai aussi exposé dans ces colonnes des réserves importantes quant au raisonnement utilisé pour nous donner ce résultat. La leçon enseignée par ces juifs orthodoxes de New York est que, en poursuivant notre but, nous ne devrions pas installer des prémisses qui minent le fondement moral de notre propre position.

J’ai démontré dans ces colonnes que l’affaire Hobby Lobby aurait pu être gagnée sans mettre en place ces prémisses : que les convictions religieuses sont marquées par des « croyances  » plutôt que par des « vérités », que nous acceptons comme « religion » pratiquement toute chose que des gens nous disent considérer comme leur religion, que en considération de la force de ces « croyances » professées « sincèrement », nous accordons des exceptions à des lois qui s’appliquent à tous les autres et que finalement comme la Cour Suprême l’a déclaré dans l’affaire Hobby Lobby, « ce n’est pas au gouvernement de dire si nos croyances religieuses sont erronées ou sans valeur ».

Ces prémisses mis en place, nous n’aurons pas longtemps à attendre l’imagination et l’audace de gens qui s’approprieront avec joie l’autorisation offerte par la Cour. Il ne faut pas être grand clerc pour anticiper cette réclamation : « nous croyons sincèrement que l’organisme grandissant dans l’utérus n’est pas réellement ‘humain’, ou n’est pas quelque chose que nous pouvons reconnaître comme ‘pleinement humain’, avec un statut exigeant la protection de la loi ». La Cour Suprême a depuis longtemps donné de l’importance à des croyances passionnément professées sous prétexte qu’elles occupent la même place qu’une religion dans la vie des gens. Et encore, il n’est pas clair du tout pourquoi ces croyances, professées sincèrement, ne pourraient pas être qualifiées de « religieuses ».

Une affaire a éclaté qui, de façon théâtrale, a sorti la question du domaine de la spéculation. Le Wall Street Journal rapporte que l’administration Obama a été saisie du cas de M. Gregory Holt, qui s’est converti à l’Islam sous le nom de Abdul Maalik Muhammad. Holt est sous le coup d’une condamnation à vie pour avoir égorgé son ancienne petite amie.

En prison, il affirme avoir le devoir religieux de porter une barbe. Mais le port de la barbe est interdit aux prisonniers en Arkansas, pour raison de sécurité. Des objets tels que des épingles, de la drogue, des lames de rasoir pourraient être cachés dans des barbes négligées. Mais l’administration Obama a invoqué la loi de restauration de la liberté religieuse au bénéfice de Holt.

L’Avocat Général a statué que l’état [d’Arkansas] « devait avancer plus que des spéculations et des peurs non motivées pour justifier d’imposer une restriction substantielle à la pratique religieuse ». M. Holt avait déclaré son intention de « faire le jihad contre le personnel du tribunal, les fonctionnaires de police, les témoins à charge, et… de faire le nécessaire pour choper les témoins, Allah m’est témoin ».

Les rédacteurs du Journal ne pouvaient manquer de remarquer cette sollicitude pour la liberté religieuse des jihadistes de la part d’une administration qui ne peut faire preuve d’aucune compassion pour les chrétiens contraints à subventionner des avortements.

Mais les inversions de l’administration Obama, avec leur position morale chaque fois sens dessus dessous, sont maintenant tellement courantes que nous les remarquons à peine. Ce qui complète le tableau, c’est la réaction des rédacteurs du Wall Streeet Journal. Ils remarquent en passant que « la liberté religeuse en Amérique ne dépend pas du contenu de la foi, Allah en soit remercié ». En d’autres termes, l’enseignement de la Cour Suprême se diffuse maintenant partout dans le pays, à des lecteurs et rédacteurs avisés par ailleurs. Eux aussi commencent à penser que nous ne pouvons pas juger le contenu des croyances, ou les évaluer selon les critères de la raison que nous appliquons à toutes les autres choses.

Comme Jean-Paul II nous l’a rappelé, l’enseignement de l’Eglise Catholique s’appuie sur un mariage crucial entre la foi et la raison. Il soutenait que la relation avec la philosophie grecque avait protégé l’Eglise de tomber dans la superstition. C’était l’éminent service, pensait-il que « les pères de la philosophie ont rendu en mettant en lumière le lien entre la raison et la religion ». Si bien que :

Ils ne sont pas satisfaits de anciens mythes, mais ont voulu fournir un fondement rationnel à leur croyance en la divinité… Les superstitions ont été reconnues pour ce qu’elles étaient et la religion a été, au moins en partie, purifiée par une analyse rationnelle.

An nom de « la liberté religieuse », nous sommes maintenant instruits par beaucoup de nos amis que, selon la loi, nous ne pouvons par faire de distinction entre une religion qui protège la vie innocente et une autre qui fait obligation de tuer. Nous marchons dans le brouillard, faisant la fête en chemin, et retournons joyeusement dans les hérésies, politiques et religieuses.


Hadley Arkes est professeur de jurisprudence à Amherst College.

illustration : la barbe en question

http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/backing-happily-into-heresies.html