Sur le magistère moral des papes - France Catholique
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« Les contemplatifs portent le monde »
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Sur le magistère moral des papes

Comment faire comprendre l’enseignement de l’Église dans une société sécularisée ? La forme peut changer, voire dérouter, mais le message reste le même.
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Ayant lu avec attention et intérêt le dernier essai de notre ami Thibaud Collin, qui concerne l’enseignement du pape François en matière de morale, je me suis interrogé. Comment rendre compte en termes journalistiques d’une question qui relève d’une réflexion philosophique et théologique plutôt complexe ? La tâche est peut-être plus aisée lorsqu’on s’adresse à un public catholique, déjà un peu averti, mais ce n’est pas évident. Lorsque l’auditoire s’élargit, la difficulté grandit et l’on se demande si le message de l’Église est vraiment perceptible, alors que le climat de l’époque est à l’opposé des exigences rappelées notamment par les papes.

Agressivité étonnante

J’en parle d’autant mieux qu’il m’est arrivé d’affronter la troupe considérable des adversaires d’une des encycliques les plus importantes de Jean-Paul II, Veritatis splendor. Les commentateurs les plus célèbres de l’actualité, dont la sagacité s’exerçait généralement sur le terrain politique, s’étaient brusquement transformés en spécialistes des problèmes de morale fondamentale, et tous faisaient assaut d’une agressivité étonnante à l’égard de Jean-Paul II. Reprenant le dossier de cette polémique, je constatais une incompréhension souvent radicale du sujet, avec une accumulation de contresens. C’était un sérieux travail que de discuter tant d’incompréhension et de sophismes. Mais c’était nécessaire.

Le pape François, successeur de l’auteur de Veritatis splendor et de Joseph Ratzinger, le plus proche collaborateur du pape polonais, avait-il perçu toute la difficulté de cette approche de la morale chrétienne et avait-il voulu la présenter d’une façon plus adéquate pour le public rétif de notre époque ? Pour certains, en tout cas, la publication de l’exhortation apostolique Amoris lætitia correspondait à ce désir d’une autre approche que l’on pourrait définir comme « inculturation dans le monde post-moderne ».

Mais une telle inculturation ne conduirait-elle pas à un « véritable changement de paradigme » aux conséquences sérieuses ? Pour tout un secteur d’opinion et même certains théologiens et responsables, c’est la direction même de l’Église qui annonçait un tournant pour contredire jusqu’aux normes les plus importantes de la morale catholique. Et l’on sait que, de ce point de vue, une lutte est toujours engagée, avec des risques qui font craindre le schisme d’une Église comme celle d’Allemagne.

Un but pédagogique

Face à cette dérive, François avait objecté que la patrie de Martin Luther disposait déjà d’une communauté protestante et qu’il n’y avait pas lieu d’en créer une seconde. Mais surtout son enseignement ne consistait nullement à démentir ses prédécesseurs mais à les compléter, en se concentrant notamment sur l’écoute possible d’une société éloignée de la foi. Le but était donc pédagogique : « Comment amener à franchir les limites sociales, mentales et morales qui entravent les personnes pour qu’elles répondent toujours davantage à l’appel de la plénitude de la vie divine ? »

Thibaud Collin montre que c’est toute l’existence et la formation de Jorge Bergoglio qui explique cette propension à affronter la difficulté. Comme supérieur de la Compagnie de Jésus en Argentine, il avait eu à arbitrer des différends entre religieux pris dans la tourmente. Sa proximité avec des penseurs comme Maurice Blondel et Romano Guardini l’avait formé à un mode d’agir pastoral et spirituel : « La difficulté consiste à tenir ensemble l’annonce de la miséricorde aux pécheurs et la transmission de la grâce en vue de la sainteté… à laquelle tous les pécheurs sont appelés. » La lecture de Thibaud Collin est donc précieuse pour comprendre cette approche singulière du magistère d’un pape. 

Un changement de paradigme dans la morale catholique ?, Thibaud Collin, Éditions de l’Homme Nouveau, 164 pages, 17 €.