Le saint Curé d'Ars, une vie en quête des âmes - France Catholique
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Le saint Curé d'Ars
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Le saint Curé d’Ars, une vie en quête des âmes

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Le Curé d’Ars au milieu d’une foule venue le voir, fresque de Paul Borel (1907) dans la basilique Saint-Sixte d’Ars-sur-Formans. © Sanctuaire d’Ars

Le saint Curé d’Ars, une vie en quête des âmes

Le saint Curé d’Ars, une vie en quête des âmes

Canonisé il y a cent ans, saint Jean-Marie Vianney est le modèle d’une vie sacerdotale donnée à Dieu au milieu des épreuves.
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Que fait donc en pleine nuit monsieur Vianney, vers deux heures du matin, sur la route qui l’éloigne du village d’Ars ? Arrivé à la croix des Combes, il s’arrête et réfléchit : « Est-ce bien la volonté de Dieu ce que j‘accomplis en ce moment ? La conversion d’une seule âme ne vaut-elle pas mieux que toutes les prières que je pourrais faire dans la solitude ? » Le brave curé rebrousse chemin et sa fuite, en 1840, passe inaperçue – mais par deux fois encore, il sera tenté de quitter ses paroissiens et les milliers de pèlerins qui se pressent dans son confessionnal. Il a pourtant supplié son évêque, Mgr Alexandre Raymond Devie, de le laisser, selon son expression, « pleurer sur ses pauvres péchés » loin des hommes, mais ce dernier l’a rappelé à sa tâche. La troisième fois, la nuit du 4 au 5 septembre 1853, ce sont les habitants qui sonnent le tocsin pour l’empêcher de quitter le presbytère muni de son seul bréviaire. Le prêtre ne sait où aller, il n’a rien préparé, il espère son départ définitif. Cependant, sur les quelques mètres qui séparent la cure de l’église, la misère humaine qu’il rencontre change le cours des événements. Des femmes venues de loin tombent à genoux en fondant en larmes et supplient le saint homme : « Mon Père, avant de partir, finissez de m’entendre ! Ne nous quittez pas ! » Un habitant trouve aussi les mots pour le retenir : « Comment ! Vous, Monsieur le Curé qui savez par cœur la vie des saints, vous oubliez le zèle de saint Martin ! Vous voudriez quitter le champ de bataille ? » Monsieur Vianney retourne alors à l’église et au confessionnal, se donnant désormais sans arrière-pensées à son ministère et se demandant si son envie de tout quitter n’était pas une ruse du diable. Pourtant, dès ses premières années de sacerdoce, le prêtre est habité par un désir de solitude, rêvant d’une vie retirée à la Trappe ou à la Chartreuse, ou du moins d’une retraite « dans un petit coin où il pleurerait sa pauvre vie ».

Il disparaît à 4 ans

Quel paradoxe entre l’aspiration à une existence loin du monde, en Dieu, et une vie tout entière consumée au service du salut des âmes et de ses paroissiens ! Les deux dimensions cohabitent dès l’enfance de Jean-Marie Vianney car le jeune garçon témoigne très tôt de grâces peu ordinaires. Ainsi, à l’âge de 4 ans, il se dérobe au regard de sa mère pour aller s’agenouiller et prier au fond de l’étable devant une statue de la Vierge Marie. À 7 ans, il endosse le rôle de prêtre pour ses camarades, les admonestant, devant un autel de fortune, à ne pas « proférer de blasphèmes et à bien aimer le bon Dieu ».

Né le 8 mai 1786, trois avant la Révolution française, Jean-Marie fera sa première communion clandestinement, dans une grange, en recevant la Sainte Hostie des mains d’un prêtre réfractaire et il ne connaîtra enfant que des églises fermées ou abandonnées. Ses parents, cultivateurs et bons chrétiens, traversent cette période tourmentée sans oublier de se montrer charitables. La maison de Dardilly, à quelques kilomètres de Lyon, est toujours ouverte pour les pauvres et le grand-père de Jean-Marie, Pierre Vianney, a reçu vingt ans plus tôt celui que l’on connaîtra sous le vocable de saint Benoît Labre, le « pèlerin perpétuel ». Si le futur saint Curé d’Ars connaît très tôt l’appel au sacerdoce, le chemin pour parvenir à l’ordination est long et semé d’embûches. Là encore, quel paradoxe pour une âme témoignant si jeune d’une faim de Dieu ! Jean-Marie a 19 ans en 1805 quand son père consent à le remettre entre les mains de l’abbé Charles Balley, qui vient d’ouvrir à Écully une de ces écoles presbytérales qui permettront de pourvoir rapidement en prêtres une terre de France balayée par la Terreur.

Une épreuve initiatique ?

Cependant, le jeune homme n’a que peu d’instruction et il s’épuise vite, corps et âme. Les crises de découragement, qui vont souvent jalonner sa vie, se succèdent et, comme plus tard à Ars, la volonté de fuir prend le dessus. Est-ce une épreuve initiatique ? Toujours est-il que Jean-Marie Vianney parcourt 100 kilomètres à pied, sans un sou, pour aller se recueillir sur le tombeau de saint Jean-François Régis au sanctuaire de Lalouvesc, en Ardèche. Fortifié, il revient auprès de l’abbé Balley à Écully. Mais, quelque temps plus tard, il est appelé sous les drapeaux afin de rejoindre l’armée d’Espagne pour le compte de Napoléon. Commence alors une période mystérieuse dans la vie du Curé d’Ars. Fut-il déserteur ? Il ne rejoindra jamais ses compagnons d’uniforme. Sa trace se perd jusqu’en 1811 où, après deux hivers cachés dans une ferme du village des Noës près de Roanne, il retrouve l’abbé Balley qui n’a jamais douté qu’il en ferait un prêtre.

Mais la Providence multiplie les épreuves : au grand séminaire de Lyon, on ne sait que faire de ce garçon, de son inappétence intellectuelle et de ses difficultés pour apprendre le latin. Il est renvoyé ! Cependant, grâce aux études dirigées par l’abbé Balley et sans doute sur sa recommandation, Jean-Marie Vianney intègre le grand séminaire de Grenoble où il reçoit enfin l’ordination le 13 août 1815. À l’âge de 29 ans, après tant d’incertitude et de larmes, il peut s’écrier : « Oh ! Que le prêtre est quelque chose de grand ! Le prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel. Si on le comprenait sur la terre, on mourrait, non de frayeur mais d’amour ! » Au temps de sa jeunesse, il avait confié à sa mère vouloir devenir prêtre pour gagner beaucoup d’âmes. Désormais, elles l’attendent.

Un village paganisé

Le village d’Ars compte à peine 230 habitants en 1818. Situé dans l’Ain sur le plateau de la Dombes, à 35 kilomètres au nord de Lyon, il est considéré comme un territoire abandonné du diocèse mais l’abbé Vianney ne voit nulle disgrâce dans le choix de son affectation. Le paganisme a pénétré les âmes et les villageois manquent sans remords la messe du dimanche pour travailler aux champs. Le nouveau curé est détaillé avec curiosité : son allure est un peu gauche avec sa soutane de gros drap et ses souliers de campagnard. Mais, lorsqu’il célèbre la messe, il donne à voir une majesté inattendue tant il est transfiguré.

Malgré tout, sa seule présence marquée par sa simplicité, son humilité et son amour des pauvres, ne suffit pas à mettre de l’ordre dans la vie de ses paroissiens. Là encore, que de difficultés ! Jean-Marie Vianney mettra dix ans à ramener ses ouailles à une existence sanctifiante. Ses larmes, et les dures pénitences qu’il s’inflige, accompagnent ses prières de supplication pour la conversion de sa paroisse la nuit dans son église. Énergique et entreprenant, le prêtre part aussi au combat contre le travail le dimanche, contre l’ouverture des quatre cabarets que le village s’enorgueillit de posséder pour si peu d’habitants, et même contre les fêtes traditionnelles ! Pour lui, l’amusement mène au vice quand l’âme est loin de Dieu, et l’ivresse à la pauvreté, tant les ivrognes dépensent en une soirée l’argent gagné dans la semaine. Mais pour Jean-Marie Vianney, il y a pire encore dans le péché : le blasphème entendu dans les chansons paillardes sorties même de la bouche d’enfants qui connaissent à peine leur Notre-Père. « Pourquoi parlez-vous si fort en prêchant et si doucement en priant ? », lui demande un jour un paroissien à qui le Curé d’Ars répond avec bonhomie : « C’est que, pendant que je prêche, je parle à des sourds ou à des gens qui dorment mais quand je prie, je parle au bon Dieu qui n’est pas sourd. »

Calomnies

Le prédicateur, sévère avec lui-même, peut l’être aussi avec les habitants d’Ars, allant jusqu’à refuser l’absolution pour une présence au bal. Il fustigera tant et si bien les cabarets comme lieu de perdition que tous mettront la clef sous la porte. Mais une partie de la population, dont les cafetiers, ne sera pas avare en représailles. L’austère confesseur fera l’objet de plaintes, de commérages et même de calomnies dans des lettres fielleuses envoyées à son évêque Mgr Devie. À la fin de sa vie, le saint confiera : « Si j’avais su en arrivant à Ars tout ce que je devais y souffrir, je serais mort sur le coup. »

Blessé dans son honneur sacerdotal, il s’abandonne encore plus entre les mains de Dieu tout en pardonnant et en traitant en amis ses persécuteurs. Au fil du temps, il gagne les âmes du village en créant une école et un orphelinat pour les filles qui portera le nom de « La Providence » et dont il confiera la direction à Catherine Lassagne, qui sera pour le Curé d’Ars une aide précieuse tout au long de sa vie. Il favorise le culte eucharistique dans la paroisse en instituant une confrérie du Saint-Sacrement. Il apprend à ses ouailles, enfants et adultes, les secrets de la vie intérieure en les catéchisant. Puis, bien malgré lui, on commence à venir de loin pour le regarder célébrer la messe, et nombreux sont ceux qui sortent de l’église convertis. Il semble oublier la terre, et après la consécration demeure jusqu’à cinq minutes dans une sorte d’extase. Ses gestes et ses regards disent tout de son anéantissement dans l’amour de Dieu.

Le zèle d’un confesseur

« J’ai vu Dieu dans un homme », confiera un habitant d’Ars. Un homme qui trouve sa gloire dans le long martyre qui l’attache à son confessionnal. Il y passe en moyenne quinze heures par jour, se privant de sommeil et de nourriture pour écouter les pénitents dès 2 heures du matin. Comment comprendre un tel zèle ? Il aime les pécheurs de toute la haine qu’il a pour le péché. Il n’est pas rare de l’entendre sangloter et de répondre à la personne qu’il confesse : « Je pleure parce que vous ne pleurez pas assez ! » À l’inverse, le retour des âmes à Dieu le comble de joie.

Mais éviter l’enfer à tant de pèlerins n’est pas sans conséquences. « Vianney, Vianney, je t’aurai », crie Satan d’une voix rauque, la nuit, dans le presbytère. « Je ne te crains guère », réplique le saint prêtre depuis son lit. Les persécutions infernales commencent en 1824 quand l’abbé Vianney achète la maison « La Providence ». Elles durent trente-cinq ans, allant de tracasseries, comme des bruits lugubres, au feu allumé dans le lit et la chambre du prêtre pendant que ce dernier confesse. « Ce vilain grappin – nom qu’il donne au démon –, il n’a pas pu prendre l’oiseau, il a brûlé la cage » dira le Curé d’Ars, qui se réjouissait presque des manifestations diaboliques. « C’est bon signe. Il y aura demain un gros poisson au confessionnal » pensait-il.

Sans doute le « grappin » visait-il le confesseur, mais il s’irritait aussi de l’intuition surnaturelle que Jean-Marie Vianney déployait pour conforter de grandes figures spirituelles dans leur vocation. La bienheureuse lyonnaise Pauline Jaricot vint plusieurs fois réchauffer son âme auprès du Curé d’Ars, qui l’encouragea à édifier l’Œuvre de la propagation de la foi. Le bienheureux Père Antoine Chevrier prit le chemin d’Ars pour être confirmé dans son service auprès de l’enfance abandonnée dans le quartier de la Guillotière, à Lyon. Enfin, le Père Jean-Baptiste Muard, avant de fonder le monastère bénédictin de la Pierre-qui-Vire, vint consulter Jean-Marie Vianney à plusieurs reprises vers 1848. « Votre affaire est l’œuvre de Dieu, les difficultés ne doivent pas vous arrêter », lui dira le saint prêtre.

« Que le bon Dieu est bon »

Le démon n’eut pas la permission de le tourmenter au moment de la mort. La crainte même de l’enfer qu’il avait si souvent manifestée avait même disparu. Les yeux levés au ciel, comme en contemplation après avoir reçu les derniers sacrements, il murmure : « Que le bon Dieu est bon, quand on ne peut plus aller le voir c’est lui qui vient ! » Puis il pleure : « Que c’est triste de communier pour la dernière fois ! » tandis que vingt prêtres l’assistent. À 2 heures du matin le 4 août 1859, il rend son âme à Dieu, à 73 ans, sans agonie, épuisé par sa charge qui l’occupa comme le bon ouvrier de la vigne durant quarante et un ans. Dès lors, ce ne fut plus seulement son confessionnal qui fut assiégé jour et nuit – menant à l’humble prêtre 100 000 personnes la dernière année de sa vie –, mais l’église et tous les chemins qui menaient vers Ars. Un autre pèlerinage commença sur sa tombe, puis jusqu’à Rome pour sa béatification en 1905 et sa canonisation en 1925 le jour de la Pentecôte.
« Ceux qui sont conduits par le Saint-Esprit ont des idées justes, voilà pourquoi il y a tant d’ignorants qui en savent plus que les savants », confiait le Curé d’Ars en faisant le catéchisme. C’est là que réside sans doute le secret de la sainteté de Jean-Marie Vianney qui sera proclamé patron de tous les curés de l’univers en 1929.