CET UNIVERS OÙ NOUS PASSONS - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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CET UNIVERS OÙ NOUS PASSONS

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Alors Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa1. Quand, s’étant perdu à sonder l’immensité de l’univers (comme dans mes deux derniers articles2), on revient au verset des origines, on ne peut que s’interroger : en quoi, mais vraiment en quoi, le misérable primate vertical rampant à la surface de la troisième planète d’une misérable étoile de classe G, semée, parmi une poussière d’autres, dans un bras de la Galaxie, en quoi cet être impuissant et aveugle peut-il être « semblable à Dieu », et même en être « son image » ?3 En général, les éditions de la Bible, en marge du fameux verset, renvoient à la première Épître de saint Paul aux Corinthiens et à l’Épître aux Colossiens. I. Corinthiens, II, 7 : « Nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée à notre enseignement » (le mot grec doxan est parfois traduit par gloire ou par croyance après réflexion, ce qui n’est pas la Foi). II. Colossiens, III, 10 : saint Paul s’adresse aux chrétiens qui, débarrassés de l’homme ancien et de ses mœurs « et ayant revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle dans la connaissance (epignôsis), selon l’image de celui qui l’a créé. » C’est le mot « epignôsis » qui incite à la réflexion4. Un mot que les grammairiens ne semblent avoir trouvé qu’assez tard, aux commencements du christianisme, et signifiant alors « action de reconnaître ». Il faut le rapprocher du verbe correspondant qui, lui, traverse toute l’antiquité depuis Homère, et signifie reconnaître, apprendre à reconnaître, comprendre en découvrant, reconnaître comme bon (ou valable) : ce n’est pas davantage la Foi, c’est la connaissance qu’on acquiert et qu’on approfondit. On « apprend à reconnaître » l’homme nouveau, c’est-à-dire l’homme idéal, l’homme changé, proposé par le christianisme à l’état naissant qu’enseigne saint Paul, dans l’image de celui qui l’a créé, Kat’ eicona tou ktisantos autou. J’avoue me délecter dans l’analyse de ces mots antiques. Le texte original nous y invite en parlant de « la sagesse de Dieu mystérieuse et cachée » (ou plus exactement « la sagesse de Dieu dans le mystère, cette sagesse cachée », « theou sophian en mysteriô ten apokekriamménên »), puisque (verset 10) « l’esprit sonde tout, même les profondeurs (ta bathê) de Dieu ». Quoi donc, notre faible esprit (pneuma, mot qui d’abord veut dire souffle) peut sonder cet abîme, lui si sujet à l’erreur et à la présomption ? Oui, car même si ces choses sont cachées à l’oreille et au cœur (verset 9), « Dieu les a préparées pour ceux qui l’aiment » (verset 9). Cachées à l’esprit et au cœur, elles apparaissent si l’on aime leur créateur. On s’y dirige par une recherche qui n’est pas la Foi (doxan, epignôsis), et la Foi apparaît par l’amour. Il faut donc rechercher par l’esprit, puis encore chercher et reconnaître dans ce que l’on voit l’amour de celui qui a créé ce que l’on voit. Les choses que l’on voit attestent-elles l’amour de leur auteur ? Tout est là, et c’est pourquoi j’ai souvent donné à la science le nom de 5e Évangile, ou de nouvelle Révélation (5). Il me semble que dans la science contemporaine, destinée à l’oubli comme toute connaissance qui progresse, l’on voit déjà au moins deux motifs d’aimer ce qui est, en dépit d’un pessimisme historique né du refus de voir. D’abord le fait de plus en plus évident que tout a été créé en vue de l’homme, et même de la pensée dont l’homme n’est qu’un maillon. Changez un seul des fondements de l’univers, ne fût-ce qu’à la quarantième décimale, et l’univers est à jamais voué à rester un désert aveugle et sourd, un chaos sans témoin, une totale absurdité. Mais ce n’est pas le cas, puisque nous sommes là. Nous sommes là, donc nous sommes déjà dans le Big Bang initial d’où tout vient. Dès la première infime fraction du temps, tout est joué : l’univers porte en lui l’existence future de l’esprit qui contemple et s’interroge5. Hasard fondamental ? Si oui, pourquoi celui-là ? J’ai fait allusion dans mon dernier article à une famille de théories conçues pour répondre à cette question, qui est la question des questions : pourquoi sommes-nous là plutôt qu’un quelconque chaos aveugle et sourd, plutôt que rien ? Les théories postulent qu’à chaque instant naissent et se multiplient une infinité d’univers différents où nous ne sommes pas, car tous sont des chaos. Ils naissent et aussitôt s’abîment dans l’ailleurs, d’autres espaces-temps, ou bien des non-espaces et des non-temps6. Voilà ce qu’il faut imaginer pour ôter à l’univers où nous sommes sa singularité absolue de création orientée par une pensée vers la pensée. Pour se débarrasser d’une pensée créatrice, il ne faut pas moins qu’un infini gâchis, par définition indécelable. Je crois que la liberté de l’homme implique la possibilité du refus de ce qui est, que par conséquent ces théories, ou d’autres semblables, indémontrables par définition, sont et resteront à jamais irréfutables, et qu’on pourra toujours les soutenir7. Supposons le maximum. Supposons que l’on arrive à déduire les unes des autres toutes les constantes d’univers, puis que la constante ultime supposée déduite d’une nécessité unique semblable à celle qui ordonne le chaos des décimales du nombre pi s’autodéduise enfin d’elle-même comme les lois de la logique ; supposons cela qui est le but dernier de la science8. Alors, du point de vue de la science, il ne restera rien à expliquer. Si audacieuse que soit cette anticipation, de profonds savants y ont déjà pensé, comme J.A. Wheeler : « Fort bien, mais pourquoi cette logique plutôt que rien ? Cette logique primordiale d’où je suppose tout déduit, pourquoi existe-t-elle ? Rien eût été plus simple que cette cascade d’équations. Je veux savoir pourquoi cela, plutôt que rien. » Un autre savant, sans se préoccuper de physique, a d’ailleurs démontré, dès 1931, bien avant que l’on pût – même en anticipant – se poser ces questions, que l’on ne pourrait jamais leur trouver de réponse dans le cadre du seul langage de la science : les mathématiques. Il s’agit de Gödel et de son fameux théorème que J.R. Newman exprime en ces termes (« The world of Mathematics », tome III, p. 1685) : « Quelque ensemble cohérent d’axiomes que l’on considère, il existe toujours des propositions arithmétiques vraies que l’on ne peut dériver de cet ensemble ». En d’autres termes, loin de pouvoir fournir à la physique un modèle complet cohérent avec lui-même, l’arithmétique ne peut se fournir à elle-même un tel modèle. Gödel est encore plus lapidaire (id. p. 1694) : « Si une arithmétique est cohérente, alors elle est incomplète ». Newman précise bien que le théorème de Gödel « ne constitue en rien une base d’inférence valide concernant l’impossibilité d’expliquer par la chimie et la physique la matière vivante et la raison humaine ». Cela, c’est l’affaire de la chimie et de la physique. Mais quant à l’explication totale de la physique par les mathématiques, elle reste à jamais interdite par l’impossibilité des mathématiques à fournir leur propre démonstration (le théorème de Gödel est appelé théorème d’incomplétude). Revenant à la physique, nous voyons donc qu’elle est telle que l’univers qui en résulte existe pour la pensée, et que son explication ultime est par nature étrangère à elle-même et aux mathématiques, qui en sont le seul langage possible9. Je crois que l’on peut aimer un tel univers dont nous sommes le but. Cette recherche et cette constatation sont conformes à ce que saint Paul appelle epignôsis. Il me semble même que rien au monde ne correspond mieux à ce qu’il entendait par ce mot. Une autre voie moins abstraite, mais non moins frappante, vers l’epignôsis peut se trouver aussi, je crois, dans la biologie. Le fait est ici très simple, si, du moins, on a l’humilité de reconnaître que la présence du mal dans le monde est un mystère qui nous dépasse. Et du point de vue chrétien, il en est bien ainsi : « Délivrez-nous du mal »10. Le mal existe, et il faut, pour expliquer sa présence dans l’homme, reporter sa pensée au mystère des origines. Que verrions-nous réellement si nous pouvions suivre pas à pas toute la préhistoire de l’homme ? La réalité spirituelle de ce passé est expliquée par le récit de la chute. C’est cette chute qui annonce le péché, l’offense à Dieu. Je suis enclin à croire qu’avec nos yeux de chair nous verrions tout sans rien comprendre, comme les Apôtres eux-mêmes ne comprirent rien à la Rédemption, même le soir du Vendredi Saint, et jusqu’à Emmaüs, où le sens de la tragédie leur fut dévoilé11. Pourquoi ne verrions-nous rien ? Parce que notre regard de pécheurs aveuglés par la Chute voit dans la Création même toutes les apparences du mal : la souffrance, la mort, l’écrasement du faible ou du moins malin, la fin des dinosaures, l’extinction des espèces, l’universelle dévoration de la nature que nous ne comprenons pas12. Cependant, même dans cette nature innocente, nous découvrons en même temps une évolution vers la délivrance du mal, ainsi que je l’ai expliqué à la fin de mon livre sur l’approche scientifique du mysticisme (Metanoia, p. 250, Albin Michel13). Au commencement de la vie, chez les mollusques, il faut, pour reproduire un couple, en gâcher des centaines de millions. Plus tard (les poissons), des millions. Puis des milliers chez les anciens reptiles, enfin quelques dizaines seulement chez les mammifères. Je ne dis pas que le mal existe à l’origine, puis va diminuant, ce qui serait naïvement anthropomorphique. Non pas le mal, mais bien ce qui nous apparaît être le mal, à nous qui ne connaissons rien de la conscience animale, réalité inaccessible à notre pensée d’homme. Les lois à l’œuvre dans la Nature depuis les origines nous donnent ainsi l’image d’une longue délivrance aboutissant à l’homme, puis à la mystérieuse tentation où nous choisîmes, non l’innocence, mais l’ambition d’être « comme des dieux ». Alors le Mal fut préféré, où nous nous débattons en y entraînant tout le reste de la nature. Nous ne voyons le Mal dans la nature que du fond de notre cauchemar, à travers ce qu’il y a en nous de mauvais. Mais, même ainsi, elle nous apparaît orientée vers sa délivrance, jusqu’à l’homme qui la brise et la dévoile. Faut-il d’abord penser à ces choses pour croire ? Non, certes. Mais il ne me paraît pas indifférent que la Foi donne son sens à la nature où nous passons. Aimé MICHEL Chronique n° 420 parue dans F.C. – N° 2063 – 11 juillet 1986 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 20 novembre 2017

 

  1. Genèse 1, 26.
  2. Il s’agit des chroniques n° 417, Le rassurant petit fromage – Du melon de Bernardin de Saint-Pierre au super-melon du Principe anthropique, et n° 419, Une idée nouvelle : la Providence – Les quatre paradigmes et les trois formes de hasard (le texte n° 418 est un échange avec les lecteurs à propos de la chronique n° 416, nous les mettrons en ligne ultérieurement). Dans la première chronique, Aimé Michel présente le problème que posent les constantes fondamentales de la physique et sa solution, le Principe Anthropique, ainsi nommé en 1973 par le physicien Brandon Carter de l’observatoire de Paris-Meudon. Dans la seconde, il poursuit sa méditation en résumant les acquis essentiels de la physique et de l’astrophysique. La physique actuelle, remarque-t-il, est capable d’expliquer tous les phénomènes connus (sauf la conscience) en n’utilisant que deux ingrédients : les constantes fondamentales, « si strictes que la plus petite modification suffirait à tout renvoyer au néant », et une logique « impliquant le hasard absolu ». Quant à l’astrophysique, elle a découvert que l’univers a une histoire et qu’« il a fallu ces constantes telles qu’elles sont et la convergence d’une infinité de hasards pour qu’en évoluant l’univers arrivât jusqu’à l’homme ». Il en tire la conclusion que, de ce fait, le hasard acquiert une signification : « Tout d’un coup l’infinité des hasards cesse d’être un hasard. Le chaos s’organise rétrospectivement depuis les origines, en vue de ce qui est. » Un ordre se développe qui réalise un but (d’où le titre de la chronique), car « la cause de toutes les causes se trouve non plus seulement à l’origine, mais à la fin, qui donne sa forme à l’origine » (idée évoquée également dans la chronique n° 466, « Le temps déployé », en particulier la note 9, point 2).
  3. L’idée que l’homme « cet être impuissant et aveugle » soit semblable à Dieu n’est pas exprimée que dans Genèse 1 : 26. Comme on l’a vu récemment, elle se trouve aussi dans la parole du Christ (Matthieu, 22 : 36-40) qui affirme que les deux commandements « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » sont « semblables » (note 1 de la chronique n° 411).
  4. Le terme grec epignosis, traduit en français par vraie connaissance, intelligence, … se trouve vingt fois dans le Nouveau Testament, essentiellement dans les épitres de Paul (voir https://topbible.topchretien.com/lexique-grec-hebreux/1922/).
  5. Dans le texte de F.C., ici corrigé, cette phrase était insérée entre « …absurdité » et « Mais ce n’est pas le cas… »
  6. Sur les univers multiples, voir la note 9 de la chronique n° 413, « N’ayez pas peur » – Aveugle hasard et Principe Anthropique, n° 419 (citée plus haut) et n° 425, Avant que rien ne fût (à paraitre). L’hypothèse des univers multiples apparait dans deux contextes distincts. Les mondes multiples dont il est question dans cette chronique sont fondés d’une part sur la théorie des cordes et d’autre part la théorie du Big Bang. En effet, la théorie des cordes, qui est une tentative d’unifier la gravitation et la mécanique quantique, autorise un grand nombre d’univers différents (10500 selon Leonard Susskind), chacun avec ses propres lois physiques, ses propres particules élémentaires, ses propres constantes fondamentales, son propre nombre de dimensions de l’espace, etc. Cette multiplicité s’accorde bien avec la théorie inflationnaire du Big Bang selon laquelle la dilatation de l’espace a produit une multitude d’univers-bulles en plus du nôtre. Le second contexte où apparait l’hypothèse des univers multiples est celui de la physique quantique. Elle vise alors à résoudre une difficulté de l’interprétation orthodoxe (dite de Copenhague), difficulté connue sous le nom de « problème de la mesure » ou de « réduction de la fonction d’onde », à savoir le passage instantané, lors d’une mesure, de la fonction d’onde (étendue), correspondant à plusieurs solutions (mesures) possibles, à la particule (localisée), correspondant à une seule des solutions. Elle consiste à nier qu’il y ait une telle réduction en supposant que toutes les solutions prévues par la théorie quantique sont réalisées mais dans des univers différents (parallèles). Aimé Michel fait allusion à cette seconde catégorie dans une courte note de la chronique n° 419 où il juge cette théorie « d’Everett, DeWitt et Graham, plus fantastique que la difficulté qu’elle veut résoudre ». Le lecteur intéressé trouvera une présentation détaillée et enthousiaste de ces hypothèses dans Le paysage cosmique de Leonard Susskind (trad. B. Arman, Folio essais n° 510, Paris, 2007) surtout pour le premier contexte, et dans L’étoffe de la réalité de David Deutsch (trad. F. Balibar, Cassini, Paris, 2003) pour le second. Remarquons que ces théories à univers multiples, s’ils étaient inimaginables avant le XXe siècle, ont des conséquences philosophiques qui ne sont pas si différentes de celles envisagées, sans faire usage de dimensions supplémentaires, par Auguste Blanchi en 1871 (voir note 7 de la chronique n° 355) ou Lucrèce vers 40 av. J.-C. (voir n° 359), pour ne citer qu’eux, à savoir que dans un univers infini tout ce qui est possible est réalisé, non seulement une fois mais une infinité de fois. Pour simplifier, dans les notes qui suivent, je me restreindrai aux univers multiples du premier contexte.
  7. Aimé Michel semble laisser entendre ici que ces théories sur les univers parallèles « indémontrables par définition, sont et resteront à jamais irréfutables ». Je ne suis pas sûr que ce soit le sens de son propos (j’y reviens à la fin), mais si ça l’est, il s’est peut-être trop avancé et d’une manière qui n’est pas dans ses habitudes. En fait, bien des physiciens ont réfléchi à la manière dont on pourrait mettre en évidence de tels univers (de la première catégorie donc) s’ils existent. Par exemple, Michaël Sarrazin de l’université de Namur, Guillaume Pignol de l’université de Grenoble et leurs collègues ont tenté de détecter l’arrivée dans notre univers de neutrons en provenance d’un autre. Leur expérience repose sur une conséquence de la théorie des cordes selon laquelle notre univers est une « membrane » à trois dimensions (ou « 3-brane ») plongée dans un espace possédant un nombre plus élevé de dimensions. D’autres 3-branes semblables pourraient exister dans ce vaste espace mais les particules (à l’exception de l’hypothétique graviton) ne peuvent pas y voyager et donc passer d’une 3-brane à une autre. Il existe toutefois une exception lorsque deux 3-branes sont très proches l’une de l’autre, auquel cas des particules peuvent passer quand même grâce à un phénomène quantique, l’effet tunnel, d’autant plus probable que la distance entre les deux mondes est plus petite. L’idée des physiciens de Grenoble a été d’utiliser le flux de neutrons produit par le réacteur nucléaire de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble. Ce flux est complètement arrêté par l’enceinte de béton du réacteur mais certains neutrons pourraient s’échapper par effet tunnel vers une p-brane voisine et revenir dans notre p-brane de la même manière, en contournant ainsi le blindage. Les mesures qu’ils ont faites n’ont pas mis de tels neutrons en évidence. Ils en ont déduit que, s’il existe, une p-brane semblable à la nôtre devrait être éloignée de plus de 1,4 x 10−33 mètres. (Physics Letters B, 758, 14-17, 2016 ; http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-l-existence-d-univers-paralleles-testee-avec-des-neutrons-37081.php) Une autre idée visant à mettre en évidence un univers parallèle a été proposée récemment. Elle se fonde sur l’existence d’une zone plus froide dans le fond cosmique produit 380 000 ans après le Big Bang quand notre univers est devenu pour la première fois transparent aux rayonnements électromagnétiques. Cette zone froide a été aperçue en 2004 par le satellite WMAP de la NASA et confirmée en 2013 par le satellite Planck de l’ESA (sur ce fond cosmique et ces satellites voir la note 3 de la chronique n° 113, La création à pile ou face – Est-on sûr que l’univers a eu un commencement ?) On pensait que cette zone résultait d’une moindre densité de galaxies dans cette direction du ciel mais cette explication vient d’être écartée (avril 2017) par une équipe de l’université de Durham. Reste que cette zone plus froide pourrait n’être qu’une simple fluctuation aléatoire. Si on écarte cette explication, dont la probabilité a été estimée à 2 chances sur 100, une hypothèse plus « exotique » pour en rendre compte a été évoquée par Tom Shanks, l’un des astronomes de Durham : une collision dans le passé entre notre univers et un autre (https://www.ras.org.uk/news-and-press/2982-new-survey-hints-at-exotic-origin-for-the-cold-spot). Remarquons que, sans faire preuve d’un grand scepticisme, on ne voit pas vraiment la nécessité de recourir à l’hypothèse de la collision entre univers-bulles dans ce cas, car, comme l’écrit Leonard Susskind dans un autre contexte, « des coïncidences à 1 % surviennent une fois sur cent. Cela n’est jamais qu’un heureux accident » (op. cit., p. 288). Bref, on comprend par ces deux exemples qu’on est encore loin de détenir une preuve de l’existence du multivers. Il est prématuré de tenir les théories qui le prédisent pour autre chose que ce qu’elles sont : des théories brillantes mais en attente de preuves. D’ailleurs bien des physiciens se montrent ouvertement sceptiques sur les prétentions de ces théories (voir par exemple les notes 3 et 4 de la chronique n° 177). En outre, le recours au hasard pour expliquer la valeur des constantes fondamentales a l’inconvénient de décourager les physiciens de leur trouver une explication théorique. Par un curieux retournement, le hasard apparait en ce sens comme une solution facile qui n’est pas sans rappeler la critique scientifique de la non moindre facilité de « l’hypothèse Dieu ». Mais, comme je ne souhaite pas éluder les questions philosophiques et religieuses que posent ces théories à l’encontre d’un Grand Dessein, je préfère les prendre au sérieux. Je commence donc par écarter l’autre objection d’Aimé Michel sur l’« infini gâchis » des univers multiples presque tous avortés, car elle ne m’apparaît pas convaincante. Il a d’ailleurs lui-même répondu à cette objection dans la chronique n° 231, Achever la création ? en avançant que « le chaos des espaces infinis représente le domaine de notre liberté future ». Il est vrai qu’il pensait aux espaces intersidéraux vides et aux exoplanètes stériles, non aux univers avortés, mais cela ne change rien. Qui peut prétendre connaitre le destin de ce chaos cosmique et le rôle dévolu à ses parties ? Pour résumer, « ce qui est et restera à jamais indémontrable et irréfutable », ce ne sont pas les théories du multivers (je n’en sais rien), ce sont les affirmations sur l’absence de tout but dans la Nature.
  8. Aimé Michel a posé le problème des constantes fondamentales dans la chronique n° 417 citée plus haut : « Les “constantes de la nature” sont donc des nombres. Ces nombres semblent arbitraires : il est impossible pour l’instant de les déduire les uns des autres. Cependant, il suffirait que l’un d’eux soit très légèrement différent pour que l’univers n’ait jamais vu le jour. Dira-t-on que, bon, s’il en est ainsi, il faut bien que ces nombres soient tels, sinon nous ne serions pas là pour en discuter ? Oui, c’est bien cela, mais c’est beaucoup plus. Car la nature de ces nombres, qui ne sont pas très nombreux, ne se borne pas à soutenir quelque chose sur le néant. Ils organisent en outre une insondable complexité d’événements qui se déroulent en s’enchaînant depuis 16 milliards d’années (date de l’apparition de l’univers, que nous autres appelons tout simplement Création) en devenant toujours de plus en plus complexes et improbables. » (Les 16 milliards d’années ont été réduits depuis à un peu moins de 14). Un bel exemple, discuté par L. Susskind au chapitre 2 de son livre est fourni par la constante cosmologique. Introduite par Einstein en 1917, elle est liée à l’énergie du vide qu’on appelle aussi énergie noire (ou sombre). L’observation indique que cette constante est positive (ce qui produit une force répulsive) mais est très petite (inférieure à 10−120 unités, soit 0 suivi de 119 décimales nulles). Steven Weinberg (voir la chronique n° 347) a montré en 1987 que si cette constante avait été 10 fois plus grande, les galaxies n’auraient jamais pu se former dans un lointain passé parce que l’univers aurait été trop homogène. Inversement, si la constante cosmologique avait été négative, ce qui se produirait s’il y avait plus de particules de type fermion que de bosons (voir note 2 de la chronique n° 255), la force d’attraction correspondante l’aurait emporté sur l’expansion de Hubble et l’univers se serait effondré sur lui-même bien avant l’apparition de la vie consciente.
  9. Au lieu d’« explication » le texte imprimé portait « application ». Il est question du théorème de Gödel dans la chronique n° 160, La science et le mystère – Rousseau, Gödel et saint Vincent de Paul. Aimé Michel avance, avec prudence, qu’une conséquence de ce théorème pourrait être qu’« il ne peut exister d’explication scientifique ultime. La science ne peut aspirer, au plus, qu’à énoncer des lois partielles et limitées. Le mystère naturel existera donc toujours, quoi qu’on fasse. » Ces réflexions sont à rapprocher de celles sur la nature des mathématiques et ses relations avec les lois de la nature dans la chronique n° 414, Avancer en rechignant – Le renouvellement perpétuel de toutes choses est inscrit au cœur de la Création, en particulier la note 4.
  10. Matthieu, 6, 13.
  11. Voir les chroniques n° 373, Dans le grand soir de Pâques, et n° 459, Un crépuscule comme un autre (à paraitre).
  12. En contrepoint, on pourra lire le texte de Stephen J. Gould « Amorale nature » (Quand les poules auront des dents, trad. M.-F. de Paloméra, Fayard, Paris, 1984, pp. 31-44 ; sur Gould, célèbre biologiste de l’évolution disparu en 2002, voir par exemple la note 7 de la chronique n° 333) : « Ce constat honnête – à savoir que la nature est souvent (d’après nos critères) cruelle et que toutes les tentatives effectuées jusque-là pour découvrir la présence d’un principe de bonté derrière toutes choses sont vaines – peut mener dans deux directions. D’une part, on peut retenir le principe que la nature comporte des messages moraux, mais inverser la perspective habituelle et affirmer que la moralité consiste à comprendre la façon d’être de la nature, puis à faire le contraire. Thomas Henry Huxley avançait cet argument dans son célèbre essai sur Evolution and Ethics (1893) (…). Selon l’autre argument, extrême à l’époque de Darwin, mais qui nous est plus familier aujourd’hui, la nature est tout simplement telle que nous la trouvons. Le fait que nous ne réussissons pas à discerner un bien universel ne traduit pas un manque d’intuition ou d’ingéniosité, mais prouve seulement que la nature ne recèle aucun message moral formulé en termes humains. (…) Darwin lui-même inclinait à cette vue des choses, bien qu’il lui fût impossible, en tant qu’homme de son époque, d’abandonner totalement l’idée que les lois de la nature puissent refléter quelque objectif supérieur. (…) La réponse au vieux dilemme – pourquoi tant de cruauté (selon nos critères) existe-t-elle dans la nature ? – ne peut qu’être la suivante : il n’y a pas de réponse – et le fait de formuler la question “selon nos critères” est totalement déplacé dans un monde naturel qui n’est ni fait pour nous, ni gouverné par nous. Ce sont des choses qui arrivent, un point c’est tout. » Après avoir lu ce livre que je lui avais fait parvenir, Aimé Michel m’écrivit le 4.9.1988 : « La hantise de Gould est d’exorciser toute apparence de dessein. La possibilité d’un dessein lui paraît le plus grand danger du monde. Une menace terrible, l’apocalypse. Pourquoi cette obsession ? Qu’est-ce que ça peut foutre du point de vue scientifique qu’il y ait ou non dessein, puisque de toute façon si dessein il y a, il dépasse toute évaluation scientifique ? Il y a là une obscurité chez cet homme qui se veut clair. » Puis il conclut « Enfin, il me plaît bien, parce qu’au lieu de théories ou de métaphores pseudoscientifiques comme Simpson (…) il examine à la loupe des faits d’évolution, et souvent les éclaire. » Ce passage me parait éclairant pour comprendre et dépasser cette « hantise du dessein » qui se retrouve chez la plupart des scientifiques éminents. Elle est bien illustrée par L. Susskind lorsqu’il écrit : « On a d’un côté ceux qui pensent que le monde a forcément été créé par un acteur intelligent aux motivations bienveillantes. De l’autre côté, les têtes froides, les tempéraments scientifiques, qui sont persuadés que l’univers est le produit des lois impersonnelles et désintéressées de la physique, des mathématiques et des probabilités – disons un monde sans but. » (op. cit. p. 21). Pour tout scientifique le recours à une Intelligence supérieure pour « expliquer » quoi que ce soit en science est une contradiction dans les termes, une violation de la règle du jeu, une tricherie (voir note c de la chronique n° 13, La physique en panne). C’est par principe que Dieu est exclu, ce qui met un terme au débat scientifique sur le Grand Dessein avant même qu’il ait commencé. Les conséquences de cette décision sont bien exprimées par Aimé Michel : (a) qu’il y ait ou non dessein n’a aucune importance du point de vue scientifique ; (b) si dessein il y a, il échappe à toute évaluation scientifique. Toutefois, ces deux affirmations cessent d’être vraies dès lors qu’on remplace le mot « scientifique » par « philosophique » ou « métaphysique » et, a fortiori, « religieux ». Pour l’esprit philosophique, il est possible et même recommandé d’utiliser les données et théories scientifiques pour tenter d’accéder à une compréhension plus large de la nature, à une meilleure epignosis de celle-ci. Dans cette perspective, il se demandera légitimement si le scientifique « froid » de Susskind ne se bercerait pas d’illusions en escamotant des questions essentielles comme l’origine de la logique qu’il utilise et de la conscience qui l’anime. Ces notions n’échappent-elles pas à ses théories du fait même qu’elles lui servent de fondement ? Quant à l’esprit religieux, il fait encore un pas supplémentaire en aimant ce qui est d’une « chaleur » qui n’est pas simplement le contraire de la « froideur » scientifique. Ces trois démarches différentes nécessitent des ajustements qui sont souvent loin d’être simples et en perpétuelle mouvance du fait des progrès scientifiques. On ne s’étonnera donc pas des difficultés qu’elles soulèvent et des multiples incompréhensions auxquelles elles donnent lieu.
  13. Ce livre d’Aimé Michel vient d’être réédité (mai 2017) sous le titre Transfiguration. Les phénomènes physiques du mysticisme, aux Éditions du Relié, Paris. Il porte sur des phénomènes négligés, d’autant plus négligés qu’ils paraissent échapper à notre actuelle compréhension du monde (Pour une introduction à ces phénomènes, on pourra consulter la note 3 de la chronique n° 153, Un substitut de la contemplation – Électroencéphalographie et mysticisme, et la compléter par la n° 233, Éloge de Lucky Luke – Il y a folie à vouloir tout expliquer dans le cadre du peu qu’on sait). L’examen historique et l’analyse physiologique de ces phénomènes bien attestés permet de dégager deux faits essentiels : primo, ils ne sont pas un « viol chaotique des lois de la nature » mais « une utilisation particulière de ces lois » dépassant nos connaissances ; secundo, ils apparaissent à la suite d’une activité consciente, ascétique, lorsque l’ascète est « saisi par l’amour divin » (par exemple, saint Joseph de Copertino s’envole quand « la contemplation d’un oursin remplit soudain son âme d’amour pour le Créateur de l’animal »). Ces faits manifestent un projet qui n’est pas « celui de l’intelligence (…) discursive et expérimentale » (de la science) mais celui des « voies du cœur » (de la conscience). Dans le dernier chapitre, intitulé « Être ou ne pas être », Aimé Michel discerne dans ces faits une culmination des tendances manifestées par la nature dans son ensemble. Même si « le mal est dans l’atome » comme disait Teilhard, nous connaissons maintenant assez bien la nature « pour voir qu’elle est organisée pour tendre vers la délivrance du mal » c’est-à-dire de la souffrance, de la mort et du mépris de l’être (il en donne ici un exemple, voir aussi la note 8 de la n° 411 et le livre récent de Steven Pinker cité dans cette note). Au cours de ce processus inachevé, l’homme découvre en lui-même la force « qui le pousse à se perpétuer et qu’il appelle “amour” » ; il comprend que le « premier moteur (…) a bien pour nom “amour”, délivrance du mal ». Le Dieu de la révélation et des mystiques le confirme quand il dit « Avant que rien ne fût, je t’ai aimé » et enjoint de l’aimer plus que tout. Les deux dernière pages posent la question capitale : « Mais de ce qu’étant apparemment désiré, voire aimé dès l’origine du temps (…) s’ensuit-il que je doive aimer le je ne sais quoi qui m’a fait ? » L’injonction d’aimer est une obligation, elle n’est pas une nécessité. « L’injonction suppose la liberté de répondre Non. Pourquoi répondrais-je Oui ? » On peut répondre Non avec Aristote (« Il serait fou celui qui voudrait qu’on aime Zeus ») ou Stendhal (« La seule excuse de Dieu est qu’il n’existe pas ») et désavouer la nature. « Après avoir réfléchi, encore faut-il vivre. Rien ne nous contraint de dire Oui. Je m’interroge sur notre liberté de dire Non, de dire Oui au mal. (…) [À] chaque instant il faut choisir ». Être ou ne pas être.