Le Curé d'Ars, un confesseur miséricordieux - France Catholique
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Le saint Curé d'Ars
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Le Curé d’Ars, un confesseur miséricordieux

Le Curé d’Ars passait des heures à confesser ses paroissiens. Apôtre de la Miséricorde divine, son seul souci fut d’arracher les âmes à la damnation.
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Tout passage à Ars remue jusqu’aux tripes. La figure de saint Jean-Marie Vianney est sans fioritures, taillée à la serpe comme son visage lumineux. Il est possible de la toucher, de la sentir encore en ce petit village, misérable au XIXe siècle comme Nazareth le fut en son temps, désormais renommé dans le monde entier et ayant donné son nom à son curé, infatigable confesseur.

Quelle est la source du rayonnement de ce pauvre prêtre méprisé de ses pairs et de sa hiérarchie ? Sa prédication et ses absolutions. La première fut d’ailleurs rapidement dévorée par les secondes. Le jeune desservant d’Ars passa bien du temps à préparer laborieusement ses sermons dominicaux en étalant les livres hérités de la bibliothèque de son maître, l’abbé Charles Balley, sur le chasublier de sa petite sacristie. Bientôt, il ne pourra plus suer sur ce pensum car immobilisé par le sacrement de pénitence à administrer sans discontinuer. Il recevra l’inspiration du Ciel, du haut de la chaire et dans la pénombre du confessionnal. Ce fils de paysan fut un laboureur des âmes. Il s’y appliqua avec soin, parfois jusqu’au dégoût, non point du péché mais du poids écrasant ses épaules alors qu’il aspirait à contempler dans le silence.

Il ouvre les portes du Paradis

Le catholicisme du XIXe siècle n’a pas la réputation d’être mou car il fallait refaire la chrétienté après les affres de la Révolution et du Premier Empire. Bien des membres du clergé demeuraient influencés par le second jansénisme du XVIIIe siècle. Le Dieu prêché est celui, terrifiant, des manifestations spectaculaires du Sinaï. Il est cet œil qui regarde Caïn dans la tombe selon Victor Hugo. Rien ne lui échappe. Il juge et punit à la moindre incartade. Les fidèles filent doux. Pas étonnant que les hommes tendent à déserter les églises en laissant la place aux femmes, plus sages. Soudain, au cœur de cette austérité, alors que les flammes de l’Enfer redoublent de violence et que le Jugement est souvent présenté comme défavorable à l’homme, ce petit prêtre de rien, sans négliger ou relativiser la doctrine et le dogme, ouvre les portes du Paradis et vide le Purgatoire.

Sa formation ne laissait pourtant pas présager de telles semailles de miséricorde. Ce curé renoue en fait avec la spiritualité du Sacré-Cœur de Jésus, retrouvant, avec ces mots, le même zèle pour annoncer le pardon aux pécheurs que saint Claude La Colombière deux siècles auparavant. Ses mots sont simples, clairs comme l’eau vive et ils coulent sur la tête et dans le cœur de ceux qui l’écoutent dans ses prônes et qui reçoivent ses conseils en avouant leurs péchés. Ces miettes spirituelles sont des gemmes. Elles nous sont parvenues grâce au témoignage de ceux qui, par dizaines de milliers, bénéficièrent de cet éclairage, révolutionnaire car brisant l’étroitesse et la médiocrité de ce temps.

Proclamer la confiance en Dieu

Cet apôtre de la miséricorde, qui paya de sa chair la montagne de péchés qu’il aplanit, ne cessa de proclamer la confiance envers Dieu et d’affirmer que la porte du Salut n’était pas réservée à quelques élus : « Le bon Dieu est toujours disposé à nous recevoir. Sa patience nous attend ! […] Il y en a qui donnent au Père éternel un cœur dur. Oh, comme ils se trompent ! Le Père éternel, pour désarmer sa justice, a donné à son Fils un cœur excessivement bon : on ne donne pas ce qu’on n’a pas… […] Il y en a qui disent : “J’ai trop fait de mal, le Bon Dieu ne peut pas me pardonner.” C’est un gros blasphème. C’est mettre une borne à la miséricorde de Dieu, et elle n’en a point : elle est infinie. […] Nos fautes sont des grains de sable à côté de la grande montagne des miséricordes de Dieu. […] Quand le prêtre donne l’absolution, il ne faut penser qu’à une chose ; c’est que le sang du bon Dieu coule sur notre âme pour la laver, la purifier et la rendre aussi belle qu’elle était après le baptême » (Pensées).

Mais il n’invite pas les pénitents à la facilité, au laisser-aller. Il procède comme Notre-Seigneur qui, pardonnant aux pécheurs venant à lui, les renvoie toujours en les invitant à ne plus pécher. Le saint Curé souffrait du péché à la place des pécheurs, et il implore pour que toute âme se détourne du mal : « Mes enfants, que c’est triste quand une âme est en état de péché ! Elle peut mourir en cet état, et déjà tout ce qu’elle fait n’a point de mérite devant Dieu. C’est pourquoi le démon est si content quand une âme est dans le péché et qu’elle y persévère, parce qu’il pense qu’elle travaille pour lui, et que, si elle venait à mourir, il l’aurait… Dans le péché, notre âme est toute galeuse, toute pourrie ; elle fait regret… La pensée que le bon Dieu la regarde devrait la faire rentrer en elle-même… » (Catéchisme sur le péché). Recroquevillé dans son confessionnal dans lequel il passe ses journées, son seul souci fut d’arracher les âmes à une possible damnation. Comme il avait reçu le don de lire dans les âmes, il ne laissait rien dans l’ombre et il extirpait avec douceur aux plus réticents les secrets les mieux gardés.

Jean-Marie et Thérèse

En ce même siècle, quelques années après sa mort, naquit celle qui sera aussi apôtre de la miséricorde, sans être prêtre : Thérèse de Lisieux. Cette dernière est l’héritière de Jean-Marie Vianney, faisant preuve d’une identique liberté vis-à-vis des raidissements et des petitesses de son époque. Ces décennies furent bouleversées par plusieurs révolutions et chutes de régimes. Pourtant, ce qui fut réellement révolutionnaire fut cette annonce de la miséricorde divine à qui voulait faire effort pour s’y plonger. Dans Sous le soleil de Satan, Georges Bernanos, amoureux du saint Curé et de la petite Thérèse, souligne que, sans la confession, l’expérience du péché est incomplète. Son curé de Torcy confie au jeune curé de campagne, après la mort suspecte de son ami médecin, incrédule mais juste : « Dieu juge les justes. Ce ne sont pas les idiots ou les simples canailles qui me donnent beaucoup de souci, tu penses ! À quoi serviraient les Saints ? ils paient pour racheter ça, ils sont solides » (Journal d’un curé de campagne).

Si le « grappin », Satan, malmena si souvent le curé dans son presbytère, c’est parce qu’il perdait des troupes à chaque fois que des pèlerins-pénitents entraient dans la petite église d’Ars. Saint Jean-Marie Vianney passa toute sa vie à mener ce combat, à la place de ceux qui, trop faibles pour prendre les armes, venaient lui confier leurs défaites et leur soif de victoires. 

« Comme un torrent débordé qui entraîne les cœurs »

«Le péché est le bourreau du bon Dieu et l’assassin des âmes. C’est lui qui nous arrache du Ciel pour nous précipiter en enfer. Et nous l’aimons !… Oh ! mes frères, que nous sommes ingrats ! Le bon Dieu veut nous rendre heureux et nous ne le voulons pas ! Nous nous détournons de Lui, et nous nous donnons au démon ! Nous fuyons notre ami et nous cherchons notre bourreau ! […] Si vous voyiez un homme dresser un grand bûcher, entasser des fagots les uns sur les autres, et que, lui demandant ce qu’il fait, il vous répondît: Je prépare le feu qui doit me brûler, que penseriez-vous ? En commettant le péché, c’est ainsi que nous faisons. Ce n’est pas Dieu qui nous jette en enfer, c’est nous par nos péchés. […] Nos fautes sont un grain de sable à côté de la grande montagne de la miséricorde de Dieu. La miséricorde de Dieu est comme
un torrent débordé qui entraîne les cœurs sur son passage. Le bon Dieu est aussi prompt à nous accorder notre pardon qu’une mère est prompte à retirer son enfant du feu. Figurez-vous une pauvre mère obligée de lâcher le couteau de la guillotine sur la tête de son enfant : voilà le bon Dieu quand il damne le pécheur. »  
Propos du Curé d’Ars rapportés par l’abbé Louis Mermod en 1863, lors du procès en béatification.