La réalité du magistère social de l'Eglise. - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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La réalité du magistère social de l’Eglise.

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Une fois diplômé, j’ai été nommé assistant dans une classe d’éthique des affaires. Le professeur qui assurait le cours a débuté avec une question intéressante : existe-t-il vraiment une chose nommée éthique des affaires ?

Ethique peut s’appliquer à différentes dimensions de la vie – s’il faut aller en guerre, tromper sa femme, ou construire des écoles et des hôpitaux – mais il a souvent été dit que ça ne s’appliquait pas aux affaires, pas plus qu’aux mathématiques, à l’astronomie ou à la musique. Il y avait « les règles de la profession », mais elles découlaient de la nature de la discipline elle-même, non d’une analyse éthique externe.

Mais cela, a pointé le professeur, était une revendication bizarre. Pour la plupart d’entre nous, environ 95% de notre temps d’éveil se passe dans le monde des affaires, sous une forme ou une autre : soit en exerçant une profession, en produisant un bien, en commerçant, en dépensant notre argent pour acheter des produits fabriqués par quelqu’un d’autre. Le temps passé à regarder la télé ou à lire des magazines doit être inclus bien sûr, non seulement parce que les gens achètent ces choses, mais aussi parce que ces médias sont principalement conçus pour fournir des consommateurs potentiels aux annonceurs essayant de vendre quelque chose.

Alors que mon regard planait sur ces jeunes ambitieux à l’aube de l’âge adulte, tous aspirant à faire leur chemin dans les plus hauts échelons de l’Amérique laborieuse – quelque chose évoquant la contemplation de requins tournant dans une cuve en attendant que les employés de l’aquarium leur jettent de la viande rouge – il me vint à l’esprit que si nous pouvions les convaincre que l’éthique et les principes moraux s’appliquaient au domaine des affaires, même au domaine des affaires, alors nous aurions tout gagné. De l’autre côté, si nous échouions à les convaincre, nous aurions tout perdu : désormais, l’éthique serait reléguée à un petit segment de leur vie : fréquentation obligatoire de l’église, dons au refuge pour sans-abris, un week-end passé à construire des maisons avec Habitat for Humanity (NDT : l’équivalent aux USA de « Tous ensemble » en France) – assez pour leur donner bonne opinion d’eux-mêmes, mais rarement applicable à leur vie de tous les jours.

Si l’Eglise enseigne à la fois la foi et la morale (et elle doit le faire) et si les affaires sont un lieu majeur de prises de décision d’ordre moral (c’est effectivement le cas), comment l’Eglise pourrait-elle ne rien avoir à dire dans ce domaine ? Et bien sûr, elle a beaucoup parlé. Effectivement, comme l’auteur Russel Hittinger l’a pointé, l’importance de « la doctrine sociale » de l’Eglise « peut être jaugée par le fait que lorsque Jean-Paul II a été élu pape en 1978, ses treize prédécesseurs avaient écrit quelque trois cents encycliques dont environ la moitié consacrées aux questions de nature, d’idéologies et de politique de l’Etat. » Le développement de »la pensée et de la doctrine catholique dans les domaines juridique, politique et social, dit Hittinger, la bien-nommée doctrine sociale… a été une des insignes réalisations de ‘Eglise depuis le dix-neuvième siècle. »

Des quatorze encycliques écrites par Saint Jean-Paul II, trois concernent directement le magistère social de l’Eglise – Laborem Exercens, Centesimus Annus et Sollicitudo Rei Socialis – et la doctrine sociale de l’Eglise joue un rôle important dans au moins cinq autres, culminant, ne l’oublions pas, dans Evangelium Vitae, sur la vie humaine. Car c’était le génie du pape Jean-Paul II de voir clairement ce que d’autres n’avaient pas vu, qu’au coeur du magistère social de l’Eglise, il y a le message de l’Eglise sur l’infinie dignité de la personne humaine et l’inviolabilité de la vie humaine. Il n’y a pas de « justice sociale » sans justice pour les plus faibles et sans défense d’entre nous, et cela inclut (comme l’Eglise l’a toujours enseigné) la veuve et l’orphelin, le pauvre et l’enfant à naître.

Celui qui pense à tort que le « magistère social » de l’Eglise commence seulement en 1891 avec l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII, ferait bien de lire, parmi beaucoup d’autres exemples, les sermons sur la parabole de l’homme riche et de Lazare, du père de l’Eglise Saint Jean Chrysostome, ou l’un quelconque des inestimables travaux effectués par les thomistes espagnols du seizième siècle à l’université de Salamanque – des érudits brillants tels que Francisco de Vitoria, Domingo de Soto et Martin de Azpilcueta. Quand Francisco de Vitoria a écrit De Indiis défendant la dignité des indigènes d’Amérique et argumentant contre leur asservissement, qu’était-ce sinon l’expression du magistère social de l’Eglise ?

La doctrine sociale de l’Eglise change-t-elle ? Eh bien, puisque la société ne cesse de changer, sur certains détails, oui, je l’espère. A notre époque, il n’y a plus grand monde à être obsédé par le marxisme ou la monarchie comme c’était le cas en 1915, par exemple. Mas alors la pornographie sur le net n’était pas encore un problème. A chaque âge ses défis. Les principes fondamentaux changent-ils ? Non. Le péché est toujours un problème. La pauvreté est toujours de notre ressort. L’avortement est toujours inique. Tout comme accorder un prêt à des gens dans l’impossibilité de rembourser, les condamnant à une vie de servitude. En Amérique, les conservateurs ont tendance à louer l’enseignement de l’Eglise sur le mariage et la famille et à critiquer le reste de la doctrine sociale comme étant un bavardage dénué de sens : « qu’est-ce que les prêtres connaissent à l’économie ? » Les libéraux américains, eux, ont tendance à louer l’enseignement de l’Eglise en matière économique et à critiquer son enseignement sur la sexualité et la famille comme étant un bavardage dénué de sens : « que savent les prêtres en matière de sexualité ? » Le problème, pour les deux camps, est que la même théologie sacramentelle de la création soutient ces divers aspects, un enseignement qui comprend toute la création, y compris les corps humains et la propriété privée – comme « des instruments de la grâce divine ».

Donc tous ces enseignements sur « la destination universelle des biens matériels » et la nécessité de devenir gardien de la création pour le bénéfice de tout le peuple de Dieu sont toujours valables. Ils n’ont pas changé. Et pour la petite histoire, ils ne changeront pas.

Randall B. Smith est professeur à l’université Saint Thomas, où il a été récemment nommé à la chaire de théologie.

http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-reality-of-the-churchs-social-magisterium.html