QUESTIONS SUR L’OBSERVATOIRE SPATIAL - France Catholique
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QUESTIONS SUR L’OBSERVATOIRE SPATIAL

Chronique n° 476 parue initialement dans France Catholique – N° 2256 – 11 mai 1990.

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Le télescope spatial Hubble

Le télescope spatial Hubble

Nasa

N’est-il pas déraisonnable de faire sur 16 milliards un pari très risqué, et qui, s’il est gagné, continuera de nous coûter encore 2 milliards par an ? Tant de travail, c’est-à-dire de transpiration, pour une incertaine machine spatiale, alors que l’on ne trouve pas de crédits pour secourir les misères terrestres ?1 On sait depuis Pascal et surtout Laplace qu’un pari est d’autant plus déraisonnable qu’il est plus gros2. La raison et le calcul commandent de fractionner les risques. Dans le cas de Hubble, on ne savait pas, lorsqu’il fut conçu, c’est-à-dire il y a presque 20 ans, fractionner un miroir de télescope, ou plutôt fractionner ses tâches de façon à les distribuer à un assortiment d’appareils indépendants. Compte tenu de ce qu’on attendait de Hubble, ce qui est déraisonnable, c’est d’avoir mis tant de temps à le faire3. Si l’on avait dégagé d’un coup tous ces milliards et si Hubble avait pu être opérationnel par exemple vers 1975, la science actuelle serait peut-être très différente de ce qu’elle est. Peut-être même beaucoup d’argent eût pu être épargné. Pourquoi ? Parce qu’en nous permettant d’un coup d’observer les astres dans le spectre filtré par l’atmosphère (ultraviolet et infrarouge), Hubble dévoile à nos instruments une infinité d’expériences naturelles très chères ou impossibles à réaliser en laboratoire, ou auxquelles personne n’aurait pensé. L’espace est un laboratoire naturel inépuisable, mais qui ne se laisse guère observer de la surface terrestre que dans la lumière visible, du violet au rouge. Il y a d’autres « fenêtres » qui sont plutôt des trous de serrure4. Hubble voit l’univers de l’extérieur. Il n’est limité que par ses propres capacités. On dit que les instruments au sol font aussi bien. Ils font aussi bien dans le spectre visible. En gros, Hubble est une vieille machine conçue au temps de Pompidou et améliorée presque jusqu’à son lancement. Il serait bien différent si on le fabriquait maintenant. Il semble embarrassé par des problèmes de stabilité. En effet. Il est trop gros et sujet à des effets de marée5. Pour observer l’environnement d’une étoile, il faut fixer sur cette étoile le coronographe avec une précision absolue, ou aussi grande que possible. Le coronographe cache l’étoile et permet d’observer ou de déceler ce qui se trouve autour d’elle, par exemple un anneau, peut-être des planètes (le coronographe est un appareil permettant de produire l’éclipse de l’étoile observée). Il est piquant de rappeler qu’il a été inventé et utilisé la première fois par le Français Bernard Lyot, un « amateur » comme Hubble ! C’est-à-dire que tous deux sont arrivés aux plus hauts niveaux de l’astronomie sans parcourir le « curriculum » professionnel6. Quant à la stabilité, on espère quand même l’obtenir grâce aux progrès de l’électronique au sol. On pourra même l’améliorer par de nouveaux progrès. Soit, mais encore une fois à quoi bon ? Pourquoi le télescope Hubble plutôt qu’une action pour les peuples déshérités ? La multiplication des hommes a toujours été limitée par la faim, le désordre et la maladie. À partir du XVIIe siècle la science et la technique ont commencé à faire reculer la faim. Depuis un siècle, là où la science est entrée dans les mœurs, les hommes tendent à mourir de vieillesse pour la première fois dans l’histoire et la préhistoire. La communication instantanée, la diffusion des langues, le danger égal pour tous font que la guerre n’est plus « la prolongation de la politique par d’autres moyens »7. Dans nos pays développés (y compris en armement) le politicien qui déclenche la guerre ne prolonge pas la politique, il se suicide. La science alors serait-elle « bonne » ? Ni bonne ni mauvaise : il y a aussi Tchernobyl et le reste. Mais reste que, dans nos pays, on considère comme un droit la délivrance de la faim, du désordre et autant que possible de la maladie. C’est un choix. C’est celui de l’éducation et de la science. Les découvertes de Newton, Watt, Oersted, Fresnel, Galois, Gauss… n’ont d’abord servi à rien. Personne à l’époque, n’aurait imaginé qu’elles pussent un jour servir à quelque chose. Je ne sais s’il est bon de ne plus connaître la faim, de pouvoir appeler un médecin au téléphone, de traiter une affaire de vive voix par satellite avec un Australien, d’essayer de sauver à Seattle, avec une moelle donnée par une Française de Besançon, la vie, d’un Russe irradié à Tchernobyl. À Nieul-sur-l’Autize, en Vendée, M. R. Joussaume a dégagé les vestiges d’une formidable fortification à triple enceinte remontant au IIIe ou au IVe millénaire avant J.C. Je ne sache pas que l’on ait encore besoin de telles fortifications pour survivre en Vendée. Je pourrais d’ailleurs m’en informer dans la minute qui suit en appelant l’un des aimables bistrots de ce village. Alors pourquoi avoir lancé Hubble ? D’une façon générale, parce qu’il nous permettra d’explorer le passé lointain de l’univers, c’est-à-dire, par un très beau paradoxe, l’infiniment petit. Car l’infiniment petit, quarks puis particules, date des premiers instants de la création. L’observatoire Hubble va voir à l’état de nature ce qu’on essaie à grand peine de faire apparaître dans les grands accélérateurs. L’espace est un laboratoire peut-être infini où tout ce qui peut se produire existe quelque part, même si c’est très improbable. Par exemple, vous, moi, et que j’aie écrit cet article, et que vous le lisiez… quelles chances y avait-il au temps des dinosaures que ce petit événement se produisît un jour ?8 L’observatoire spatial ne verra pas tout, loin de là, mais beaucoup plus que l’homme ne vit jamais. Mais est-il bon de savoir toujours plus ? Ne devrions-nous pas apprendre d’abord à. user avec prudence de ce que nous savons ? La prudence nous est enseignée comme une vertu, preuve qu’elle ne nous est pas naturelle. Nous devons, hélas, admettre qu’avant de renoncer à faire une sottise il nous faut beaucoup de larmes et d’efforts, et le plus souvent du sang. Je crois cependant que la science est une école de sagesse, souvent impitoyable, voyez Tchernobyl. On parle beaucoup de Big Bang, d’horizon cosmologique ? C’est la même chose. En découvrant des objets de plus en plus lointains nous constatons que leur lumière tend à disparaître dans l’invisible. On appelle horizon cosmologique la limite au-delà de laquelle rien n’est plus visible. La plus grande surprise que pourrait nous faire Hubble serait de découvrir que les plus anciens moments de l’univers sont semblables aux plus récents, qu’il n’y a pas d’évolution, pas de Big Bang. Ce serait l’événement du siècle. Inversement la confirmation infiniment probable des théories actuellement admises nous enfoncera un peu plus dans l’inanité de notre être physique9. Non seulement, selon les théories actuelles, nous sommes perdus dans l’infini de l’espace et du temps, mais l’espace-temps lui-même est perdu dans autre chose, qui n’est ni ici ni ailleurs ni dans le passé ni dans le futur10. Devant ces abîmes où se perd notre intelligence, je pense aux derniers mots du Christ sur la Croix : « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »11. Mais voilà que, justement, Il ne nous a pas abandonnés. Il n’y a pas d’horizon de l’amour12. Aimé MICHEL Chronique n° 476 parue initialement dans France Catholique – N° 2256 – 11 mai 1990. Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 30 septembre 2019

 

  1. Ce n’est ni la première fois, ni la dernière, qu’Aimé Michel prend fait et cause en faveur de ces prétendues déraisonnables et inutiles dépenses liées à l’exploration de l’Espace. Les deux dernières fois c’était à propos de la sonde soviétique Vénéra 9 qui envoya les premières photos de la surface de Vénus (chroniques n° 225, novembre 1975) et de la sonde américaine Viking qui se posa sur Mars (n° 254, août 1976). Peut-être remarquera-t-on que tous ces exemples (Vénéra, Viking, Hubble maintenant) concernent des machines automatiques, qui sont approuvées par les scientifiques, à la différence des missions habitées, notamment vers la Station spatiale internationale, qui le sont beaucoup moins en raison de leur médiocre moisson scientifique. Malgré tout, rien n’indique qu’A. Michel établissait une différence tranchée entre les deux, comme en témoigne son enthousiasme pour le programme Apollo de l’homme sur la Lune (chronique mise en ligne le 15 juillet dernier), voire pour le projet de Gerard O’Neill de création de colonies spatiales, « projet grandiose, écrivait-il alors, qui depuis trois ans suscite là-bas [aux États-Unis] la polémique, mais qu’à mon avis rien n’arrêtera, parce que rien n’arrête les hommes quand on leur offre des horizons illimités » (n° 313, septembre 1978). Il poursuivait : « Il semble bien, si tout continue de se passer comme maintenant, que la destinée de l’homme soit dans l’espace. Non parce qu’il le veut, mais parce que tout l’y pousse. Pourquoi trembler ? Pourquoi douter ? Il n’y a pas de quoi, et je dirai : au contraire. Ce n’est pas une fois par millénaire, peut-être, qu’une telle vision de la pensée divine nous est donnée. » (n° 315, octobre 1978).
  2. Pascal peut être légitimement considéré comme le fondateur de la théorie des probabilités car il fut le premier à analyser des jeux de hasard d’une manière mathématiquement rigoureuse. En 1654, il résout le « problème des partis » qui avait été posé en 1454 par un auteur italien et sur lequel on « séchait » depuis presque un siècle et demi. Pour Nicolas Trotignon, « la résolution du problème des partis, plus qu’un simple progrès technique des mathématiques, est une véritable révolution dans notre conception du hasard » (https://arxiv.org/pdf/1309.2824.pdf). Bien qu’il ne la définisse pas de manière explicite, Pascal se fonde sur la notion d’espérance mathématique qui est la somme des divers gains possibles à la fin d’un jeu de hasard pondérés par leurs probabilités. Pascal a essayé de convaincre les libertins de son temps (c’est-à-dire les athées) de se convertir à la religion chrétienne en utilisant son fameux argument du pari : « Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côté penchons-nous ? (…) Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez qu’il est sans hésiter. » Laplace (1749-1827) fonde véritablement la théorie des probabilités dans son ouvrage Principes généraux du calcul des probabilités, publié en 1812 (je viens de voir que l’édition originale de cet ouvrage était mise en vente par un libraire parisien pour la modique somme de 33 000 euros ! Sinon on peut lire gratuitement l’édition de 1820 sur http://sites.mathdoc.fr/cgi-bin/oeitem?id=OE_LAPLACE__7_R2_0). On y trouve en particulier la définition de la probabilité d’un événement dans le cas où les événements élémentaires sont équiprobables (cette probabilité est le rapport du nombre de cas favorables au nombre de cas possibles, ainsi la probabilité de tirer le 6 avec un dé est de 1/6) et la formulation, aujourd’hui banale, des problèmes de probabilité en termes de tirage de boules de couleur dans une urne. Surtout, il étend le calcul des probabilités à tous les domaines, de l’astronomie à la sociologie. Il applique notamment sa théorie à la critique du témoignage humain et démontre que la probabilité de la véracité d’un témoignage est d’autant plus faible que le témoignage porte sur un fait plus rare. Dans son Essai philosophique sur les probabilités (1840), Laplace s’appuie sur ce dernier résultat pour invalider le pari de Pascal en montrant que l’espérance de gain n’est pas infinie, comme le soutient Pascal, mais finie, et qu’elle peut même être négative (https://fr.wikisource.org/wiki/Essai_philosophique_sur_les_probabilit%C3%A9s/2f). Pour atteindre cette conclusion il doit estimer a priori deux probabilités dont celle qu’un témoin dise vrai (il la fixe à 0,9). Comme l’explique Yvette Perrin : « Pascal et Laplace s’opposent sur un seul point : dans l’hypothèse où Dieu existe, Pascal ne met pas en doute que ce Dieu est celui de la Bible et ne remet pas en cause les Écritures ; Laplace, au contraire, n’accorde pas un statut spécial aux textes bibliques, et les considère seulement comme les récits de témoignages humains. » (« Les probabilités au service des sciences morales, Blaise Pascal et Pierre-Simon Laplace », Courrier du Centre international Blaise Pascal, 2012, http://journals.openedition.org/ccibp/280). Autrement dit, l’argument du pari s’adresse davantage au croyant en Dieu (en l’incitant à mettre sa croyance en pratique) qu’à l’incroyant. Symétriquement, la critique de Laplace n’affecte guère le croyant.
  3. Le télescope spatial Hubble, qui doit son nom à l’astronome Edwin Hubble, célèbre découvreur de l’expansion de l’univers (voir note 6), a été conçu en 1970. Mais une série de difficultés liées à son financement (qui obligent à réduire le diamètre du miroir primaire de 3 à 2,4 m et à appeler l’Agence Spatiale Européenne à la rescousse), à sa mise au point (la fabrication du miroir et des autres instruments accumule les retards) et à l’explosion de la navette spatiale Challenger (en janvier 1986, qui donne paradoxalement un répit salutaire aux équipes), ont retardé son lancement jusqu’au 24 avril 1990. Le coût estimé à moins d’un demi-milliard de dollars en 1977 est passé à 2 milliards (rien que le stockage pendant 4 ans en atmosphère contrôlée a coûté 6 millions de dollars par mois !). Mais la mise en orbite réussie de cette machine de 11 tonnes à 600 km d’altitude n’est pas encore la fin des ennuis et des surcoûts : une fois maîtrisés les inévitables problèmes techniques du début, on s’aperçoit que les images fournies par le télescope sont floues et pas meilleures que celles des télescopes terrestres ! On comprend vite que c’est un problème de polissage du miroir primaire dû au mauvais étalonnage d’un instrument de vérification. Heureusement, ce défaut est homogène ce qui permet de le corriger par un dispositif optique complémentaire. De nombreux autres problèmes se manifestent les années suivantes qui affectent panneaux solaires, gyroscopes et mémoires à bande magnétique. En décembre 1993, la navette Endeavour est lancée avec mission de monter l’optique correctrice et de remplacer les composants défaillants. Le télescope est rejoint par la navette et installé dans sa soute. Deux astronautes en scaphandre, longuement entrainés, font les travaux nécessaires à raison de 6 à 8 heures par jour durant 5 jours. Un mois plus tard, la bonne nouvelle tombe : Hubble est sauvé et capable de remplir les objectifs les plus ambitieux qui lui étaient assignés. Dès lors, Hubble multiplie les premières. Selon l’article « Hubble (télescope spatial) » de Wikipédia « Les données collectées par Hubble ont contribué à des découvertes de grande portée dans le domaine de l’astrophysique, telles que la mesure du taux d’expansion de l’Univers, la confirmation de la présence de trous noirs supermassifs au centre des galaxies, ou l’existence de la matière noire et de l’énergie noire. » Le successeur de Hubble, le télescope James-Webb (TSJW), est en cours de test. Fruit d’une collaboration entre la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne, cette machine d’une masse de 6,2 tonnes, équipée d’un miroir de 6,5 m de diamètre, est destinée à des observations dans l’infrarouge (en grande partie impossibles depuis le sol, voir note suivante ; l’observation dans le visible a été abandonnée en raison des progrès de l’optique adaptative des télescopes au sol). Comme Hubble en son temps, James-Webb est affecté de problèmes de mise au point et de surcoûts (les 5 milliards de dollars prévus en 2005 sont passés au double en 2018). Son lancement en Guyane par une Ariane 5 était prévu au printemps 2018 mais n’aura pas lieu avant 2021. Comme son prédécesseur Planck de l’ESA (voir note 3 de n° 113), ce télescope sera mis en orbite autour du point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil (ce point reste fixe à 1,5 millions de km de la Terre sur la ligne Terre-Soleil, du côté opposé au Soleil), où il ne sera possible ni de le réparer ni de le modifier. Si le TSJW est un succès, un désorbitage contrôlé de Hubble sera programmé. Sinon, on envisagera sans doute de prolonger son existence à l’aide d’une mission à définir.
  4. L’œil humain est sensible aux rayonnements électromagnétiques de longueur d’onde comprise entre 0,4 (violet) et 0,8 (rouge) micromètres (µm, millième de millimètre). Cette étendue peut être un peu plus grande chez certains animaux, notamment les insectes, ce qui les rend sensibles à l’infrarouge IR et à l’ultraviolet UV. En voici deux exemples. Côté IR, le coléoptère Melanophila acuminata est capable de détecter des feux de forêt à plusieurs kilomètres de distance grâce à un détecteur situé sur sa seconde paire de pattes (ce n’est pas un œil). Il est sensible aux IR de 3-4 µm car un feu de forêt typique brûle à une température de 500 à plus de 1000 °C avec un maximum d’émission dans l’IR vers 2.2-4 µm. La reproduction de ce coléoptère en dépend car ses larves ne résistent pas aux défenses d’un arbre vivant et ne se développent que sur des arbres morts récemment brûlés. Côté UV, de nombreuses espèce de papillons de la famille des piérides présentent des dessins sur leurs ailes que nous ne pouvons pas voir car ils n’apparaissent que dans la bande UV de 0,3 à 0,4 µm ; contrairement à nous, ces piérides les voient et s’en servent pour se différencier entre espèces et entre mâles et femelles d’une même espèce (n’oublions jamais que les organismes vivent dans un monde de signaux dont leur vie dépend, pour d’autres exemples voir notamment les chroniques n° 90, 92 et 125). Les longueurs d’ondes utilisées par les êtres vivants n’ont rien d’arbitraire. Elles correspondent à ce qu’on appelle les fenêtres atmosphériques. Schématiquement, il y en a 4 principales : une dans le l’UV proche et le visible, deux dans l’IR (l’une entre 3 et 5 µm et l’autre entre 8 et 14 µm), et la dernière, beaucoup plus large que les autres, dans les ondes radio (entre 1 cm et 11 m). En dehors de ces bandes, les rayonnements émis par le Soleil sont arrêtés par les gaz de l’atmosphère (azote, oxygène, ozone, vapeur d’eau, etc.), ce qui est heureux car les rayonnements de moins de 0,3 µm brisent les liaisons chimiques et sont donc mortelles. Une seconde coïncidence heureuse est que le rayonnement du Soleil possède un maximum situé juste au milieu de la première fenêtre atmosphérique (0,5 µm), ce qui permet de comprendre pourquoi maximum de sensibilité de l’œil des vertébrés est dans le jaune : il s’est calé par évolution sur cette longueur d’onde. (Notons au passage que le Soleil émet essentiellement entre 0,25 et 2,5 µm, une bande fort étroite puisque les ondes électromagnétiques les plus courtes connues sont des ondes gamma de 10–14 µm et que les plus longues excèdent 1014 µm, si bien que le Soleil émet en gros au milieu de ce spectre). Plus surprenant, la lumière visible est la plus propice à activer les réactions chimiques utiles aux êtres vivants car au-dessus de 0,7 µm les photons ont trop peu d’énergie et au-dessous de 0,3 µm ils en ont trop : troisième coïncidence. Pour achever de nous étonner, il y a une quatrième coïncidence, à savoir que le maximum d’émission solaire dans le visible coïncide avec la fenêtre de transparence de l’eau car l’IR et l’UV sont absorbés par l’eau et n’y pénètrent que sur une fraction de millimètre. Cette transparence est une condition impérative au développement de la vie telle que nous la connaissons à base de photosynthèse et de vision (si l’eau était opaque à la lumière, la photosynthèse serait impossible et notre œil, aveugle). On parle de coïncidences parce que les mécanismes physiques qui expliquent ces quatre propriétés sont si différentes qu’il n’y a a priori aucune raison pour qu’elles surviennent. C’est une des nombreuses manières de montrer que nous vivons dans un univers très particulier (voir note 5 de n° 455).
  5. Les effets de marée sont une conséquence de l’attraction gravitationnelle. Comme on le sait depuis Newton, l’attraction que la Lune exerce sur les océans explique les marées, d’où le nom de forces de marée. Elles s’expliquent par les distances différentes à la Lune de l’océan situé dans l’hémisphère faisant face à la Lune (le plus attiré par elle) et de l’océan situé dans l’autre hémisphère (le moins attiré). On montre que les forces de marée tendent à éloigner l’un de l’autre les océans diamétralement opposés selon l’axe Terre-Lune (ils se gonflent) et à rapprocher ceux situés dans le plan perpendiculaire à l’axe (ils se rétractent). Les forces de marée peuvent être suffisamment grandes pour briser un corps lorsqu’elles sont plus grandes que les forces gravitationnelles ou de cohésion à l’intérieur de ce corps. Un exemple en a été fourni en juillet 1994 par la célèbre comète Shoemaker-Levy 9 qui s’est disloquée sous l’effet des forces de marée dues à Jupiter juste avant de s’engloutir dans la planète géante. Bien entendu, les forces de marée dues à la Terre s’exerçant sur le télescope Hubble ne peuvent pas le briser, mais sont néanmoins suffisantes pour le déformer. Sur une machine de précision comme celle-là, où les longueurs se comptent en micromètres sinon en nanomètres, de minimes déformations peuvent être gênantes. Dans le même ordre d’idée, la structure de Hubble a été calculée pour le champ gravitationnel s’exerçant à 600 km d’altitude qui est plus faible (de 17 % environ) que celui à la surface de la Terre. Son stockage au sol avant lancement, bien plus long que prévu au départ, a donc provoqué une légère déformation dont il a fallu tenir compte après coup.
  6. Bernard Lyot (1897-1952), ingénieur électricien, très tôt passionné d’astronomie, a mis au point des instruments d’optique qui lui ont permis de réaliser des travaux scientifiques très originaux. Son invention la plus connue, mais non la seule, est celle du coronographe dans les années 1930. Cet appareil qui prend en compte de manière très précise les phénomènes de réflexion et de diffraction, masque la lumière provenant du disque solaire et ne laisse passer que celle de sa couronne. Comme il réalise les conditions d’une éclipse, il a contribué à diminuer l’intérêt scientifique de celles-ci, et a rendu possible l’étude permanente de la couronne solaire, notamment à l’aide de coronographes embarqués sur des satellites. Edwin Hubble (1889-1953) a étudié les mathématiques et l’astronomie à Chicago, puis le droit à Oxford, avant de revenir à l’astronomie à l’observatoire Yerkes où il a obtenu son doctorat en 1917. Après la guerre, en France, il devient chercheur à l’observatoire du Mont Wilson près de Pasadena où vient d’être construit le plus puissant télescope de l’époque. C’est avec cet instrument qu’il montre en 1923 que ce qu’on appelait alors les nébuleuses sont extérieures à la Voie Lactée et sont, comme elle, des galaxies ; puis, en 1929, que la vitesse d’éloignement des galaxies (mesurée par le décalage vers le rouge de leur spectre) est proportionnelle à leur distance. Cette loi, connue sous le nom de loi de Hubble, a été renommée en 2018 par l’Union Astronomique internationale, loi de Hubble-Lemaître, car elle avait été prédite par le théoricien relativiste belge Georges Lemaître (voir note 2 de n° 319). Qualifier Lyot et Hubble d’ « amateurs » en astronomie paraît un peu exagéré. Mais il est vrai que beaucoup de savants n’étaient pas au départ des spécialistes du domaine qui les a rendus célèbres, comme Pasteur qui était chimiste. Par contre, Lyot était sans doute autant ingénieur qu’astronome et on sait qu’Aimé Michel ne ratait pas une occasion de faire l’éloge des ingénieurs, comme dans la chronique n° 464 où il écrit : « Il est bon d’entretenir un certain romantisme de l’ingénieur qui de ses mains quasi magiques fabrique, comme le professeur Nimbus, des objets que la science réprouve, mais qui marchent. Après tout Edison n’était pas un savant, ni Marconi, ni Tesla, ni Georges Claude, ni tant d’autres qui ont transformé le monde ».
  7. Sur cette célèbre formule du général et philosophe prussien Carl von Clausewitz (1780-1831), voir note 9 de n° 374.
  8. Cet espace « peut-être infini où tout ce qui peut se produire existe quelque part », ouvre sur des réflexions vertigineuses que l’on pourra poursuivre à l’aide des chroniques n° 355 (note 7) et 459 (note 14). La question « quelles chances y avait-il au temps des dinosaures… » est une variation sur l’interrogation profonde de la précédente chronique, n° 475.
  9. Sur le Big Bang, le décalage vers le rouge, l’univers visible et la forme de l’univers, voir la chronique n° 319.
  10. Sur l’espace-temps, voir n° 466, Le temps déployé – Passé, futur, ailleurs selon le physicien Olivier Costa de Beauregard. Sur l’en-dehors de l’espace-temps, voir n° 285, La dernière serrure – Un monde en dehors de l’espace et du temps, en particulier la note 4, et la fin de la note 7 de n° 471.
  11. Sur cette ultime parole du Christ, voir n° 443 (note 3) et mon correctif, note 9 de n° 459. Le théologien jésuite Joseph Moingt s’interroge lui aussi sur le sens de cette parole. Selon lui, lorsque Jésus se rend compte que son enseignement se heurte à l’hostilité de ses coreligionnaires, « un conflit s’installa, dans sa pensée, entre sa mission et l’issue fatale qui se dessinait : toujours d’après les traditions apocalyptiques, il était réservé au Fils de l’homme d’inaugurer le Royaume et d’ouvrir les portes du banquet messianique ; comment cela se ferait-il si Jésus allait être mis à mort, rejeté par son peuple ? ou bien s’était-il trompé en se prenant pour l’Envoyé des derniers temps et devait-il renoncer à sa mission ? Jésus se posa toutes ces questions dans le jardin des oliviers, la prière lui donna le courage de ne pas se dérober à ceux qui venaient l’arrêter, puis de confirmer à ceux qui l’interrogeaient sa mission d’envoyé messianique. A-t-il pensé que Dieu l’arracherait à la mort au dernier moment et est-il mort en désespéré ? Il n’est pas illégitime [c’est moi qui souligne] d’interpréter ainsi son interrogation sur la croix : “Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” et le “grand cri” qu’il poussa en expirant – quoique le centurion romain qui le regardait mourir en jugeât autrement, disant : “Vraiment cet homme était Fils de Dieu” (Mc 15, 34-39), et quoique les humiliations qu’il avait subies durant son procès et sa crucifixion n’empêchassent pas ses disciples et bien d’autres juifs de croire quelques jours plus tard à sa résurrection. Celle-ci est restée pour les croyants la preuve que Jésus, malgré son ignorance des desseins de Dieu, n’avait rien perdu de sa confiance en lui. » (Croire au Dieu qui vient. I. De la croyance à la foi critique, Gallimard, Paris, 2014, p. 554). Notons au passage la différence de points de vue sur les mêmes évènements : Joseph Moingt s’interroge sur les pensées intimes de Jésus tandis qu’Aimé Michel s’interroge sur la dimension cosmique du mal. Qui dira laquelle des deux interrogations est la plus présomptueuse ?
  12. Comme la chronique précédente, celle-ci s’achève sur une note positive. L’analyse scientifique du monde peut conduire à la désespérance et au nihilisme, à cause des désordres, du « hasard absolu » et de l’absence de sens qui y règnent (ou semblent y régner). Même dans l’ordre scientifique, d’autres faits et non des moindres autorisent à mettre en doute cette lecture partiale et unilatérale, en premier lieu la lente montée de la complexité du cosmos en général et de la Terre en particulier (en attendant d’en savoir plus sur ce qui se passe dans la multitude des autres planètes) et la finesse de réglage des lois de la nature qui la rend possible (voir note 4). À cela s’ajoute l’existence de la conscience, irréductible au monde découvert par la science actuelle (voir par ex. n° 468).