PHYSIQUE : LA FIN DU LABYRINTHE ? - France Catholique
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PHYSIQUE : LA FIN DU LABYRINTHE ?

Chronique n° 274 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1576 − 25 février 1977.

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TANDIS QUE LES POLITICIENS ESSAIENT de nous intéresser à leurs querelles, l’histoire, qui les ignore, va son train. Sauf en de rares occasions où un être exceptionnel s’est trouvé être le dépositaire d’une volonté commune, les hommes politiques m’ont toujours rappelé le coq qui (du moins dans la fable) fait se lever le soleil.

Mais laissons là la politique. Connaissez-vous M. François Pierre ? Moi non plus. Quel Français connaît M. François Pierre, hors les spécialistes des hautes énergies ? Et pourtant, ce qui se passe du côté des hautes énergies, c’est cela qui, avec deux ou trois autres questions scientifiques en cours d’évolution, prépare notre avenir.

Les hautes énergies sont les inimaginables réserves que représentent les forces en jeu dans tout noyau atomique. Si les seules forces dormant dans ma pointe Bic étaient soudain libérées, cela secouerait une part de la France. Si celles qu’à mon insu recèle mon seul corps perdaient la stabilité qui les encage, l’endroit où j’écris serait remplacé par un cratère lunaire, et l’on verrait la nuit briller de Moscou et de New York.

Les physiciens sont en train de découvrir les règles qui maintiennent la stabilité de ces forces. Quand ils les connaîtront assez, ils sauront les libérer.

C’est effrayant ? Sans doute. Mais la seule « roue de l’histoire » qui ne soit pas un vain bavardage politicien, c’est que le progrès scientifique (par progrès j’entends développement pour le meilleur et le pire) n’est plus − et d’ailleurs n’a jamais été − entre les mains de l’homme. C’est un processus que l’homme a mis en marche sans pouvoir faire autrement et qui va s’accélérant quoi qu’il tente d’en décider. Autrement dit, c’est une part essentielle du plan éternellement prévu pour l’homme, comme l’apparition de l’homme elle-même, comme tôt ou tard sa métamorphose spirituelle1.

Apprivoiser les hautes énergies mettra fin une fois pour toutes au problème de l’énergie2. Bien entendu, cela pourra s’utiliser aussi pour un beau suicide collectif visible des autres étoiles, s’il y a là d’autres êtres qui nous surveillent. Je crois que la liberté d’appuyer sur le bouton quand on est assis sur la chaise électrique est une voie modeste mais efficace vers l’apprentissage de la sagesse. En tout cas, c’est la voie inéluctable de l’homme, donc celle du plan préparé pour lui depuis le commencement3.

Dans la grille prévue par la théorie des quarks, qui décidément semblent tout expliquer (a)4, il manquait une particule vers 1,85 milliard d’électrons-volt. On avait besoin d’une telle particule pour boucher un trou de cette théorie, si elle était vraie. Ou plus exactement, si l’on veut imiter la prudence des savants qui ne tiennent jamais une théorie pour prouvée, mais seulement vérifiée5, la théorie prévoyait vers 1,85 milliard d’électrons-volt une particule vérifiant une certaine combinaison de quarks comportant le quark dit « charmé ». Le chiffre de 1,85 milliard d’électrons-volt avait été prévu par le Pr Glashow, de Harvard, et deux ou trois autres savants, quand Gell-Mann et Zweig (les inventeurs du quark) s’étaient trouvés empêchés d’expliquer certains comportements de particules en désintégration dans les chambres à bulles6.

Je me rends compte, en relisant les lignes ci-dessus, qu’elles ne sont pas très intéressantes, bien qu’elles essaient d’évoquer un moment décisif de l’histoire vraie. Essayons autrement.

Il y a quelques dizaines d’années, on crut être arrivé aux ultimes particules élémentaires, d’où pouvait être tirée l’explication de tout ce qui existe physiquement dans l’univers. Il y en avait trois : le nucléon, l’électron, le photon. Puis on s’aperçut qu’il en existait bien plus, et qu’on en découvrait sans cesse de nouvelles.

Ici se place ce qui, je crois, est intéressant : tout cela répondait à une admirable architecture mathématique : la mécanique quantique ; la complication supplémentaire requérait une nouvelle extension mathématique, œuvre encore plus admirable des physiciens du milieu du siècle ; même un simple amateur d’art abstrait ne peut rester insensible aux tableaux rectangulaires de chiffres qui en sont l’aboutissement dans l’œuvre (par exemple) d’un Heisenberg ou d’un Dirac ; mais cela encore ne suffisait pas : confiants dans la simplicité finale des choses, Gell-Mann et Zweig parièrent sur une infra-particule qui expliquerait toutes les autres, et ce fut le quark ; mais il fallait, pour réussir, que cette infra-particule rendît compte de tout, ce qui n’était pas le cas ; là se situe un nouveau développement mathématique d’une simplicité et d’une ingéniosité telles que, comme jadis les Grecs, les physiciens actuels ont souvent l’impression de décrypter la pensée divine elle- même7.

La remarque est du Dr Sidney Drell, un physicien de l’Université Stanford, à San Francisco : « Nous avons bouclé le cercle, disait-il il y a quelques semaines, et nous revoilà aux Grecs, dans une dimension si lointaine de la nature (vers l’infiniment petit) que ce à quoi nous avons affaire ne nous sera peut-être jamais accessible autrement que par la pure abstraction (b). »

Ces pures abstractions prévoyaient un quark doté d’une certaine particularité, appelée « charme » par jeu de l’esprit, parce qu’on n’a aucun moyen d’imaginer ce qu’elle désigne réellement. Et si le quark « charmé » existait, on devait, en dépouillant les photos des chambres à bulle, découvrir la particule de 1,85 milliards d’électrons-volt : c’est justement cette particule que François Pierre a découverte, en passant au peigne, à Berkeley où il se trouve présentement, les photos recueillies par l’accélérateur linéaire de Stanford, le SLAC.

La boucle semble bouclée, comme dit le Dr Drell, parce que, une fois de plus (la quatrième pour le moins depuis 1911), théorie et observation semblent, du moins en ce qui concerne la famille des particules lourdes ou hadrons, exactement et intégralement se recouvrir.

Avons-nous atteint pour autant la fin du labyrinthe ? Le Dr Goldhaber, qui est arrivé au poteau en même temps que François Pierre répond : « Aller plus loin sera l’affaire du siècle prochain. »

Mais à voir ce qui se fait dans d’autres domaines de la physique, on peut prédire à coup sûr qu’on n’aura pas à attendre si longtemps. Le labyrinthe semble bien être insondable. Déjà, comme l’annonce Olivier Costa de Beauregard, d’autres orages se préparent, dans d’autres directions8.

Aimé MICHEL

(a) Voir ma chronique sur le quark, FcE, N° 1566, 17 décembre 1976.

(b) Rapporté par l’International Harald Tribune du 24 janvier 1977, p. 8, col. 1.

Chronique n° 274 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1576 − 25 février 1977.


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 13 mai 2013

  1. Aimé Michel a fait allusion, en de nombreux endroits, à cette future « métamorphose spirituelle de l’humanité » qu’il appelait aussi « apocalypse molle ». L’emballement des transformations en cours la rende selon lui inéluctable : « un processus évolutif qui dure au moins depuis le début de la préhistoire et probablement depuis le début de la vie terrestre, doit nécessairement, d’une façon ou d’une autre, se mettre en panne au cours du prochain siècle » (chronique n° 5; La fin de l’histoire vue par un géologue, 03.08.2009). L’homme « doit apprendre à regarder en face l’apocalypse molle lentement libérée par ses mains et d’où il sortira transformé physiquement et mentalement pour le meilleur ou pour le pire. Selon son choix. » (chronique n° 2, L’eugénisme ou l’Apocalypse molle, 27.07.2009). Il la décrivait aussi comme l’approche d’« un mur, un changement sans précédent dans l’histoire, (…) ou bien le mur ne sera pas franchi et c’est la fin parce que rien de nouveau ne pourra plus survenir ; ou bien il sera franchi, mais au prix d’une telle métamorphose de l’esprit que l’homme deviendra un être différent. (…) Ce que sera cette inéluctable métamorphose reste pour l’instant un mystère complet » (chronique n° 310, Le nouveau « paradoxe du comédien », La clarté au cœur du labyrinthe, Cointrin, 2008, ww.aldane.com, pp. 54-57).
  2. Sur la fusion thermonucléaire contrôlée et l’état actuel des travaux dans ce domaine voir la chronique n° 170, La révolution thermonucléaire – Nous sommes entrés dans une ère de périls (17.12.2012). Aujourd’hui les médias nous vantent plutôt les énergies renouvelables mais peut-être à l’excès.
  3. Aimé Michel, en accord avec d’autres penseurs, « et la science étant seule en considération », conclut que l’univers est la création d’un Dieu d’Amour (chronique n° 257, Le Dieu des savants – Les horreurs de la nature et la loi morale dans un univers animé par une pensée, 25.02.2013). « Et plus on me prouve que tout se produit par le jeu aveugle des causes, plus clairement je vois que ces causes attestent un plan et que leur jeu n’est pas aveugle » (chronique n° 262, « Miaou ». et tout est dit ?). Dans cette perspective les épreuves que l’humanité doit affronter font elles-mêmes partie du plan. L’échec demeure possible mais des solutions existent. Les épreuves sont donc en principe surmontables, même si on ne sait ni comment, ni par qui.
  4. La chronique citée en note (a) par Aimé Michel est la n° 267, Le rêve infantile du scientisme, mise en ligne la semaine dernière.
  5. Allusion à la thèse classique de Karl Popper selon laquelle la vérité d’une hypothèse ou d’une théorie scientifique ne peut pas être prouvée. Par contre sa fausseté peut l’être. Voir notamment les chroniques n° 86, Dans l’abîme du temps – Des êtres mortels ont su inscrire un message qui survivra à leur planète, à leur soleil, à leur ciel (12.09.2011) et n° 93, Mythes et mythologues – La nature n’est pas un donné bien clos car nul ne sait où elle s’arrête (16.11.2012).
  6. C’est en 1963 que Murray Gell-Mann et George Zweig proposèrent que les hadrons soient formés de l’agrégation de particules plus petites que l’on nomma quarks. (Les hadrons sont des particules sensibles à l’interaction nucléaire forte comme les neutrons et les protons qui sont des fermions et les mésons qui sont des bosons, voir par exemple les chroniques n° 117, Le Janus à quatre faces, 17.05.2010). La théorie des quarks aboutit au résultat qu’il devait en exister six sortes que l’on nomma arbitrairement u (up), d (down), s (étrange), t (top), b (bottom) et c (charme). Ce dernier, le quark charmé, fut prédit par Sheldon Glashow et James Bjorken en 1964. Ce fut le premier des quarks mis en évidence expérimentalement en 1974 par deux équipes indépendantes menées par Samuel Ting et Burton Richter, ce qui leur valut le prix Nobel en 1976. Les autres quarks furent découverts les uns après les autres par la suite.
  7. On cite souvent Einstein à ce propos. Par exemple dans une lettre à un enfant qui demandait si les savants priaient, datée du 24 janvier 1936, il écrit : « Tout homme sérieusement impliqué dans la recherche scientifique devient convaincu qu’un esprit se manifeste à travers les lois de l’Univers – un esprit largement supérieur à celui de l’homme. (…) De cette manière, la recherche scientifique conduit à un sentiment religieux d’un genre spécial, qui est en vérité tout à fait différent de la religiosité de quelqu’un de plus naïf. » (Extrait de Albert Einstein, Pensées intimes, édité par Alice Calaprice, traduit par Philippe Babo, Editions du Rocher, Monaco, 2000, p. 139).

    Le « quelqu’un de plus naïf », que vise ici Einstein est bien sûr, entre autres, le juif et le chrétien qui ont la « naïveté » de croire en un Dieu personnel se préoccupant des êtres humains. De nombreux écrits de scientifiques expriment une conception semblable, proche du Dieu impersonnel de Spinoza se révélant « dans l’harmonie de tout ce qui existe » (formule que j’emprunte également à Einstein).

  8. Les autres chroniques qu’Aimé Michel annonce ainsi seront consacrées à la physique quantique. Pourtant il ne publiera la première d’entre elles, la n° 285, La dernière serrure, que trois mois plus tard…