Le Curé d'Ars, un modèle anachronique ou prophétique ? - France Catholique
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Le saint Curé d'Ars
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Le Curé d’Ars, un modèle anachronique ou prophétique ?

À l’heure des curés chefs d’entreprise ou influenceurs, que représente le modèle de celui qui fut déclaré saint patron des curés de l’univers ?
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Le Curé d’Ars et ses paroissiens, fresque de Paul Borel dans la basilique Saint-Sixte d’Ars-sur-Formans. © Benoît Prieur

Ses manières, sa prédication simple et directe – il balbutiait à la fin de sa vie, ayant perdu toutes ses dents, en montrant le tabernacle : « Il est là » –, le jeûne rigoureux et l’inlassable ministère de confesseur peuvent dérouter aujourd’hui. Car, à notre vision trop horizontale du ministère, au prêtre vu comme animateur de communauté, saint Jean-Marie Vianney oppose une radicalité spirituelle orientant résolument vers la transcendance, une vie de pénitence et une parole de feu. Pourtant, le fait qu’il ait été déclaré « patron céleste des curés de l’univers » par Pie XI en 1929 n’est pas une déclaration de principe, mais un acte prophétique. Sous des dehors qui nous semblent étrangers, le Curé d’Ars incarne l’essentiel du sacerdoce et de la charge pastorale du curé – du latin cura, « le soin » : le soin des âmes, cura animarum. Non pas une fonction administrative ou une mission de coordination, mais avant tout une paternité spirituelle, fondée sur une configuration totale au Christ, unique Pasteur.

Les deux trésors du prêtre

Le Curé d’Ars n’a pas cherché à innover ou à multiplier les activités. Il s’est centré sur ce que l’Église connaît comme les deux pôles sacramentels essentiels du ministère sacerdotal : l’Eucharistie et la confession, les deux trésors reçus par le prêtre le jour de l’ordination, à travers le pouvoir d’ordre, qui le configure au Christ, tête et époux de l’Église. Les curés, et plus largement les prêtres, ont en saint Jean-Marie Vianney un antidote contre toute forme de cléricalisme : il n’est pas question pour lui d’empiéter sur les prérogatives du laïcat ou de concentrer indûment les pouvoirs dans le peuple de Dieu, puisque la messe et la pénitence sont deux actes accomplis in persona Christi, en lesquels le seul prêtre est simple instrument, agi de l’intérieur par le Christ.

Saint Jean-Marie Vianney célébrait la messe avec une piété brûlante, revivant chaque jour le mystère du sacrifice du Christ renouvelé. L’autel était pour lui le lieu où l’âme du prêtre s’unit à celle du Rédempteur, où le monde est sauvé. Il savait et il nous rappelle qu’un prêtre qui ne vit pas de l’eucharistie devient vite un fonctionnaire du sacré. À travers sa prière silencieuse matinale, sa longue préparation à la messe et son action de grâce fervente, il enseignait par les actes que le cœur du ministère sacerdotal est là : dans l’offrande du Saint Sacrifice. Quantitativement parlant toutefois, c’est sans doute dans le confessionnal qu’il a le plus montré le visage du Bon Pasteur. Jour après jour, seize à dix-huit heures d’affilée parfois, il accueillait les pécheurs venus de toute la France et d’au-delà. Il écoutait, discernait, exhortait, pleurait parfois, et surtout, remettait les péchés au nom du Christ. Ce ministère n’était ni moralisateur, ni formel : il était brûlant de compassion et de vérité. Il croyait que l’âme, abîmée par le péché, ne peut renaître que par la grâce, méritée et communiquée par le sacrifice de la croix. À travers ce sacrement, il exerçait la vraie cura animarum, le soin des âmes confié au prêtre non comme un pouvoir humain, mais comme une participation à la miséricorde divine.

D’abord un homme mis à part

En vérité, si le Curé d’Ars nous trouble à bien des égards, et si nous avons du mal à voir en lui un modèle de curé, c’est qu’il nous rappelle ce que nous avons oublié : le prêtre est d’abord un homme mis à part pour servir Dieu – dans le culte liturgique et la prière personnelle – et conduire les âmes au salut – à travers les sacrements de l’Église. À l’heure où l’on parle tant de systèmes et de crises, de gouvernance et, de structures et de stratégies pastorales, son exemple recentre sur l’essentiel. Il ne propose ni programme, ni organigramme, il propose la sainteté, seule source féconde d’un ministère véritable.

Loin d’un repli passéiste, voir en saint Jean-Marie Vianney un modèle de curé et de prêtre est une réponse prophétique aux défis de l’Église d’aujourd’hui. Dans un monde qui a perdu le sens du péché, il rappelle l’urgence du pardon. À l’humanité qui a oublié la nécessité et la grandeur du sacrifice, il prêche l’adoration de l’eucharistie. Dans une Église parfois tentée de se diluer, il rappelle la puissance de la grâce. Dans une époque qui porte aux nues des prêtres connectés, proches et accessibles, il montre que la vraie proximité est celle de l’âme, rendue possible par une vie donnée sans réserve.

En proposant le saint Curé pour modèle aux prêtres d’aujourd’hui et de demain, les papes n’entendaient certes pas les bloquer dans un horizon figé. Bien que son modèle recentre l’identité sacerdotale dans ses éléments les plus pérennes, l’Église du XXIe siècle est confrontée à ses propres défis, qui semblent parfois rendre la figure de saint Jean-Marie Vianney bien lointaine : vieillissement et raréfaction des pratiquants, éclatement géographique des paroisses, hémorragie des vocations, hostilités du corps social… Le centenaire de sa canonisation invite toutefois à un vrai recul, pour prendre conscience que notre situation n’est justement pas si éloignée de la sienne, ni de celle de 1925… Benoît XVI soulignait, en 2009, comme le Curé d’Ars représentait un véritable antidote contre le relativisme qui minait déjà la société de son temps : n’est-il pas encore – à l’heure de l’« aide à mourir » devenant légale – le fléau et le principal défi du nôtre ?

Retrouvez cette chronique sur sur claves.org, le site de formation chrétienne de la Fraternité Saint-Pierre.