MA LETTRE PUBLIQUE DE DÉLATION - France Catholique

MA LETTRE PUBLIQUE DE DÉLATION

MA LETTRE PUBLIQUE DE DÉLATION

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Les communistes « renégats » ont été élus ou réélus triomphalement lors des récentes élections municipales. Ce qu’est un communiste « renégat » quand il n’y a plus de doctrine communiste, c’est ce que j’ignore et n’ai pas envie de savoir1 siècle, Presses Sorbonne Nouvelle, 2008, pp. 69-70)]]. Mais je me permettrai, s’il vous plaît et pour ajouter un peu à la confusion, de dénoncer à M. Marchais2 quelques renégats jouissant actuellement d’une certaine estime et notoriété, ce qui est un outrage aux droits de l’homme et autres vertus dont le Parti Communiste s’est fait, on le sait, le gardien sourcilleux. Ouvrons cette délation publique par le menu fretin : Il y a d’abord le Marchais italien, le camarade Achille Occhetti, Secrétaire Général3. Je n’ai pas bien suivi son congrès, ouvert le 18 mars à Rome et fort ennuyeux, mais il avait l’intention d’y liquider le « Centralisme démocratique », c’est-à-dire l’héritage de Lénine, et, pour que tout soit clair, de larguer toute référence à la « Révolution d’octobre », qui, depuis 72 ans est à tout Parti Communiste ce que le Sinaï est à la Bible (ne pas confondre la Révolution d’octobre et celle de 1917, abattue par Lénine). « Notre référence n’est plus octobre 1917 mais 1789, a précisé M. Occhetti, enfonçant le clou. Nous sommes les héritiers de la Révolution Française, moins la Terreur, c’est-à-dire que nous ne sommes pas des jacobins ». Comment, pas de guillotine, pas de loi des suspects ? Et ces Italiens se disent révolutionnaires ? Voilà qui est bien triste. Je pense avec mélancolie à ce porte-parole d’une secte inconditionnelle du bicentenaire4 que j’ai entendu l’un de ces derniers dimanches sur France Culture dans le cadre (comme dit France Culture) de « divers aspects de la pensée contemporaine », avant la Grand’ Messe5. Ah, lui au moins ne mollissait pas : « Hélas, disait ce pur, Robespierre et ses amis furent fauchés par la Réaction alors qu’ils allaient achever leur œuvre d’épuration : plus que 6 000 exécutions, le temps de quelques jours, et la Libre Pensée eût été établie à jamais dans ce pays »6. Il y a donc en France, organisés en Association, ou Ligue, je ne me rappelle plus, de pieux conservateurs de la pensée de Robespierre et Fouquier-Tinville qui ne se consolent pas de ce manque à gagner de 6 000 têtes sauvées in extremis par Thermidor. Si l’on avait coupé ces têtes, les autres auraient enfin pensé librement. Je trouve ces fidèles bien modérés : 6 000 têtes coupées de plus seulement, et l’on eût été assuré que les autres ne penseraient jamais plus (librement) que conformément aux Dogmes de la Libre Pensée ? Ah, quel gâchis, si près du but ! Mais est-ce croyable ?7 Un libre penseur n’est fiable que guillotiné À mon avis, ce Fouquier-Tinville modèle 1989 est un doux optimiste : la Réaction étant par nature une Hydre renaissante, il eût fallu, pour assurer le triomphe définitif de la Libre Pensée, couper toutes les têtes. J’insiste, car on n’est jamais assez clair : nul ne peut être tenu pour un Libre Penseur fiable que dûment guillotiné. Il est évident qu’en rejetant la guillotine, le camarade Occhetti et ses prétendus révolutionnaires du Parti Communiste Italien s’inscrivent parmi les Renégats. Voilà pour le menu fretin. Une mise au point de M. Marchais s’impose, et vite, avant que le doute ne gâte certains esprits faibles. Autre gibier de potence, d’un peu moins piètre envergure toutefois : le Congrès du PCI se réunit donc le 18 mars, et qu’entends-je sur Radio Moscou dès le lendemain ? Que ledit congrès a accueilli debout dans un tonnerre d’applaudissements la lecture d’un message de M. Gorbatchev disant en substance ceci : « Le secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique (PCUS), le PCUS tout entier et le peuple soviétique adressent leurs plus chaleureuses félicitations au PCI pour les excellentes orientations qu’ils viennent de définir, concernant les nouvelles relations qui s’établissent entre les peuples ; la fin de la politique de confrontation, etc., et notamment pour la définition des vraies sources révolutionnaires, qui sont celles de la Révolution russe de 1917… (qu’est-ce c’est que ça ? et la Révolution d’octobre, alors, qui mit un terme à la gabegie de la révolution bourgeoise dite de 1917, inspirée par la Révolution française ?). La suite du message de M. Gorbatchev (et du PCUS… et du peuple…) n’était qu’un tissu d’abominations et d’erreurs de plus en plus consternantes : il y était dit notamment que les destinées de la Maison Europe… destinées communes avec celles des peuples des États-Unis et du Canada… etc. bref M. Gorbatchev battait le rappel de l’Occident, qui doit s’unir cohabiter… idéaux communs… droits de l’homme… que sais-je encore ? Ce n’était plus l’unité de l’Atlantique à l’Oural, mais de tout l’hémisphère nord. Cependant le plus beau reste que les sources révolutionnaires du PCI (1789, jacobinisme exclu) sont celles-là même de la révolution de 1917. Alors, et Lénine ? Ah, Lénine, justement. Olivier Clément, ici-même, demandait l’autre semaine que les nouveaux dirigeants du Kremlin eussent enfin, pour être crus, le courage de dénoncer dans le léninisme la source du stalinisme8. Or, M. Gorbatchev ne rate jamais une occasion d’évoquer « l’héritage sacré de Lénine », et comme je l’ai rapporté, lors de sa récente tournée en Ukraine il inaugurait chacune de ses étapes par un dépôt solennel de fleurs à la statue du Héros Fondateur. Il y là une contradiction : Lénine, par son coup d’État d’octobre, écrasa la révolution républicaine du printemps 1917 en dispersant la Douma, l’Assemblée élue. La vérité est qu’en ce moment en Russie chaque jour qui passe semble démentir la veille et aller toujours plus loin. Aller où ? Quelqu’un le sait-il ? Voilà que court la rumeur : Notre Lénine (c’est ainsi que l’on dit depuis 70 ans) aurait, vers la fin, reconnu que « le marxisme, cela ne marche pas ». Le besoin d’un Père de la patrie n’exige-t-il pas de nouveaux motifs, au besoin inventés, pour mettre ce qui va se passer sous son Saint Patronage ? L’avenir ne vaut-il pas une messe (noire) ? Après tout, notre Clovis, tout baptisé qu’il fut avec vingt mille de ses guerriers, n’était bien, n’est-ce pas, qu’un affreux bandit9. Bref je prie anxieusement le camarade Marchais, qui ne se trompe jamais, lui, d’avoir désormais à l’œil l’évolution du camarade Lénine que je soupçonne fort de trahison. Il n’était, j’en ai peur, ni marxiste, ni léniniste. Sainte Guillotine, priez pour lui. Aimé MICHEL Chronique n° 462 parue dans France Catholique − N° 2201 − 07 avril 1989 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 12 juin 2017

 

  1. « Renégat » a été le terme le plus couramment utilisé par les Partis communistes pour désigner le « militant traître à la cause », celui qu’il excluait. Il est d’origine religieuse au départ et désigne celui qui a renié sa religion. La démission n’était pas permise par les statuts du parti ; elle n’y fut introduite qu’en 1979. Le terme de « renégat » disparaitra du vocabulaire communiste à partir des années 1990. (Sur ce vocabulaire on pourra consulter l’article de Christiane Dampne, de l’université Lyon 2 Lumière, https://www.brown.edu/Research/Equinoxes/journal/issue2/eqx2_dampne.html). Quelques exemples d’utilisation de « renégat » par Lénine et Trotski à propos de la dictature du prolétariat, et par Thorez et Aragon à propos du pacifisme et du pacte germano-soviétique, illustrent la gravité des enjeux : En août 1918, alors que les bolcheviks ne sont au pouvoir que depuis six mois, Karl Kautsky (1854-1938), homme politique allemand (membre de l’USPD puis du SPD) et théoricien socialiste (marxiste) qui fut secrétaire de Engels, prend conscience de ce qui se joue. Dans son livre La dictature du prolétariat (UGE, coll. 10/18, Paris, 1972) il écrit « L’opposition des deux courants socialistes (…) repose sur l’opposition de deux méthodes foncièrement différentes : la méthode démocratique et la méthode dictatoriale. Les deux courants veulent la même chose : l’émancipation du prolétariat et avec lui de l’humanité par le socialisme. Mais la voie choisie par les uns est tenue par les autres pour fausse et ne pouvant que mener à la ruine. (…) La revendication à la libre discussion nous place d’emblée sur le terrain de la démocratie. Le but de la dictature n’étant pas de réfuter l’opinion opposée, mais de supprimer violemment son expression. Ainsi les deux méthodes de la démocratie et de la dictature s’opposent déjà d’une façon irréductible avant même le début de la discussion. L’une exige la discussion, l’autre la refuse. » (pp. 173-174). Kautsky comprend que la méthode dictatoriale conduit à la guerre civile, la plus cruelle des formes de guerre. Lénine, piqué au vif, lui répond, en dépit de charges écrasantes, par un texte intitulé La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky qui signifie le refus de la discussion et justifie pleinement les craintes de Kautsky. Dix-huit mois plus tard, Léon Trotsky répondra à Kautsky dans les mêmes termes (je donne quelques citations en note 7). Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de 1930 à 1964, alors réfugié en URSS, écrit dans le numéro du 16 février 1940 de la revue de l’Internationale communiste, Die Welt, publiée à Stockholm, un article en allemand intitulé « Renegaten und Burgfriedenspolitik : Léon Blum, wie er leibt und lebt » (Renégats et politique d’Union Sacrée : Léon Blum tel qu’il est) où il dénonce ceux qui, comme Léon Blum, soutiennent la guerre contre l’Allemagne et donc trahissent la classe ouvrière : « En 1939, le parti communiste, avec son Comité central en tête – à l’exception d’une poignée de renégats lâches et sans influence – demeure fidèle à la cause de la classe ouvrière, à la cause de la paix. Il stigmatise le caractère injuste, réactionnaire, impérialiste de la guerre actuelle. Il appelle tous les travailleurs à la lutte contre la réaction en France, en vue d’imposer la paix immédiate. (…) Les enseignements des classiques du marxisme nous permettent de mettre à nu les causes et les objectifs de la guerre actuelle. La bourgeoisie française veut maintenir contre la bourgeoisie allemande les positions dominantes qu’elle s’est assurée lors de la signature du traité de Versailles. » (http://pcf-1939-1941.blogspot.fr/2013/07/renegats-et-politique-dunion-sacree.html). Dans son roman Les Communistes (dont la première version a été publiée en six fascicules de 1949 à 1951), Louis Aragon s’attache à donner la bonne interprétation du pacte germano-soviétique (sur ce pacte, voir la chronique n° 368, Les maquilleurs de l’histoire – Le Pacte Germano-Soviétique). Il est surtout envisagé comme « un test de fidélité, qui permet de trier le bon grain de l’ivraie, les “bons” militants communistes des renégats en puissance, des “froussards” qui vont quitter le navire au moment où le parti va connaître la grande épreuve de l’interdiction politique et des persécutions. (…) Elles autorisent l’écrivain à dénier en partie la légitimité des doutes et des déchirements de conscience qui furent ceux de nombreux communistes engagés depuis des années dans la lutte antifasciste et qui ont quitté le parti à cette occasion. En vertu de la certitude qu’au bout du compte le parti a toujours raison (…) le militant (…) doit faire preuve de patience et de confiance. » (Corinne Grenouillet, de l’université Strasbourg 2 March-Bloch, dans Fiction et engagement politique: la représentation du parti et du militant dans le roman et le théâtre du XX[[e
  2. Georges Marchais (1920-1997) a été secrétaire du Parti communiste français de 1972 à 1994. On trouvera quelques indications biographiques à son propos dans la note 2 de la chronique n° 104. Sans surprise, Aimé Michel en parle souvent dans ses chroniques et montre toujours la plus grande défiance à son égard (n° 216, note 4 ; n° 238, note 4 ; n° 339, note 1 ; n° 371, note 7 ; et n° 427, notes 1 et 5).
  3. Le Parti communiste italien (PCI) est né à Livourne en 1921, autour d’Antonio Gramsci, par sécession du Parti socialiste italien (sur Gramsci, voir la chronique n° 380, En lisant Monsieur Mexandeau : vive l’école plus libre – Contre la « guerre scolaire » et l’uniformité). À la Libération, il est le premier parti de la résistance et obtient près de 21 % des voix aux élections. En 1959, il définit une « voie italienne vers le communisme », confirmée par sa réprobation de l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968) et son attachement à une « société pluraliste, non centralisatrice et non bureaucratique » (1969) et à une collaboration avec les catholiques (1973). Il atteint son apogée au milieu des années 70 (34 % des voix en 1976) sous la direction du charismatique Enrico Berlinguer. Ensuite, vient le déclin accéléré par les bouleversements en Europe de l’Est… Achille Ochetto (et non Ochetti), né en 1936, est le dernier secrétaire général du PCI de 1988 à 1991. C’est un parfait renégat puisque, sous sa houlette, au début de 1991, le PCI abandonne le terme même de « communiste » pour devenir le « Partito Democratico della Sinistra » (Parti démocrate de la gauche). L’aile dure fonde le « Partito della rifondazione comunista » (PCR) qui a perdu tous ses députés aux élections de 2008 et n’existe plus qu’au travers de coalitions instables. Ochetto est aujourd’hui sénateur de la Calabre et député européen du Groupe socialiste.
  4. Les cérémonies du Bicentenaire de la Révolution étaient alors en préparation. Son apogée fut le défilé du 14 juillet 1989 organisé par Jean-Paul Goude en présence de François Mitterrand, de 33 chefs d’État et de gouvernement étrangers, de 800 000 spectateurs et de 800 millions de téléspectateurs dans le monde, tandis que la cantatrice Jessye Norman chantait La Marseillaise place de la Concorde. Mais ce bicentenaire fut peut-être plus encore l’occasion d’une controverse sur le sens de cette Révolution et son interprétation jacobine et marxiste, personnifiée par l’opposition de deux personnalités éminentes, Michel Vovelle et François Furet. Le premier, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, membre du PCF, était chargé de la supervision historique de la commémoration, tandis que le second, « renégat » du PCF dès les années 50, avait commencé six ans auparavant un travail critique qui aboutit en 1988 à son Dictionnaire critique de la Révolution française (codirigé avec Mona Ozouf, Flammarion, Paris, 1988). Il y mettait l’accent non sur la lutte des classes sociales mais sur l’irruption de l’idée démocratique dans la société française. Un peu plus tard, il insista sur le « “lever de soleil” de 1789 » et « la redécouverte des droits de l’homme considérés il y a encore dix ou vingt ans par la gauche marxiste comme un déguisement de la société bourgeoise ». ((http://www.lemonde.fr/idees/article/2007/08/01/retrocontroverse-1989-bicentenaire-introuvable-ou-revolution-terminee_940987_3232.html#blDUP6vZBqxf48xk.99) Vovelle lui répondit en rejetant l’opposition entre « une historiographie “libérale” toute-puissante [celle de Furet] et une historiographie “jacobine” agonisante [la sienne] ». Dans un entretien en 1987 (http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1987_num_85_3_2316) il déclarait « la Révolution française reste bien le test discriminant de deux sensibilités dans la France actuelle, une sensibilité de gauche et une sensibilité de droite, se définissant par rapport à cette frontière qui a rejoué et qui s’inscrit en termes de référence à la Révolution française, pour ou contre. » Il voyait « l’ampleur et la durabilité de son message » dans deux éléments : d’abord « la rencontre historique qui caractérise ce que je m’obstine à définir comme une révolution bourgeoise à soutien populaire, cette conjonction de la révolution bourgeoise des Lumières et des formes de mobilisation populaire urbaine et paysanne » dont seule la Révolution française présente un modèle original ; ensuite la Déclaration des Droits de l’Homme promulguée par elle qui « a été la première à prétendre légiférer pour les hommes de tous les temps et de tous les pays. Il y a là une prétention, une aspiration à l’universalité, qui est sans doute son originalité majeure et à travers laquelle s’exprime cette ambition démesurée. » Les deux hommes s’estimaient et leurs relations furent loin d’être exécrables. F. Furet domina la scène médiatique par son aisance et parvint efficacement à contrer la récupération idéologique qu’il craignait. « Par beaucoup d’aspects, la Terreur annonce ce que seront les sociétés communistes. Au printemps 1794, la Révolution échappe à tout contrôle. Elle “dévore ses propres enfants”. La Terreur devient un mode de résolution des conflits politiques internes, et non plus un moyen de se défendre contre les conflits extérieurs. (…) Sous la Terreur comme sous Staline, on transforme en complot tout désaccord politique ; comme en 1936 en Union soviétique, la Convention adopte une constitution qui était un modèle de démocratie, puis la met de côté pour se lancer dans une répression féroce. » (Christophe Prochasson, François Furet : Les chemins de la mélancolie, Stock, Paris, 2013).
  5. Cette émission de France Culture existe toujours. Elle est confiée en alternance aux différentes obédiences maçonniques et de Libre Pensée qui s’expriment tous les dimanches pendant 17 ou 18 minutes à partir de 9h50.
  6. Il a déjà été question de la Libre Pensée à propos de l’illustre biologiste Jean Rostand, qui en fut président d’honneur, dans la chronique n° 357, Dans l’histoire de la vie, le secret d’un plan – La genèse et les sciences – 11. Cette allusion invite à y revenir. Selon la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP), ce mouvement dont le slogan est « Ni dieu ni maître, à bas la calotte, vive la sociale ! » est né en 1847 avec la fondation de la revue anticléricale et antireligieuse La liberté de penser. L’année suivante, le libre penseur Victor Schoelcher fait supprimer l’esclavage dans les colonies françaises. En 1880, l’Internationale de la Libre Pensée est fondée, tient congrès à Bruxelles, puis à Paris où elle se définit comme une « société rationaliste et athéistique ». En 1902, l’hebdomadaire La Raison, soutenue par Marcelin Berthelot et Anatole France, fait campagne « contre les infiltrations cléricales dans l’Université » et soutient la politique de Combes (voir note 1 de la chronique n° 380). À Rome en 1904, la Libre Pensée « rejette le triple joug : du dogmatisme dans tous les domaines et en particulier en matière religieuse et morale, du privilège en matière politique, du profit en matière économique ». Peu après elle triomphe avec la séparation de l’Église et de l’État, puis multiplie les actes symboliques, comme l’érection face au Sacré-Cœur, en 1905, d’une statue au chevalier de la Barre (voir note 8 de la chronique n° 402) ; réclame avec le Front laïque « la suppression des émissions de caractère religieux aux postes radiophoniques de l’État » (1935), publie la liste des préfets et des élus qui « bafouent la laïcité en allant à des cérémonies religieuses » (1948), dénonce les pèlerinages militaires à Lourdes (1952), etc. Curieusement l’histoire racontée sur le site de la FNLP (http://www.fnlp.fr/news/11/17/L-histoire-de-la-Libre-Pensee-en-France.html) s’arrête en 1980. Pour en savoir plus, il faut se rendre sur le site de l’Association des Libres Penseurs de France (ADLPF, http://www.libre-penseur-adlpf.com/2015/09/pourquoi-l-a-d-l-p-f.html). On y apprend que l’histoire du mouvement libre penseur « est émaillée de ruptures, scissions et réunifications » et ce qui s’est passé de 1980 à 1990. Les militants trotskistes du Parti des Travailleurs (P.T., aujourd’hui Parti ouvrier indépendant, d’extrême gauche), dits aussi Lambertistes, « généreux, jeunes et dynamiques, sont accueillis à bras ouverts » par les Libres Penseurs et parviennent à être élus dans leurs instances nationale et départementales. En juin 1995, les pro-P.T. convoquent une Assemblée Générale au siège social du mouvement à Paris et en interdisent l’accès aux libres penseurs « historiques ». Ces derniers réagissent en créant une association qui finit par s’autonomiser complètement en 1998. Aujourd’hui, en raison des désaccords entre les deux mouvements, « notamment l’indépendance à l’égard des partis politiques et la critique de toutes les religions », seuls une centaine d’adhérents appartiendraient encore aux deux mouvements.
  7. Je ne sais qui était ce « pur » s’exprimant sur France Culture au nom des Libres Penseurs et regrettant que Robespierre n’ait pas assez guillotiné. Il avait un illustre prédécesseur en la personne de Jean-Paul Sartre qui déclara : « Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué et ainsi inconsciemment servi un retour à l’ordre, puis la Restauration. » (Entretien avec Michel-Antoine Burnier, paru dans le n° 28 du magazine Actuel en février 1973).
  8. Que le léninisme soit la source du stalinisme peut être illustré par la réponse de Lénine à la prise de position critique de Kautsky (présentée en note 1) dans son livre, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky. Il y écrit ceci (j’extrais les citations qui suivent du Livre noir du communisme, Laffont, Paris, 1997) : « L’État est aux mains de la classe dominante une machine destinée à écraser la résistance de ses adversaires de classe. Sous ce rapport, la dictature du prolétariat ne se distingue en rien, quant au fond, de la dictature de toute autre classe, puisque l’État prolétarien est une machine servant à écraser la bourgeoisie. » (p. 809) « La dictature est un pouvoir qui s’appuie directement sur la violence et n’est lié par aucune loi. La dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie, pouvoir qui n’est lié par aucune loi. » Il ajoute : « La démocratie prolétarienne, dont le pouvoir des Soviets est une des formes, a développé et étendu la démocratie comme nulle part au monde, au profit justement de l’immense majorité de la population, au profit des exploités et des travailleurs. » (p. 810 ; Stéphane Courtois commente que, durant des décennies, l’expression « démocratie prolétarienne » « fera florès et servira à couvrir les pires crimes »). Ces propos ne sont pas désavoués par Léon Trotski. Dans Défense du terrorisme (Nouvelle Revue critique, 1936) il affirme : « La dictature est indispensable parce qu’il s’agit non pas de changements partiels, mais de l’existence même de la bourgeoisie. Sur cette base, nul accord n’est possible, la force seule peut décider. (…) Qui veut la fin ne peut répudier les moyens. » (p. 44). Puis, « la vitalité historique de la bourgeoisie est colossale. Elle se cramponne au pouvoir et ne veut pas lâcher prise. Par cela même, elle menace d’entraîner dans sa chute toute la société. On est obligé de l’en arracher et de lui couper, pour cela, les mains. La terreur rouge est l’arme employée contre une classe vouée à périr et qui ne s’y résigne pas. » (p. 82). Enfin, « [l]a révolution violente est devenue une nécessité justement parce que les exigences immédiates de l’histoire ne pouvaient pas être satisfaites par l’appareil de la démocratie parlementaire. » (p. 57) Louis Aragon en fera un vers : « Les yeux bleus de la Révolution brillent d’une cruauté nécessaire. » (Le Front rouge, 1931). La dictature du prolétariat sera abandonnée par le PCF en 1976 à l’exemple du PC italien. Cet abandon marque le début de la fin de la « doctrine communiste » évoquée au début de la chronique.
  9. Les célébrations autour du baptême de Clovis donneront lieu sept ans plus tard, en 1996, à de nouvelles controverses lors de la visite du pape Jean-Paul II (qui reprend le thème du « baptême de la France » de sa première visite, en 1980, voir la chronique n° 429). Ce baptême du chef franc aurait eu lieu en 496, au cours de la bataille de Tolbiac (aujourd’hui Zülpich, près de Cologne) qu’il remporta sur les Alamans. En fait on ne sait pas grand-chose de Clovis (466-511). Selon l’historien Pierre Chaunu, il n’est pas sûr qu’il soit devenu plus chrétien après son baptême qu’avant : il est resté barbare, se faisant enterrer comme ses successeurs avec ses armes, comme Charlemagne trois siècles plus tard. Sa conversion n’a rien changé à la situation politique puisqu’il était déjà allié aux évêques gallo-romains. Tous les historiens s’accordent donc à y reconnaître un mythe. C’est sur la signification symbolique de ce mythe qu’a porté la querelle. Pour la faire comprendre je suivrai la présentation de deux historiens, Pierre Chaunu et Eric Mension-Rigau, « protestants iréniques » partageant une même prédilection pour la mémoire longue, une même passion pour l’histoire de la France et (…) un même réflexe de réconciliation », dans leur livre Baptême de Clovis, baptême de la France. De la religion d’État à la laïcité d’État (Balland, Paris, 1996). Pierre Chaunu y établit un parallèle avec ce qui précède : « Comme la prise de la Bastille, le baptême de Clovis n’est qu’un magnifique symbole. L’une n’est qu’une émeute de banlieue au cours de laquelle on détruit un bâtiment pratiquement vide dont le roi essayait de se débarrasser depuis quinze ans et qu’il ne conservait que parce qu’il n’avait pas assez d’argent pour le faire démolir. L’autre est un évènement de peu d’importance. » Pour Éric Mension-Rigau, « l’importance du mythe est souligné par la présence sans discontinuité depuis mille cinq cent ans, dans l’imaginaire national, de celui dont le nom est indissociable de quelques “lieux de mémoire” : Soissons et son vase, Paris et sainte Geneviève, Reims et sa cathédrale (où entre 893 et 1825 ont été célébrés la plupart des sacres (…)). » C’est au jour anniversaire du baptême de Clovis que Charlemagne choisit d’être couronné empereur d’Occident à Rome. « Son importance symbolique éclate dans la fréquence de son nom, devenu “Louis” chez ses successeurs. » Le siècle des Lumières fait du Franc l’inventeur de la monarchie constitutionnelle. « Plus tard, les révolutionnaires en s’acharnant sur Clovis avec une fureur dévastatrice (son sarcophage est profané, sa basilique détruite, la sainte ampoule solennellement brisée neuf mois après la mort de Louis XVI), le consacrent malgré eux, comme le fondateur de la royauté sacrée » (p. 12). Au cours du XIXe siècle, « il devient le symbole de la France chrétienne et royaliste, opposée aux républicains laïcs. » Dans le sillage du mythe de Clovis se trouvent les grandes figures unificatrices des Français : Jeanne d’Arc, Henri IV, Clémenceau, De Gaulle. La Première guerre mondiale réconcilie les France qu’on croyait irréductiblement opposées et conduit à superposer « les traditions de “l’armée catholique et royale” (où l’on a depuis longtemps appris à mourir pour un idéal) et l’hymnologie révolutionnaire (“quand tu soutiens nos bras vengeurs, liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs…”) qui célèbre le sol sacré de la patrie » (p. 18). De Gaulle lui-même dit un jour : « Pour moi l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France ». (https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/2002165#h=20). Dans l’épilogue, Chaunu se prend à rêver : « Et si 1996 nous faisait avancer sur la route d’une authentique laïcité qui soit aussi éloignée du laïcisme à la française (entendez l’athéisme d’État qu’incarne si bien aujourd’hui le sénateur Michel Charasse) que l’islamisme l’est de l’islam. (…) [À] la formule “faites l’amour, pas la guerre”, je propose cette variante “essayez de conclure, faute de mieux, un concordat” au sens étymologique. Tout vaut mieux que la haine… » (p. 316).