VIKING ET L’AUTRE FAÇON AMÉRICAINE D’ÊTRE PLOMBIER - France Catholique

VIKING ET L’AUTRE FAÇON AMÉRICAINE D’ÊTRE PLOMBIER

VIKING ET L’AUTRE FAÇON AMÉRICAINE D’ÊTRE PLOMBIER

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Il n’est pas encore temps de discuter les résultats de l’opération Viking, si importants soient-ils déjà, y compris l’enseignement de ses échecs. N’oublions pas qu’il s’agit de l’exploration d’une planète. Que saurions-nous de la Terre après quelques photos et mesures prises au milieu du Sahara ? Il faut savoir être patient, même quand l’action est palpitante1.

En revanche, l’exploit technique, lui, prête à réflexion, car il est accompli2. Rappelons-en l’essentiel. Les deux Viking sont des machines de cinq tonnes. Ils ont été satellisés autour de la Terre l’été dernier, puis ils ont quitté leur orbite et parcouru dans l’espace, avec une précision parfaite, des centaines de millions de kilomètres.

Viking 1 est arrivé dans les parages de Mars en juin 1976, alors que la planète se trouvait à 335 millions de kilomètres de la Terre. Sur un ordre radio lancé de la Terre, il s’est resatellisé, autour de Mars cette fois. Il a pris des photos, les a transmises en code binaire, aussitôt décrypté, au Jet Propulsion Laboratory, ou JPL 3. Les savants américains ont alors, pendant un mois, étudié à la loupe les aires d’« atterrissage » les plus prometteuses. Cet examen leur a donné envie de changer d’orbite pour étudier un autre grand cercle autour de Mars. Ce qui fut commandé et exécuté à la perfection. Le 14 juillet, les hommes du JPL avaient fixé leur choix sur une aire d’atterrissage et annonçaient que celui-ci s’effectuerait sans problème le mardi suivant, 20 juillet. Ce qui fut fait à la seconde prévue, là où l’on avait dit.

La moitié seulement de Viking atterrit, l’autre moitié restant satellisée pour servir entre autres choses de relais avec la Terre. Dès les premières minutes du séjour de Viking 1 sur le sol de Mars, une foule de questions que l’on se posait depuis des siècles étaient résolues, d’autres surgissaient (j’y reviendrai le moment venu).

L’Amérique ne pouvait célébrer son 200e anniversaire par un exploit plus véritablement glorieux pour elle et pour l’humanité, cela a été dit, et rien n’est plus vrai.

Maintenant, cet exploit, que signifie-t-il, qu’exprime-t-il ? Une réponse, superficielle, et même aveugle (l’aveuglement du sectarisme, qui toujours se trompe), est : cet exploit est le produit de la richesse et de la compétence4. La richesse ? Entre 2 et 5 milliards de francs, selon ce qu’on comptabilise au titre de Viking dans les expériences précédentes. C’est-à-dire le prix de quelques unités de Concorde. La compétence ? Certes. Mais c’est un mot vague. On ne fait pas de moins bonnes études en Europe et en Russie. Et, d’ailleurs, il y a au JPL et à la NASA des Européens tout à fait semblables à leurs collègues restés en Europe. Les ingénieurs soviétiques qui, au moment même de Viking, faisaient autour de la Terre des expériences de vol combiné complètement périmées ne sont pas moins compétents que les Américains. Alors ? Que signifie au juste ici le mot « compétent » ?

Si au moins nous autres, Français, arrivions à prendre une claire conscience de ce que signifie dans les faits la réalisation d’une expérience comme Viking, beaucoup de nos problèmes seraient résolus.

Il est bien vrai que l’on fait ici (si l’on veut) d’aussi bonnes études qu’Outre-Atlantique. Mais quand on a terminé ses études, tout reste à faire. Nous croyons dur comme fer que « le diplôme donne droit à ». Déjà Taine, au siècle dernier, dénonçait cette illusion latine après avoir étudié les systèmes éducatifs anglo-saxons. En fait, le diplôme, non seulement « ne donne droit à » que dans le cadre abstrait des administrations, mais il trompe son titulaire en lui dissimulant son ignorance des réalités.

J’ai jadis passé un concours d’ingénieurs et, pendant quelque temps, je fus très vain d’avoir obtenu la deuxième place sur sept cents ou huit cents candidats. Malheureusement, à l’usage, le premier se révéla un bon à rien. Alors, le second ? Alors, eh bien ! le second, comme les autres reçus, se classa peu à peu selon des critères où la peau d’âne n’avait plus rien à voir. Il ne trouva même sa compétence qu’en changeant de métier !5

Viking n’est pas le triomphe isolé d’un groupe de savants américains. Il est celui d’un état d’esprit qui se décèle déjà chez l’enfant et ne cesse ensuite de se développer, une curiosité d’esprit concrète, un savoir-faire où les mains et l’esprit se conjuguent sans cesse. « Ne pas travailler de ses mains » n’est considéré comme une promotion sociale qu’en France, depuis la disparition de la Chine des mandarins (je ne parle pas des pays du Tiers Monde)6.

Dans telle famille californienne que je connais, le fils, neuf ans, relève matin et soir les données de la station météo qu’il a construite avec son père (qui n’est ni météorologiste ni physicien) et les transcrit avec un soin méticuleux sur une bande quadrillée. Puis je le vois examiner d’un air pensif les courbes divagantes des diverses variables, cherchant instructivement les corrélations. Un futur physicien ? Pas plus qu’un autre. Il sera peut-être avocat. Mais il saura réparer lui-même sa plomberie et son électricité, comme tout le monde ou presque, y compris, de plus en plus souvent, les femmes.

Mais même cela, je crois, n’est que la manifestation de quelque chose de plus profond, qui existait aussi jadis au plus haut point dans notre peuple quand il était encore fait surtout d’artisans et de paysans : le désir, je dirai nuptial, du contact avec la réalité matérielle, le plaisir de n’en être séparé par rien, même si cette réalité est rebutante comme la terre, le charbon, le métal, le béton, et de savoir la manipuler pour y assurer son bien-être. Ce désir, ce plaisir supposent la liberté.

Parmi les livres que l’on trouve le plus souvent dans les familles américaines, il y a les Fox-Fire-Books, où l’on apprend comment tirer du sucre de la forêt avec un couteau, comment saler un ours et le mettre de côté pour l’hiver, comment construire une maison avec une hache. Romantisme pour la plupart, certes, mais je connais un professeur d’université qui disparaît cinq mois par an, tout seul, dans les montagnes de l’Orégon et du Washington, sac au dos. J’en connais combien d’autres qui ont construit eux-même leur maison ou leur avion, ou bien quelque instrument de musique électronique complètement délirant, occupant tout un étage !

Viking n’est rien dans l’activité de l’Amérique. Une petite fantaisie. En ce moment même, des millions d’autres Américains que Viking n’intéresse pas sont en train de bricoler leurs propres « contraptions », comme ils disent, « machins » extravagants ou géniaux. Dans quel but, poussés par quel démon ? Simplement pour le plaisir de faire ce qui n’a jamais été fait, « the untried », comme a bien dit Ford dans son discours pour le bicentenaire7.

L’Européen sceptique sourit de ce qui lui paraît une naïveté (a). Nous avons, pense-t-il, passé l’âge de ces amusements superficiels.

Superficiels ? L’ennui est qu’en s’amusant ainsi les Américains ont fini par être les maîtres du monde. Je crois qu’une des lois les plus profondes de l’univers est qu’il aime s’amuser. Et qu’il aime bien ceux qui s’amusent avec lui.

Aimé MICHEL

(a) L’Américain aussi rit de ses extravagances. Voir les dessins et albums de Chess Adams.

Chronique n° 254 parue dans F.C. – N° 1549-1550 – 20-27 août 1976


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 28 janvier 2013

  1. Le principal « échec » de la mission Viking auquel Aimé Michel fait ici allusion est celui de la mise en évidence d’une vie martienne. C’était le cœur de la mission. Les ingénieurs avaient compacté trois laboratoires de biologie dans 9 kg d’équipement de la taille d’une mallette. Les trois expériences fonctionnaient sur le même principe : prendre de la terre martienne, la mélanger avec un milieu de culture dans une enceinte close et mesurer les gaz émis ou absorbés. En outre, la sonde emportait aussi un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse (CG-SM) pour détecter et identifier les composants organiques du sol. Les expériences de biologie de Viking 1 eurent lieu le 28 juillet 1976. Dans les trois expériences un fort dégagement de gaz se produisit immédiatement puis cessa. Cela évoquait davantage une réaction chimique qu’une croissance biologique. Deux semaines plus tard la mise en œuvre du CG-SM ne révéla aucune trace de carbone organique, ce qui fut une surprise car il aurait dû y en avoir en provenance de l’espace. En septembre, Viking 2, à 6700 km de là, refit les expériences avec les mêmes résultats.

    De longues discussions s’ensuivirent. Aujourd’hui la plupart des chercheurs concernés pensent que les sondes Viking n’ont pas trouvé de vie sur Mars. En tout cas, ce que les analyses ont trouvé c’est un sol riche en peroxydes et en superoxydes. Ces dérivés très actifs de l’oxygène expliquent les résultats d’au moins deux des expériences de biologie et également l’absence de composés organiques (ils les détruisent par oxydation). Tout n’est pas clair pour autant parce qu’une équipe dirigée par Gilbert Levin, responsable d’une des expériences de biologie, a tenté d’en reproduire les résultats à l’aide de moyens non biologiques et n’y est pas parvenue.

    Bien sûr il reste possible que la vie martienne se soit réfugiée dans d’autres zones géographiques ou dans les profondeurs du sol. Sans compter que cela laisse entier la question des fossiles d’une vie disparue.

  2. Aimé Michel distingue à juste titre les aspects techniques et scientifiques des missions spatiales. Les ingénieurs conçoivent, fabriquent, pilotent et surveillent les sondes tandis que les scientifiques conçoivent les instruments de mesure embarqués et analysent les données qu’ils fournissent. Bien que la réussite finale repose sur une étroite complémentarité et coopération entre ingénieurs et scientifiques, leurs métiers sont suffisamment distincts pour qu’il soit utile d’analyser les missions spatiales de ces ceux points de vue complémentaires. Il faudrait aussi y ajouter leur considérable dimension politique, administrative et financière qu’il ne faut pas minimiser. Le tout est très intriqué. Ainsi, la mise en œuvre du programme Viking avait été très difficile à cause de restrictions budgétaires. En conséquence les deux lancements avaient été retardés de deux ans. Les membres de l’équipe Viking s’en félicitèrent par la suite, car ce retard leur permit d’améliorer grandement les capacités et la fiabilité de ces machines complexes. (La même mésaventure est d’ailleurs survenue à la mission Curiosity actuellement en cours : ce projet très ambitieux a nécessité des recherches imprévues et des surcoûts qui ont bien failli y mettre fin. La fenêtre de lancement prévue en 2009 a été ratée et il a fallu attendre la suivante en 2011, car on ne s’envole pas de la Terre vers Mars quand on veut, mais quand les positions relatives des deux planètes s’y prêtent. Le coût total du programme a été évalué à 2,5 milliards de dollars, soit l’équivalent de 6 Airbus A380 au prix catalogue d’environ 400 millions de dollars en mai 2012, en bon accord avec l’indication d’Aimé Michel.)

    L’histoire des vols vers Mars illustre bien ces difficultés techniques. D’autant plus grandes que les missions ne visent pas seulement à atteindre Mars et se satelliser autour d’elle, mais aussi à s’y poser en douceur, voire à s’y promener. Ces différentes tâches confiées à des modules différents ont introduit tout un vocabulaire nouveau auquel on s’est habitué sans y prendre garde : orbiteur, atterrisseur, rover (ce qui signifie « vagabond » et qu’on traduit par robot, astromobile, ou qu’on ne traduit pas ; pourquoi ne dirait-on pas « rouleur » tout simplement ?) Trente-huit sondes ont été lancées vers la Planète rouge de 1960 à 2008 mais moins de la moitié ont atteint leurs objectifs.

    Les Américains tentent 17 missions dont 12 sont des succès, en particulier la série des Mariner (1965-1971, voir à ce propos la chronique n° 88, Quand deux plus deux font trois – Possible et impossible, 18.10.2011) qui révèle la diversité de la surface martienne avec une partie sud semée de cratères morts et une partie nord à la géologie plus troublée et intéressante. A l’époque, le succès des Mariner redonna confiance aux Américains et les remit en bonne position dans leur compétition avec les Soviétiques.

    Les Soviétiques tentent 18 missions mais deux seulement sont des (demi) succès : Mars 2 et Mars 3 en 1971. L’atterrisseur de Mars 2 s’écrase sur le sol martien tandis que celui de Mars 3 est le premier à s’y poser en douceur ; mais au bout de 14,5 secondes les communications avec la sonde sont interrompues, sans doute à cause d’une de ces violentes tempêtes de sable qui soufflent parfois sur la planète. Les orbiteurs ne font guère mieux : la plus grande partie des données de Mars 2 sont perdues à cause d’une mauvaise télémétrie et Mars 3 ne produit qu’une seule photo de la planète. L’échec le plus grave et le plus durement ressenti est celui d’un des plus beaux projets, Mars 96, fruit de la collaboration de 20 pays pendant 10 ans. Il devait se poser sur la planète et, entre autres, y lâcher un ballon du CNES. Lancé en novembre 1996, la panne d’un propulseur empêche la mise en orbite solaire de la sonde qui s’abime dans le Pacifique, entraînant une sévère perte de prestige de l’astronautique russe.

    Les Japonais font une tentative (Nozomi en 1998) qui échoue parce que, faute de pouvoir décongeler le carburant des réservoirs, la satellisation autour de Mars est impossible. Les Européens en font une également (Mars Express en 2003) qui est un succès, bien que le petit atterrisseur Beagle n’ait pas donné satisfaction (mais c’était un à-côté de la mission principale confiée à l’orbiteur).

    Au total, sur seize tentatives d’atterrissage, sept seulement réussissent : Viking 1 et 2 en 1976, Mars Pathfinder en 1996, Spirit et Opportunity en 2003, Phoenix en 2008, Curiosity en 2012. Par contre Mars Polar Lander s’écrase sur Mars en 1998. Clairement, envoyer et poser un engin à la surface de Mars n’est pas une opération simple.

  3. Le célèbre Jet Propulsion Laboratory (JPL, laboratoire de la propulsion par réaction) est chargé de la construction et du suivi des vols spatiaux inhabités. Situé à Pasadena en Californie, à une vingtaine de km de Los Angeles, il a été crée dans les années 1930 par un pionnier des fusées, le professeur Theodore von Karman de l’Institut de Technologie de Californie (CalTech). En 1958, le JPL est placé sous la double tutelle du CalTech et de la NASA qui vient d’être créée suite au lancement de Spoutnik I par les Soviétiques. Bien qu’il ne change pas de nom, il abandonne alors toute recherche en matière de propulsion pour se spécialiser dans les sondes automatiques. Les programmes qu’il mena à bien sont tous célèbres : Explorer (1958), Mariner vers Mars, Vénus et Mercure (1962-1975), Pioneer (1959-1978), Viking (1976-1982), Voyager vers les planètes extérieures (1977-2025), Magellan vers Venus (1989-1994), Galileo vers Jupiter (1989-2003), Mars Global Surveyor (1996-2006), Cassini-Huygens vers Jupiter et sa lune Titan (en collaboration avec l’Europe, 1997-2017), Stardust vers une comète (1999-2011), Mars Odyssey (2001-2016), Mars Pathfinder (1996-1997), Mars Exploration Rover (2003-2012). Les dates indiquées sont celles du lancement et de la fin de mission.
  4. Cette vive critique du rôle de la richesse et de la compétence, très surprenante de prime abord, est bien dans la manière d’Aimé Michel et de son aptitude à poser sur toute chose un regard interrogateur, neuf, sans habitude. N’est-il pas évident que les vols spatiaux, habités ou non, exigent de grandes compétences et sont un signe extérieur de la richesse des nations ? Non, objecte-t-il, car ce qui compte avant tout c’est « l’état d’esprit », le « savoir-faire où les mains et l’esprit se conjuguent sans cesse ». Il est facile de se convaincre de la justesse de ce point de vue. L’URSS n’était pas à proprement parler « riche », simplement son gouvernement consentait à dépenser beaucoup d’argent dans un domaine qui servait son prestige et contribuait à sa puissance militaire (missiles, télécommunications etc.), encore que son organisation et son « état d’esprit » ne lui permettait pas de réaliser des prouesses aussi exigeantes en miniaturisation, électronique et informatique que celles exigées par un programme comme Viking. A l’inverse, l’Europe avait la richesse mais n’a jamais souhaité l’utiliser dans des projets tenus pour trop éloignés des besoins des populations, comme si la portée symbolique, la motivation, la légitime fierté de ces réalisations collectives ne comptaient pour rien.

    Aimé Michel regrette que l’Europe ne soit pas plus ardente à « essayer l’inessayé, mettre l’impossible à l’épreuve et prendre des chemins risqués vers le cœur de l’inconnu ». On peut certes reprocher à l’Europe son manque d’ambition et regarder le verre à moitié vide mais on peut tout de même saluer les rares tentatives européennes dont certaines ont été de très belles réussites techniques et scientifiques comme le module Cassini qui est descendu dans l’atmosphère de Titan, le télescope spatial Planck (voir la note 3 de la chronique n° 133, La création a pile ou face – Est-on sûr que l’univers a eu un commencement ?, 14.02.11) ou la sonde Mars Express.

    Mais ce n’est pas tout. La presse a signalé que l’un des principaux instruments appelé ChemCam embarqué par l’astromobile Curiosity, qui roule en ce moment sur Mars, est un spectromètre laser pour l’analyse à distance de la composition des roches et que cet instrument a été conçu et réalisé par un laboratoire français. Mais sait-on aussi qu’il est piloté par une équipe située à Toulouse composée de six ingénieurs et d’une vingtaine de scientifiques du CNES et du CNRS ? Chaque jour à partir de 17h, pour être en synchronie avec le JPL, cette équipe reçoit les images mosaïques envoyées par la sonde sur son environnement, les étudie en 3 dimensions pour décider quelles sont les roches qui sont les plus intéressantes à analyser, programme les tirs du laser qui doivent parfois atteindre leur cible au millimètre près à 4 ou 5 mètres de distance, puis récupère les informations recueillies par l’instrument et les interprète. Chaque jour ce sont 2 ou 3 centaines de tirs qui sont programmés : le ChemCam est ainsi l’un des instruments les plus sollicités. Comme le dit l’un des membres de l’équipe : « Nous faisons des petits trous sur Mars, si petits que si un Martien pouvait passer par là il ne les verrait même pas ! C’est un rêve d’enfant qui se réalise ». Ajoutons que la distance Terre-Mars est si grande qu’il faut plusieurs dizaines de minutes pour envoyer un signal radio jusqu’au robot et autant pour recevoir ses nouvelles. Il n’est donc pas question de télécommander la machine en temps réel.

  5. En 1942 Aimé Michel réussit, à Paris, le concours d’entrée à un stage de formation d’ingénieurs du son. Ce concours était organisé par le Studio d’Essai de la Radio Nationale que le polytechnicien Pierre Schaeffer venait de créer. Dans Les antennes de Jéricho (Stock, 1978, pp. 185-186), Schaeffer qui deviendra par la suite célèbre comme homme de radio, théoricien des média et créateur de la musique concrète, explique l’esprit de ce concours non-conventionnel. Il s’agissait de découvrir, outre des scriptes et des metteurs en ondes, « des ingénieurs du son qui aient l’oreille musicale et le savoir-faire technique ». « Pour ces trois catégories professionnelles, j’avais conçu une épreuve commune, une sorte de course au trésor : il fallait, pour atteindre l’objectif, mettre en œuvre des qualités complémentaires de sang-froid, de bon sens et d’imagination. L’épreuve accumulait des contretemps et des incohérences, celles-là même qui surviennent infailliblement dans la vie, et dans la vie professionnelle notamment. (…) Quant aux ingénieurs du son, par exemple Jacques Poullin, Aimé Michel, Maurice Cazeneuve et Arnaud de Chassipoulet, qui franchirent le barrage, ils se montrèrent, malgré leurs diplômes disparates, également doués. Ils firent par la suite de brillantes carrières divergentes. »

    Aimé Michel m’avait raconté l’une des nombreuses épreuves qu’il avait eues à affronter, épreuve qui montre bien l’esprit du concours. On lui avait demandé son avis sur un disque qui lorsqu’il le mit sur le tourne-disque ne produisit aucun son. Réglages, vérifications, rien n’y fit : silence total ; et silence également de l’impétrant. On lui expliqua ensuite que c’était un disque spécial destiné justement à ne produire aucun son qu’on utilisait dans ce but à la radio !

    En tout cas, c’est à l’issu de ce recrutement (qui fut difficile pour d’autres raisons sur lesquelles je reviendrai une autre fois) qu’Aimé Michel rédigea deux rapports manuscrits non datés intitulés Les Techniciens de la Radio (ce rapport émanant du « Studio d’Essai, Radiodiffusion Nationale » consacre plusieurs pages aux concours d’admission de 1943 et 1944, il ne peut donc être antérieur à 1944) et Idées concernant le personnel technique des studios, et plan de constitution d’un fichier technique des prises de son (dont la couverture nous apprend qu’Aimé Michel était alors « chargé d’études psychotechniques au Studio d’Essai »).

  6. Aimé Michel est souvent revenu sur l’éminente valeur du travail manuel. Voir par exemple la chronique n° 230, Le travail manuel – D’où diable nous vient ce préjugé qu’il n’est d’étude que livresque ? (10.09.2012). Voir aussi la note 3 de la chronique n° 228, Le Q.I. d’Ivan Denissovitch – La réussite d’une vie ne se mesure pas à la hauteur atteinte sur le perchoir social (03.09.2012), qui tente de préciser les origines de cette vue. Curieusement il n’a pas parlé de l’Allemagne à ce propos.
  7. Voir la chronique n° 253, Au cœur de l’inconnu (Début) – Viking : un bicentenaire sur Mars publiée ici la semaine précédente.