Il n’est pas banal de contempler le corps d’un saint du XXIe siècle lorsque, dans sa châsse de verre, ses habits pour l’éternité sont un jeans, un sweat-shirt et des baskets. C’est ainsi que Carlo Acutis se donne à voir, visage joufflu et cheveux de jais, un chapelet entre les mains, depuis le 6 avril 2019, dans la petite église Sainte-Marie-Majeure d’Assise (Italie), également appelée sanctuaire du Dépouillement. En ce lieu, saint François d’Assise se dépouilla de ses vêtements pour les rendre à son père, lui signifiant ainsi qu’il ne ferait plus que la volonté de son Père des Cieux. Carlo Acutis se sentait en communion avec le fondateur des franciscains : il partageait sa simplicité, son amour des pauvres, sa louange pour la création et son affection pour les animaux. Il savourait la lecture de son poème préféré : le Cantique des Créatures.
Le choix d’Assise
Sans doute, lui qui n’aspirait qu’à être du Ciel, avait-il l’intuition de mourir jeune, car il avait demandé plusieurs fois à ses parents à être enterré à Assise. Le jeune homme connaissait bien cette petite ville de l’Ombrie pour y séjourner en famille l’été, pour marcher en silence dans les champs, parmi les oliviers et les oiseaux, et pour prier longuement dans la petite chapelle de la Portioncule où, une nuit de 1216, Jésus et la Vierge Marie entourés d’une multitude d’anges apparurent à saint François. Le jour de sa béatification, le 10 octobre 2020, le cœur de Carlo fut déplacé dans la basilique Saint-François-d’Assise, à côté du cœur de ce saint qu’il aimait tant. Depuis ce jour également, sa tombe, exposée au public, est devenue un lieu de pèlerinage. Selon le diocèse, plus d’un million de personnes ont prié devant sa dépouille en 2024, tous touchés par l’exemple de l’adolescent témoignant de l’extraordinaire dans une vie bien ordinaire.
Des baisers au crucifix
Dès la toute petite enfance, Carlo Acutis vit une relation personnelle avec le Seigneur, apprenant très tôt à tout voir du point de vue de Dieu, non du point de vue du monde. Né le 3 mai 1991 à Londres où ses parents se trouvent pour des raisons professionnelles, il est baptisé quinze jours plus tard. Élevé à Milan, il est initié à la foi par sa nounou polonaise Béata qui lui lit des vies de saints. Lorsque l’enfant a seulement 4 ou 5 ans, elle l’accompagne dans les églises pour dire bonjour à Jésus présent dans le tabernacle. Sa mère le surprend à la maison à adresser des baisers au crucifix accroché sur le mur ou à la statue de l’Enfant-Jésus de Prague. Elle lui offre une chaîne en or avec une médaille du scapulaire de la Vierge Marie du Mont-Carmel, un précieux présent qu’il n’a jamais quitté pour, disait-il « avoir de cette façon Jésus et la Vierge toujours près de mon cœur ». Dans ce parcours qui ressemble déjà à une élévation spirituelle accélérée, la Première communion à l’âge de 7 ans est une pierre d’angle. L’enfant déclare : « Être toujours uni à Jésus, voilà le but de ma vie. » Dès lors, il va quotidiennement à la messe et se confesse chaque semaine, possédant tout jeune un sens aigu du péché. Il a une métaphore pour décrire les cicatrices que les fautes laissent sur l’âme : « Le plus petit défaut nous cloue au sol de la même manière qu’un ballon que vous tiendriez par une ficelle. » À seulement 11 ans, son zèle pour l’Eucharistie éveille chez le jeune garçon l’envie de faire le catéchisme. Il s’inquiète et s’attriste en effet de la tiédeur des cœurs pour le Saint-Sacrement et il a le sens de la formule pour amener ses camarades jusqu’à la confirmation : « Devant le soleil tu te fais bronzer, mais devant Jésus Eucharistie tu deviens un saint. » Volontaire et pragmatique, il met même au point un kit avec des recommandations pour aider ses camarades à progresser. Le programme est très exigeant : si possible la messe quotidienne et la confession hebdomadaire, mais aussi la lecture d’un passage de l’Écriture sainte, la récitation du Rosaire sans oublier de faire de son ange gardien son meilleur ami. Les confirmands sont-ils sensibles à ces conseils spirituels ? Carlo a la réputation d’être un garçon franc, joyeux, passionné de football et toujours prêt à rendre service, mais il est aussi moqué par les jeunes de son âge parce qu’il va à la messe, met en garde contre tout ce qui touche à la pureté du cœur, ou s’habille trop simplement, sans être à la mode. Lui n’en a cure et accueille les brimades avec humilité et douceur. Seule compte son unicité, née de sa conformité au Christ.
Les miracles eucharistiques, un électrochoc
Comment faire de ses camarades confirmands, des pratiquants réguliers de la messe, à l’âge adulte ? Carlo a bien conscience de la rudesse de la tâche. Il faut un électrochoc. Ce saint Paul des temps modernes a découvert les miracles eucharistiques au moment de sa Première communion. À l’âge de 11 ans, il participe à Rimini au rassemblement annuel du mouvement Communion et Libération qui réunit chaque année des milliers de personnes. Germe alors en lui l’idée d’une exposition où chaque panneau raconterait un miracle eucharistique. Un projet d’envergure puisqu’il faut répertorier tous les miracles survenus en 2 000 ans d’histoire de l’Église. Le jeune garçon passe des mois à faire des fiches, à visiter la bibliothèque de l’université catholique de Milan et à se lancer dans des recherches sur internet alors que les informations étaient beaucoup moins accessibles qu’aujourd’hui. Cent quarante panneaux illustrés, traduits dans plusieurs langues, feront le tour du monde. Carlo avait eu d’emblée la géniale intuition de mettre son exposition à la disposition de tous, en accès libre et gratuit, sur un site internet. Fort de ce succès fulgurant, l’amoureux de Jésus-hostie ne s’arrête pas en si beau chemin. Comme il attache une grande importance aux lieux d’apparitions mariales, il songe à préparer une nouvelle exposition pour les faire connaître. Il baptise son projet, qui ne verra jamais le jour, « Appels de la Vierge ». En revanche, l’exposition sur les miracles eucharistiques sera inaugurée à l’université pontificale de Rome, le 4 octobre 2006, le jour de la Saint-François-d’Assise. Carlo est alors en train de mourir mais il donne déjà à lire son plus beau testament.
« J’ai soif »
Carlo a 15 ans. Il passe son dernier été à réaliser un site demandé par les jésuites pour les aider dans leurs activités au service des pauvres, puis il partage des moments en famille à Assise où il insiste pour se recueillir sur la tombe de son cher saint François. Avec ses parents, il séjourne également sur la Riviera italienne dans le joli village de pêcheurs de Portofino. Il confie alors à sa mère Antonia qu’il a entendu dans son âme résonner les paroles de Jésus : « J’ai soif. » Pour Carlo, cela signifie que seul compte sur cette terre le salut de notre âme et des personnes que nous rencontrons. La question des fins dernières est chez lui, depuis longtemps, une préoccupation. Il consigne dans ses notes ce que les saints disent de l’enfer, il médite les paroles de la Vierge Marie aux petits bergers de Fatima, et il écrit au sujet du purgatoire : « Le purgatoire, c’est nettoyer nos vêtements jusqu’à en supprimer la dernière tache. On entre dans l’éternité partagée avec une robe blanche. » Il a l’habitude d’offrir de petits sacrifices pour aider les âmes du purgatoire en renonçant aux snacks, aux sucreries et aux fruits. Tout naturellement, quand il affronte la maladie, il offre ses souffrances.
Des souffrances offertes
Cette dernière frappe sans crier gare. Quelques jours après la rentrée scolaire, Carlo, fatigué, ressent des douleurs osseuses et a des bleus sur les jambes. Le 30 septembre, il vit son dernier jour de lycéen à l’institut Léon-XIII des Pères jésuites de Milan. Ensuite, sournoisement, le mal se déploie avec une fièvre continue doublée d’un mal de gorge. Ses parents ne s’inquiètent pas de ce qui ressemble à une grippe mais spontanément Carlo déclare : « J’offre mes souffrances pour le Pape, pour l’Église, afin de ne pas avoir à aller au purgatoire et d’entrer directement au Ciel. »
Le 7 octobre, ne tenant plus debout, il part pour l’hôpital où les médecins lui annoncent la terrible nouvelle : il souffre d’une leucémie aiguë de type M3 ou leucémie promyélocytaire. Sa mère est alors frappée par son attitude : il lui offre son plus beau sourire et il émane de lui sérénité, calme et sang-froid. Il lui demande de prier le Rosaire avec lui et il la prévient quand il est transféré à l’hôpital San Gerardo de Monza, spécialisé dans les leucémies : « Attends-toi à ce que je ne sorte pas d’ici vivant » et il ajoute : « Reste sereine. Je t’enverrai de nombreux signes du Ciel. » Carlo demande que le sacrement de l’onction des malades lui soit administré et l’aumônier de l’hôpital lui apporte la Sainte Communion. Les médecins et les infirmières sont frappés de voir le jeune homme supporter ses grandes douleurs sans gémir, comme s’il bénéficiait d’une force qui n’était pas la sienne. Avant de sombrer dans le coma, Carlo tourne son visage vers sa mère pour lui confier : « J’ai un peu mal à la tête » puis il sourit et ferme les yeux. Son cœur s’arrête de battre le 12 octobre 2006, laissant ses parents abasourdis par la mort de leur enfant unique survenue si brutalement.
Deux miracles à l’enterrement
L’une des paraboles que Carlo aimait le plus était celle du semeur qui rappelle que, si le grain de blé ne meurt pas, il ne porte pas de fruit. Il avait écrit : « En choisissant la mort, Jésus nous a redonné la vie. Le grain de blé c’est lui qui en mourant a porté beaucoup de fruits. » La fécondité de Carlo Acutis est palpable dès le jour de ses funérailles le 14 octobre. Ses amis sont là ainsi que tous ceux auxquels il est venu en aide : des mendiants, des sans-abri, des étrangers qu’il avait secourus au cours de ses maraudes. Beaucoup ont le sentiment qu’ils ne participent pas à un enterrement mais à une fête dans l’église Santa Maria Segreta de Milan, trop petite pour accueillir les centaines de personnes présentes. Carlo fait ses deux premiers miracles le jour de ses obsèques. Une dame atteinte d’un cancer du sein l’invoque et sera guérie. Une autre femme, âgée de 44 ans, venue tout spécialement le prier pour avoir un enfant, sera exaucée neuf mois plus tard en accouchant d’une petite fille. Antonia, la mère de Carlo aura aussi la faveur de recevoir un signe du Ciel. Cinq ans après la mort de son fils, elle mettra au monde, à 44 ans, des jumeaux, Francesca et Michele. Avant de mourir, Carlo lui avait prédit qu’elle serait à nouveau mère.
De façon inattendue, la renommée de sainteté de l’adolescent se répand rapidement. Six ans seulement après sa mort, l’archidiocèse de Milan lance une enquête sur sa vie et l’héroïcité de ses vertus. Sa mère Antonia est sollicitée de toute part pour témoigner de la façon dont « Carlo lui a montré comment vivre dans l’Éternité tout en étant dans le monde ». Le 5 juillet 2018, le pape François le déclare vénérable et le donne en exemple aux jeunes. Il le béatifie le 9 octobre 2020. Sa canonisation à Rome, le 7 septembre 2025, moins de vingt ans après sa mort, illustre bien que l’Eucharistie, selon les mots de Carlo Acutis, est « une autoroute pour le Ciel ».