Pier Giorgio Frassati, le saint des cimes - France Catholique
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Carlo Acutis et Pier Giorgio Frassati canonisés
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Pier Giorgio Frassati, le saint des cimes

Sa devise était « Verso l’alto ! », « Vers le sommet ! ». Donné comme modèle pour la jeunesse et les sportifs, Pier Giorgio Frassati témoigna dans sa courte vie d’une discipline constante afin d’atteindre la perfection spirituelle.
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Des milliers de personnes viennent de toute la ville, surtout des quartiers les plus pauvres. Tous suivent le cercueil du jeune homme de 24 ans foudroyé par la poliomyélite alors qu’il avait encore tant de zèle charitable à déployer. Ce 6 juillet 1925, Turin est en deuil, les rideaux des commerces sont baissés, et la circulation des trams s’est arrêtée pour laisser passer la foule, mais curieusement ce n’est pas la tristesse qui domine. Luciana, la sœur du défunt, écrira : « Moi qui suivais le cercueil, je n’arrivais pas à être désespérée. Il me semblait que je marchais comme soulevée de terre, participant à un triomphe. Derrière Pier Giorgio, il me semblait que nous aurions continué à marcher toute notre vie. » Son cercueil est porté dans l’église de la Crocetta par ses camarades étudiants avec lesquels il a passé tant de moments joyeux et complices. Il est ensuite inhumé au cimetière de Pollone dans le Piémont, à proximité des montagnes qu’il aimait tant gravir. En 1981 son corps est exhumé dans le cadre de son procès en béatification. Depuis, il repose dans la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin, juste à côté du Saint-Suaire, et les pèlerins viennent nombreux le prier.

Fils du patron de « La Stampa »

Comment Pier Giorgio Frassati, jeune homme fougueux, engagé dans les combats de son temps, laïc qui n’a pas fait de miracles ni fondé de congrégation, incarne-t-il la sainteté au XXIe siècle ? Même ses parents sont tombés des nues en constatant la popularité de leur fils le jour de ses obsèques. Né dans une famille de la grande bourgeoisie turinoise, le jeune homme semble avoir suivi son chemin de foi dans l’indifférence familiale. Son père Alfredo Frassati a deux passions : le journalisme et la politique. Sa plus célèbre réussite : devenir le patron du journal La Stampa qui tire en 1915 à 400 000 exemplaires. Sa nomination au poste d’ambassadeur d’Italie en Allemagne en 1920 et sa fonction de sénateur de 1948 à 1953 seront les deux autres étapes d’une prestigieuse carrière. Tout naturellement, le père souhaite que le fils reprenne le flambeau de ses ambitions. Que d’inquiétude et d’incompréhension lorsque Pier Giorgio, qui n’a pas d’appétence pour les études même s’il entre en 1918 à l’École polytechnique de Turin, s’enthousiasme pour le catéchisme ! Né le 6 avril 1901, un Samedi saint, il n’oublie pas le jour de sa Première communion en 1911 et il s’efforce de recevoir l’Eucharistie le plus souvent possible, répondant ainsi au vœu de Pie X d’inviter les enfants à la communion régulière. S’il s’ennuie sur les bancs de l’école, c’est parce qu’il juge qu’on ne lui parle pas assez de Jésus et de l’histoire sainte. Un prêtre salésien va alors jouer un rôle considérable dans la formation de Pier Giorgio : don Antonio Cojazzi. C’est auprès de lui que l’adolescent connaît un véritable déclic spirituel qui le pousse à s’engager dans plusieurs mouvements catholiques comme l’Apostolat de la prière ou la Croisade eucharistique, à la surprise de ses parents. Ces derniers ne sont pas hostiles au catholicisme mais ils sont plus épris des conventions sociales que des vérités de la foi. La mère de Pier Giorgio, Adélaide, est une artiste peintre qui peu après la naissance de son fils et de sa sœur cadette Luciana s’éloigne de son mari. Le futur saint va grandir dans un environnement familial déchiré où l’atmosphère dans le couple parental est glaciale.

« Prière, action, sacrifice »

Rien n’arrête cependant le jeune homme dans la fougue qu’il déploie pour évangéliser ceux qu’il rencontre au gré des réunions dans les associations où il s’est investi, et lors des temps de prière. Pier Giorgio a en tête l’encyclique Rerum novarum promulguée par le pape Léon XIII en 1891 qui traite de la « doctrine sociale de l’Église ». Il a aussi fait sien le programme de vie de l’Action catholique : « Prière, action, sacrifice ». Tout naturellement, il s’engage comme baptisé au service des plus pauvres dont il a eu le souci dès son plus jeune âge : dons d’argent, de vivres, de couvertures. Cependant, les âmes charitables n’en font-elles pas autant ? L’adolescent va alors tout donner de lui-même en adoptant un style de vie de plus en plus ascétique : il parcourt la ville à pied, été comme hiver, pour économiser les billets de tramway et les offrir aux démunis, il se déleste de tout superflu, et il se prive de repas préparés par la cuisinière de la famille pour nourrir les pauvres qu’il va visiter dans des logements insalubres. À Berlin, où son père a été nommé ambassadeur d’Italie, il donne son manteau à un clochard un soir d’hiver, tel un saint Martin contemporain. Son modèle est un autre géant de la charité : saint Vincent de Paul. En bon apôtre, discrètement, il subtilise un matin les fleurs disposées dans de magnifiques vases à l’occasion d’une réception au domicile familial. Il va les déposer sur le cercueil d’un indigent dont il paie les obsèques. Le jour même de sa mort, il n’oublie pas ceux dont il a la charge. Sa dernière lettre écrite, adressée à la Conférence Saint-Vincent-de-Paul, est accompagnée d’ampoules d’injection destinées à un homme nécessiteux dont il prend soin.

Communion quotidienne

En catholique engagé de son époque, Pier Giorgio comprend très vite que l’action politique sans la charité n’est rien. Il adhère au Parti populaire italien, un parti fondé par un ecclésiastique, le Père Luigi Sturzo, mais il prend ses distances lorsqu’il voit les députés du parti soutenir la montée du fascisme en 1922. Sa courte durée de militantisme politique lui fait comprendre que la vérité chrétienne n’est pas à négocier. Dès lors, il ressent le besoin de donner davantage de souffle mystique à ses actions de charité. Il fait plusieurs retraites cloîtrées chez les jésuites de la Villa Santa Croce de Turin et il devient, à 21 ans, tertiaire dominicain sous le nom de « frère Jérôme Savonarole », en pensant sans doute pouvoir comme le moine du XVe siècle se montrer incorruptible pour réformer les mœurs de son temps. Désormais la récitation quotidienne du Rosaire est son fortifiant spirituel. Sa dévotion mariale se renforce, et il n’a jamais oublié le chapelet qu’il a confectionné avec des graines de plantes dans le jardin de la maison de campagne de Pollone quand il avait huit ans.

« Je vous exhorte de tout mon cœur à vous approcher le plus souvent possible de la table eucharistique. Nourrissez-vous du pain des anges et vous y puiserez la force pour mener les luttes intérieures, les combats contre les passions et contre toute adversité », tels sont les mots de Pier Giorgio Frassati adressés à la jeunesse catholique de Pollone le 29 juillet 1923. L’amour de l’Eucharistie, la communion quotidienne sont au cœur de sa vie et de son aspiration à la sainteté. Dans la même lettre, le jeune homme de 23 ans n’hésite pas à souligner l’importance du sacrifice chrétien qui apparaît comme suranné à l’époque moderne : « Notre vie, pour rester pleinement chrétienne, doit être un renoncement continuel, un sacrifice total qui n’a pourtant rien de pesant quand on songe au petit nombre d’années de difficultés en comparaison d’une éternité de bonheur. » La correspondance de Pier Giorgio laisse entrevoir une grande maturité humaine et spirituelle. Le futur saint devient logiquement un guide pour ses camarades et quand il participe à la création, quelques mois avant sa mort, de la société des Types louches, il s’agit pour lui d’une forme d’apostolat. Dans une ambiance pleine de fantaisie et d’humour, la bande d’amis prend pour devise : « Servir Dieu dans une joie parfaite. » Elle partage les repas joyeux et les temps de prière, ainsi que les courses en montagne. Pier Giorgio aime ces moments qui correspondent à son idéal de vie chrétien, où l’amitié est vécue à l’aune des valeurs de l’Évangile. Qu’en est-il de l’amour ? Car le futur saint fréquente au sein de la société des Types louches de sympathiques jeunes femmes dont l’une, Laura Hidalgo, a touché son cœur. Pendant des mois Pier Giorgio s’interroge : « Ai-je le droit de concilier mon apostolat de charité avec une vie amoureuse ? Suis-je fait pour le mariage ? » Plein de droiture, se plaçant en permanence sous le regard du Christ, le futur saint se sacrifie pour que la volonté de Dieu soit faite. Dans l’épreuve il écrit : « La charité […] peut être, avec la grâce de Dieu, le but que mon âme peut atteindre […]. Pour qui croit, les difficultés de la vie ne sont pas l’objet d’abattement. Mais elles servent de correction et d’encouragement énergique à reprendre la route. »

Ses derniers jours

Perpétuellement attiré par les sommets, Pier Giorgio reprend effectivement la route, celle qui par l’ascèse mène à la pleine rencontre avec Dieu, celle où les moments d’escalade sont des temps de prière. Féru d’alpinisme, la vallée d’Aoste est son domaine, et la joie son moteur, quand il s’agit de réaliser des exploits à plus de 3000 mètres et de dévaler les pentes à ski. Il ne s’engage jamais dans une ascension avec ses amis de la société des Types louches sans avoir été à la messe le matin car il veut se mettre en règle avec sa conscience en intégrant l’idée qu’il puisse ne pas revenir. Peu à peu les élévations en montagne rejoignent celles de son âme. À partir de 1920, sa vie spirituelle s’intensifie. Plusieurs nuits par semaine, il veille le Christ, seul, devant le tabernacle d’une église. Sa prière touche au ravissement. En 1925, ses derniers jours sur la terre ressemblent à l’escalade d’un sommet mystique. « Je crois que le jour de ma mort sera le plus beau jour de ma vie » confie-t-il à quelques camarades sans savoir qu’il lui reste peu de temps à vivre.

Le 30 juin, il ressent de vives douleurs dans le dos lors d’une excursion sur le Pô, puis rapidement les souffrances et la fièvre le clouent au lit. Personne ne s’inquiète de son sort car, dans la chambre à côté de la sienne, sa grand-mère maternelle est à l’agonie. Sitôt son dernier souffle rendu, la mère de Pier Giorgio se rend compte de la gravité de l’état de son fils. Un ami prêtre est appelé à son chevet. Pier Giorgio se confesse et communie, puis voulant se préparer à la rencontre avec son Seigneur il dit à sa mère : « Si mon état s’aggrave, promettez-moi de m’en avertir », puis, comme il l’a fait toute sa vie, il prend encore soin des autres et console sur son lit de mort. On l’entend prier à voix basse et murmurer à Dieu de lui pardonner ses fautes. Le 4 juillet vers 19 heures, sa sœur Luciana entend encore un souffle de vie puis « un coup de vent mystérieux passe dans le corridor ». Voilà le saint de Turin parti pour gravir son ultime sommet.