LA CLAIRE FONTAINE - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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LA CLAIRE FONTAINE

Chronique n° 429 parue dans F.C. – N ° 2087 – 2 janvier 1987

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Entrer dans la source de l’homme et y agiter les gros sabots de la biologie, est-ce sage ? La biologie, science rénovée par ses découvertes des vingt dernières années, est cause d’arrogance. Tout d’un coup des portes se sont ouvertes, le chercheur pénètre dans des arcanes vierges depuis le commencement du monde, l’intrus perd la prudence qui l’a conduit jusque-là. Peut-il prévoir les conséquences de son intervention quand dix générations auront passé ? Il le peut si l’homme n’est qu’une souris, voire un singe. On a fait l’expérience sur ces animaux, et à la dixième génération il ne se passe rien. Donc on va essayer sur l’homme. Je sais bien qu’en principe on n’essaie sur l’homme que progressivement, avec prudence. Les biologistes ont autant de sagesse que les autres savants. Mais leur science n’est pas quelconque. S’agissant de la conception humaine, il n’y a jamais de prudence suffisante. La conception a lieu, ou non. Tant qu’elle n’a pas lieu on ne sait pas. Et quand elle a lieu on ne sait pas non plus, mais il est trop tard pour réfléchir. Un être qui pense a été produit1. Sait-on si les pensées de son âge mûr ne doivent rien à l’amour géniteur, indissociable dans la nature de la procréation ? Non, bien entendu. La biologie ne fait aucune différence entre un homme assis sur une chaise et qui va sortir acheter un bouquet de fleurs, et le même homme qui, ayant moins réfléchi, ne croit pas à son bouquet, oublie celui qui l’aima avant qu’il fût, ouvre la fenêtre et se jette dans le vide. [|*|] Ce qui fait la destinée d’un homme, la biologie l’ignore. Elle l’ignore non pas forcément parce que la destinée de l’homme ne doit rien à la biologie et que c’est affaire de l’âme purement spirituelle. Mais parce qu’elle n’a aucun moyen de savoir2. Il est vrai que l’on peut s’accomplir avec une jambe de bois ou un cœur malade, ou aussi bien rater son passage dans ce monde avec un corps parfait, s’il en est. Mais ce ne sont que circonstances grossières. Cattell a pu mesurer une soixantaine de facteurs physiques accompagnant l’anxiété. Ses résultats sont statistiques. Ils sont vrais « en général »3. Des états bien plus graves que l’anxiété ne se manifestent par rien de décelable physiquement. Entendons : par rien de décelable avec nos moyens actuels, qui sont très grossiers. Sait-on le rôle joué par le mode de fécondation dans le psychisme de l’être humain devenu adulte ? Non, on n’en sait rien. On n’en sait pas même un peu. On l’ignore entièrement, et personne au monde n’est capable ne fût-ce que d’imaginer un moyen de savoir. Agiter ses gros sabots dans la source de l’homme, c’est peut-être la troubler irrémédiablement, changer son être. [|*|] Il y a seulement cinquante ans, avant que le chauffage central ait pratiquement effacé l’effet des saisons, les naissances n’étaient pas régulièrement réparties entre les mois de l’année : elles tendaient à se multiplier vers la fin de l’automne, c’est-à-dire précisément vers l’époque où les premiers chrétiens ont convenu de fêter Noël, la naissance du Sauveur4. Les historiens des idées religieuses qui veulent tout expliquer, se plaisent à écrire que la naissance de Jésus a été « tout simplement » fixée juste après le solstice d’hiver, parce qu’elle coïncidait ainsi symboliquement avec la victoire du jour sur la nuit. La Lux aeternae gloriae descend sur cette terre perdue par le péché, précisément quand les jours se mettent à augmenter. En effet, c’est bien à ce moment-là que l’on fête Noël. Mais un peu d’imagination folklorique ne doit pas cacher une réalité plus profonde : pendant des dizaines ou peut-être centaines de milliers d’années, sinon plus, la période normale du renouvellement des générations de l’homme fut le début de l’hiver. Il me plaît de croire, quoique les Écritures n’en disent rien, que Jésus naquit bel et bien à l’époque où nous fêtons Noël5. C’est conforme à l’être de l’homme. Il nous reste quelque chose de ce passé lointain, contemporain de notre innocence : c’est l’impression d’amour universel éprouvée même par les cœurs les plus fatigués au retour du printemps. Le poète latin Lucrèce appelle le printemps « saison de Vénus », chante les oiseaux construisant leur nid, l’éclosion des bourgeons, des fleurs… Tout cela nous semble naturel. Ce n’est en réalité naturel que parce que l’homme d’avant les origines voyait les saisons comme les voit l’oiseau. Beaucoup d’animaux plus proches de nous, mammifères des zones tempérées, ont en automne leur saison d’amour. Pas nous. Pour eux, plus proches de nous que l’oiseau, la saison où le cœur se gonfle de visions et d’ivresses fécondatrices, c’est à la fin de l’automne. Surprenant, n’est-il pas ? Comme disent les Anglais. C’est au retour des frimas qu’ils éprouvent l’exaltation de la nature chantée par Lucrèce au début de son poème6. [|*|] En ces temps de Noël, j’ai passé pas mal de temps à chercher dans les librairies ce qu’un grand-père, un peu surmené, n’a pas l’habitude de chercher : des recueils de nos vieilles chansons. Bien sûr je les savais, ces chansons, mais de les fredonner tout en tournant les pages m’a fait prendre conscience de leur charme commun : elles sont gaies, ces vieilles chansons françaises, pleines d’un humour aimable, même quand « les vivres vinrent à manquer » au petit navire, quand « Compère Guilleri » se casse la jambe en tombant d’un arbre, quand les trois capitaines se moquent de la bergère en sabots. Elles sont toutes drôles et d’un infatigable entrain. « France, qu’as-tu fait de ton baptême ? » nous demandait le Pape7. Je me demande si la France n’a pas perdu le sens de sa mission en perdant sa vieille âme toujours jeune et gaie à travers les siècles. Quel voile gris est descendu sur nous ? Où sont passés la Mère Michel, le Père Lustucru, et les Trois jeunes Tambours, et ri et ran ?8 Je crains que notre présente grisaille ne coule d’une source de vie troublée par l’imprudence et l’égoïsme. Imprudence d’un savoir qui ignore l’essentiel, égoïsme qui ne fait plus confiance à la vie, don merveilleux. Nous savons éviter l’enfantement, le provoquer artificieusement, transplanter les bébés comme des choux, mais si ces douteux miracles de laboratoire créent à long terme de la tristesse et de l’ennui nous l’ignorons. Quant à l’égoïsme de la famille planifiée en fonction de l’inflation, du taux de crédit et des prévisions de l’INSEE, peut-être se plaît-on à l’appeler sagesse, mais qui prétend vivre sans un peu de folie n’est-il pas un peu fou ? Ce n’est pas ainsi que la Nature, pensée divine, nous enfanta. Il y a de la folie dans l’histoire du monde9 : Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, Verse l’amour brûlant à la terre ravie, Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang ; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme…10 (Rimbaud) Il faut être le poète-enfant pour encore éprouver l’ivresse de l’origine. Hélas, il me semble que nous sommes tous vieux. [|*|] Un grand-père ne saurait mépriser les vieux. Mais sincèrement, je trouve que nous sommes trop. Une foule majoritaire préoccupée de ses rhumatismes, de sa digestion et de son cholestérol est plus que de raison poussée à soupirer. Elle penserait moins à ses inévitables misères, noyée dans une marmaille jetant ses cris de joie et ses chansons. La nature, c’est-à-dire Dieu, a conçu la vieillesse pour être une merveille rare dans la foule. Ce qui est rare est précieux, comme le cheval à un sou. Nos enfants nous aimeraient mieux s’ils étaient moins obsédés de vieilles têtes blanches. Ils n’auraient pas l’impression d’être des étrangers s’ils ne se sentaient perdus dans un monde globalement caduc. Ils n’auraient ni l’envie ni même l’idée de descendre dans la rue pour y clamer d’incohérentes revendications s’ils sentaient que la société humaine, c’est eux. Ce qui, ne l’oublions pas, fut toujours la règle. L’ordre antique, celui que nous voyons dans l’Ancien et le Nouveau Testament, dans l’histoire de la Grèce et de Rome, c’est beaucoup d’enfants entourant leurs aînés avec respect. Voilà ce que tout homme porte inconsciemment dans son cœur en venant au monde. Il croit spontanément que naître, c’est faire son apparition parmi d’autres enfants. Il trouve un monde de vieillards. Il y a de quoi se croire dépossédé. Je ne préconise pas l’équarrissage des vieux, dont je suis, mais leur immersion dans une jeune foule où leur rareté leur donnerait du prix. Tendre rêve ! Pourquoi les pays riches n’usent-ils pas de leur richesse pour s’offrir le plus précieux des biens ? Je viens de traverser la France dans diverses directions. Les villes y sont trop grandes, encombrées surtout de machines, et les campagnes trop désertes. La plus belle campagne du monde est presque vide11. Quel gâchis ! Et quel paradoxe : j’ai vu d’autres pays où pullule une jeunesse promise au dénuement et à l’austérité ; et cette jeunesse-là ne pense pas à descendre dans la rue. Contre qui ? Partout elle ne voit d’abord qu’elle-même. Mais bah ! Cessons de ronchonner. Et puisque nous sommes à la saison des vœux, je choisirai le mien : puisse la France refleurir à la Claire Fontaine. Aimé MICHEL Chronique n° 429 parue dans F.C. – N ° 2087 – 2 janvier 1987 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 2 janvier 2017

 

  1. La conception est le moment crucial qui déclenche le processus qui, si nul ne s’y oppose, en neuf mois produira un être humain. Bien des raisonnements ont été tenus pour minimiser la continuité qui lie l’œuf fécondé à l’adulte qu’il deviendra. Aimé Michel en montre avec humour la fragilité dans la chronique n° 190, Avortement et biologie – Les effrayantes perspectives ouvertes par les progrès de la biologie (11.07.2011) en se fondant sur des arguments purement factuels. Dans ces conditions, comment penser sérieusement que le fœtus humain puisse être un simple « tas de cellules » en l’absence de « projet parental » et avant que se forme le système nerveux ? Que cette conception se soit imposée à la majorité au point de relever de l’évidence indiscutable laisse soupçonner des racines idéologiques au sens que Jacques Ellul donne à ce mot (voir la fin de la note 1 de la chronique n° 427, La main sanglante, mise en ligne le 14 novembre 2016).
  2. Idée centrale chez Aimé Michel : la méthode scientifique (du moins sous sa forme actuelle) n’a pas accès à l’intégralité du Réel. Il y a des domaines qui échappent à la science pour des raisons pratiques que l’on peut espérer surmonter (exemple : que se passe-t-il sur telle exoplanète en orbite autour d’une étoile lointaine ?) Mais, il y a aussi des domaines qui lui échappent pour des raisons plus profondes dont la conscience (la pensée) est l’exemple type car on ne dispose pas d’instrument scientifique permettant d’observer la conscience d’un homme ou d’un animal (voir la fin de la chronique n° 190 citée ci-dessus), sans oublier ce qui échappe à la finitude de l’esprit humain. Sur l’importance de l’ignorance, voir, entre dix autres, les chroniques n° 388, La science et l’ultime secret des choses – Avouer son ignorance est le premier pas de toute vraie science (08.02.2016) et n° 340, Il faut tourner sept fois sa langue avant de dire que c’est absurde – L’insuffisance du raisonnement purement verbal et la nécessité de la vérification (12.05.2014).
  3. Le psychologue Raymond B. Cattell, de l’Université d’Illinois à Urbana, est l’auteur de travaux classiques sur l’anxiété, notamment d’un livre de plus de 500 pages écrit en collaboration avec Ivan H. Scheier, intitulé « Signification et mesure du névrotisme et de l’anxiété » (1961) qui fait la synthèse de vingt années de recherches expérimentales. Cattell montre qu’il faut distinguer l’anxiété en tant qu’état émotionnel d’une part et que trait de personnalité marqué par des différences individuelles d’autre part. Dans les années 1930, il relance l’intérêt pour les traits de tempérament, sujet auquel Hippocrate et Galien s’étaient déjà intéressés avec leurs quatre tempéraments (colérique, mélancolique, flegmatique et sanguin). Il identifie à l’aide de méthodes statistiques multifactorielles, fondées sur les réponses de nombreux sujets à des questionnaires, un « facteur de fluidité » noté F dont il appelle les deux pôles « surgent » et « désurgent » (ce que Carl Jung a appelé de son côté extraversion et introversion). Le premier pôle correspond à un tempérament dynamique caractérisé par la bonne humeur, le naturel, le sens de l’humour, l’adaptation facile, la tendance à la grégarité, la vivacité de la compréhension ; le second est caractérisé par l’humeur sombre, la retenue, le sérieux, les tendances conservatrices, le goût de la solitude, la lenteur de compréhension. (On trouvera des précisions à ce sujet dans les chroniques n° 135, Sur la « cure psychanalytique » – La psychanalyse guérit-elle ? suite et fin, 09.07.2012 et n° 113, Des durs, des mous et des psychologues, 16.04.2012).
  4. La saisonnalité des naissances a été très marquée jusqu’au XVIIe siècle. Les naissances étaient les plus nombreuses au sortir de l’hiver, en février et mars, et plus rares en juin, juillet et décembre. On a expliqué ces variations par celles de la nourriture disponible au cours de l’année qui modifierait l’ovulation, par le calendrier chrétien qui recommande l’abstinence conjugale durant l’Avent (les semaines précédant Noël) et le Carême (les quarante jours avant la semaine de Pâques), à moins que les moindres conceptions ne résultent d’une moindre fécondité due aux carences alimentaires du jeûne pratiqué durant ces périodes. Les périodes de forte activité dans les champs (labour, moisson, battage) pouvaient également réduire les conceptions (fatigue, séparation des conjoints). L’amélioration de l’alimentation et du chauffage, la diminution du nombre de paysans dans la population, la déchristianisation, et plus récemment la contraception, ont modifié le mois du maximum de naissances : entre 1975 et 2005 ce maximum s’est déplacé progressivement vers le mois de mai, puis juillet et enfin septembre. Toutefois, dans le même temps l’amplitude du maximum a diminué, passant d’un excès de 15 % par rapport à la moyenne en mai 1975 à 5 % à peine en septembre 2005, ce qui correspond à une plus grande uniformité des naissances au cours de l’année. Curieusement, un sondage effectué dans le Nord-Pas-de-Calais en 2000 indique que peu de femmes (2 %) souhaitent donner naissance à leur bébé en septembre, contre 27 % en mai. Il ne s’agit donc pas d’un effet de mode. Ce maximum de septembre demeure mal compris parce qu’il résulte probablement de causes multiples. Il s’observe dans d’autres pays européens, ainsi que le minimum en début d’hiver (le creux de novembre et décembre étant très marqué en Suède et Pologne). (Arnaud Régnier-Loilier, « Évolution de la saisonnalité des naissances en France de 1975 à nos jours », Population-F, 65 : 147-190, 2010, https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19823/popf.1_re.gnier_2010.fr.pdf). À noter que contrairement à une idée reçue, la grande panne d’électricité de New York en 1965 n’a pas conduit à un pic de naissances neuf mois plus tard. Par contre, les canicules de juillet 1976, juillet 1983 et août 2003 se sont traduites par des déficits de naissance de 5 à 6 %, qui pourraient s’expliquer par une diminution de la spermatogenèse due à la chaleur et par une moindre activité sexuelle des couples.
  5. Le mois de la naissance de Jésus n’intéressait visiblement pas les premiers auteurs chrétiens. Les deux évangiles qui s’attachent à l’enfance de Jésus, Matthieu et Luc, ne disent rien de précis à ce propos. Toutefois, selon Luc (2, 8), « il y avait des bergers qui vivaient aux champs et qui, la nuit, veillaient tour à tour à la garde de leur troupeau », ce qui s’accorde mal avec une naissance en décembre, mois où les bêtes sont mises à l’abri, mais mieux avec une naissance au printemps. Ce à quoi d’autres historiens répondent que les moutons destinés au sacrifice paissaient sans surveillance même en période de gel. Mais pourquoi le 25 décembre ? Une explication courante de ce choix est le souhait de l’Église du IIe siècle de faire coïncider la célébration de la Nativité avec les fêtes païennes du solstice d’hiver (sol invictus) de manière à bénéficier de leur popularité. D’autres historiens, minoritaires, n’en croient rien et retournent cette proposition : l’empereur Aurélien, hostile aux chrétiens, aurait institué cette fête du soleil invaincu en 274 en un jour de l’année déjà important pour les chrétiens. Ils avancent en faveur de cette thèse une tradition juive suivant laquelle les grands prophètes meurent le jour de leur conception (ou de leur anniversaire). Ayant calculé que Jésus était mort le 25 mars 29, les chrétiens latins du IIe siècle en déduisirent que sa conception avait eu lieu en mars et sa naissance neuf mois plus tard un 25 décembre. (Voir l’article de l’historien William J. Tighe, http://www.touchstonemag.com/archives/article.php?id=16-10-012-v). Quant à l’année de naissance elle pose d’autres problèmes. Tous les spécialistes admettent, semble-t-il, que le calcul du moine scythe Denis le Petit au VIe siècle fixant la naissance de Jésus au 25 décembre de l’année 753 de Rome (année −1 de notre calendrier) et le début de l’ère chrétienne au 1er janvier 754 de Rome (pour ne pas modifier le début de l’année alors en usage) est erroné. La plupart des historiens estiment que la date la plus vraisemblable est 5 ou 6 avant notre ère ; ils se fondent principalement sur Matthieu (2, 1) (qu’ils rapprochent de Luc 1,5), selon lesquels Jésus est né sous le règne d’Hérode le Grand, mort en 4 avant notre ère. Mais certains défendent des dates postérieures, jusqu’à 6 de notre ère comme l’archéologue Gilbert Picard qui ne tient compte que de Luc tout en contestant l’interprétation courante de Luc (1, 5) dans son article « La date de naissance de Jésus du point de vue romain », Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 139 (n° 3), 799-807, 1995 ; http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1995_num_139_3_15518). On peut se faire une idée de la complexité du sujet et des discussions auquel il donne lieu en consultant l’article « Date de naissance de Jésus » de Wikipédia.
  6. Chez les animaux, notamment les mammifères, la saisonnalité de la reproduction est déterminée principalement par la photopériode, c’est-à-dire la longueur du jour. On distingue des espèces dont la reproduction est saisonnière, comme la brebis, la chèvre et la jument, et d’autres qui ne le sont pas comme la vache, la truie et la ratte. Les premières ne se reproduisent pas au même moment de l’année : les unes, qui se reproduisent en automne et en hiver, sont dites « jours courts » (comme les brebis de septembre à février, les renardes en janvier et février, les biches en septembre-octobre), les autres, qui se reproduisent au printemps et en été, sont dites « jours longs » (comme la jument, les rongeurs myomorphes, l’hermine, le chevreuil).
  7. « France, qu’as-tu fait de ton baptême ? » est la question posée par le pape Jean-Paul II à la fin de son homélie lors de la messe au Bourget le dimanche 1er juin 1980. En voici le contexte et les termes exacts : « Comment se fait-il que, depuis un certain temps, l’homme ait découvert dans tout ce gigantesque progrès une source de menace pour lui-même ? De quelle façon et par quelles voies en est-on arrivé à ce que, au cœur même de la science et de la technique modernes, soit apparue la possibilité de la gigantesque autodestruction de l’homme ; à ce que la vie quotidienne offre tant de preuves de l’emploi, contre l’homme, de ce qui devait être pour l’homme et devrait servir l’homme ? Comment en est-on arrivé là ? L’homme en marche vers le progrès n’a-t-il pas pris un seul chemin, le plus facile, et n’a-t-il pas négligé l’alliance avec la sagesse éternelle ? N’a-t-il pas pris la voie “spacieuseˮ, en négligeant la voie “étroiteˮ ? […] On peut dire en même temps que le pouvoir de l’homme sur l’autre homme devient toujours plus lourd. En abandonnant l’alliance avec la sagesse éternelle, il sait de moins en moins se gouverner lui-même, il ne sait pas non plus gouverner les autres. Combien pressante est devenue la question des droits fondamentaux de l’homme ! […] Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vraie culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger: France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, Fille de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? Pardonnez-moi cette question. Je l’ai posée comme le fait le ministre au moment du baptême. Je l’ai posée par sollicitude pour l’Église dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l’homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. » C’est la première des sept visites en France de Jean-Paul II et aussi la première d’un pape depuis le sacre de Napoléon. Pourtant, trois cent cinquante mille personnes seulement sont présentes alors que les organisateurs en attendaient un million. Ce n’est pas seulement parce qu’il pleut ce jour-là mais aussi parce qu’entre une partie de l’épiscopat, des prêtres et des fidèles favorables à une collaboration avec le parti communiste (selon une enquête de 1979, 66 % des évêques sont acquis aux idées marxistes) et le nouveau pape, farouchement anticommuniste et à la foi traditionnelle, « le courant ne passe pas » (Jean Sévilla, http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/04/30/01016-20110430ARTFIG00002-pourquoi-jean-paul-ii-aimait-la-france.php ; sur ce contexte voir la chronique n° 427, La main sanglante – Tyrannie de droite et tyrannie de gauche, 14.11.2016, notamment la note 1).
  8. Ces faits majeurs ont été longuement décrits, expliqués et commentés par Jean Fourastié dans toute son œuvre. Pour faire comprendre l’évolution qui a transformé la France et l’Occident et qui se poursuit dans d’autres pays du monde, il dresse le portrait contrasté de deux adolescentes, Séverine aujourd’hui et Marie hier. Séverine est bien nourrie, grande, svelte, jamais malade ; Marie est plus petite, plus lourde, déjà déformée par les travaux des champs et les travaux ménagers, la souffrance est sa compagne. « Mais ce qui diffère le plus, ce sont les idées et les cerveaux. (…) Dans le cerveau de Marie, il y a un petit nombre de circuits profondément tracés, fortement hiérarchisés ; cela donne une personnalité frustre mais forte, une capacité de vie intérieure ; une ardeur de vivre qui a fait que l’humanité misérable et souffrante a traversé les siècles. » « Dans le cerveau de Séverine, il y a un nombre fantastique de données, mais elles sont fugitives et sans structure. (…) Énormément d’informations sur le monde, mais plus de conception du monde, plus d’explication du monde. Dans les mauvais jours, Séverine ne sait plus pourquoi elle souffre ; elle ne sait plus pourquoi elle vit. » (Les Trente Glorieuses, Fayard, Paris, 1979, pp. 179-181 ; c’est moi qui souligne).
  9. « Il y a de la folie dans l’histoire du monde » écrit ici Aimé Michel. Dix ans auparavant il exprimait cette folie d’une autre manière : « Je crois qu’une des lois les plus profondes de l’univers est qu’il aime s’amuser. Et qu’il aime bien ceux qui s’amusent avec lui. » (Chronique n° 208, Viking et l’autre façon américaine d’être plombier, 28.01.2013). C’est cet optimisme cosmique qui préserve Marie du désespoir qui menace Séverine et donne la nausée à Antoine Roquentin, le personnage en partie autobiographique de Sartre. « Excusez-moi, proteste Rémy Chauvin, mais il y a erreur : c’est lui [Roquentin] qui donne la nausée au Monde… …Vaste multiforme, rempli de fleurs, d’oiseaux, de cent merveilles et de mille horreurs ; du génie des hommes et de la beauté des femmes… Énigmatique, bouillonnant, propre à soulever l’allégresse d’un jeune homme au cœur aventureux… Tout cela, Roquentin, tu l’ignores parce que tu n’ouvres jamais les fenêtres sur les collines, au soleil couchant. » (Dieu des fourmis, Dieu des étoiles, Le Pré aux Clercs-Belfond, Paris, 1988, c’est moi qui souligne : ni Chauvin ni Michel n’oublient jamais ce qu’il y a de sombre dans le monde).
  10. Extrait du poème intitulé Soleil et chair, dont la version originale (Credo in unam, « je crois en une seule [déesse] »), plus longue, fut écrite par Rimbaud en avril 1870 alors qu’il était, à seize ans, élève au lycée de Charleville. La version imprimée dans F.C. comportait plusieurs coquilles ici corrigées.
  11. Le constat n’est pas nouveau : dès 1949, le géographe Jean-François Gravier observant la dépopulation de certaines régions publiait un livre dont le titre, Paris et le désert français, est resté dans les mémoires ! La cause majeure de cette évolution, mal analysée par Gravier, est l’extraordinaire mutation technique de l’agriculture : entre 1955 et 1995 la France perd 5 millions d’agriculteurs tandis que dans le même temps la taille moyenne des exploitations passe de 14 hectares à presque 40 et, surtout, le nombre de personnes nourries par agriculteur bondit de 7 à 45, permettant ainsi le développement d’autres activités, des villes, et par suite la mutation de Marie en Séverine. Aujourd’hui, l’agriculture ne représente plus que 8 à 10 % de l’activité économique des territoires ruraux. Elle n’est plus l’activité économique dominante ni en termes d’emplois ni de valeur ajoutée, mais elle reste celle qui à la fois structure l’espace et en assure l’occupation majoritaire. L’emploi industriel dans les bassins de vie ruraux est aujourd’hui en moyenne deux fois plus important que les emplois additionnés des secteurs agricole et agro-alimentaire , tandis que les services (éducation, santé, commerce de détail) représentent plus de 50% des emplois ruraux. Cette France rurale ne semble guère intéresser la majorité des Français. Les journaux et les hommes politiques en parlent peu. Le dernier rapport à ce sujet est celui de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) et il date déjà de 2003. Intitulé Quelle France rurale pour 2020 ? sa prospective s’approche dangereusement de son terme sans que les esprits changent. Au contraire : le démographe Gérard-François Dumont s’est même ému il y a quelques années de la disparition du mot « rural » du vocabulaire de l’INSEE (« Un meurtre géographique : la France rurale », Population & Avenir, n° 707, p. 20, 2012, https://www.cairn.info/revue-population-et-avenir-2012-2-page-3.htm). Ouvrons donc ce rapport déjà ancien de la Datar, faute de mieux. On y apprend que depuis 1990, pour la première fois depuis un siècle, la population s’accroît dans la majorité (plus de 60%) des communes rurales en raison de l’arrêt de l’exode agricole et de l’installation de nouveaux résidents, et que cette renaissance rurale s’observe également en Grande-Bretagne, Allemagne et Italie. On y apprend aussi qu’en 2003, 27 % des urbains souhaitaient habiter à la campagne, ce qui signifie que si ce désir pouvait se réaliser il conduirait à doubler la population rurale. Cependant ces territoires ruraux sont bien loin d’être homogènes : les statisticiens sont parvenus à distinguer schématiquement trois France rurales. La première, la « campagne des villes » (750 cantons, 28% des cantons ruraux), située en périphérie des villes moyennes et grandes est en croissance démographique. La seconde, les « campagnes fragiles » (1000 cantons, 38% des cantons ruraux), qui regroupent des zones traditionnellement agricoles (20% des actifs) ou bien industrielles (textile, métallurgie…, 40% des actifs), sont en déclin démographique et économique. Enfin, les « nouvelles campagnes » (plus de 900 cantons, 34% des cantons ruraux) sont à la croisée des chemins, les unes attirant les résidents, les entrepreneurs et les touristes (sud de la France notamment), les autres avec une dynamique démographique positive mais ténue (France de l’Ouest notamment) ; les auteurs du rapport y rattachent les petites villes dont l’avenir demeure incertain car la désindustrialisation n’y est que faiblement compensée par la tertiarisation, même si on y trouve des adaptations industrielles remarquables (Thiers, Figeac, Oyonnax, etc.). Les causes de préoccupation ne manquent donc pas, à commencer par les « campagnes fragiles ». Quand les écoles viennent à manquer d’élèves et les commerçants de clients, tout un tissu économique se disloque et accélère la décadence rurale. Tel est actuellement le sort peu enviable du Massif central, de l’Est du bassin parisien et de la Bretagne centrale (où le contraste avec les côtes à quelques dizaines de kilomètres seulement est souvent saisissant). Cette évolution se produit apparemment dans l’indifférence générale. Les banques, plus soucieuses de finance que d’économie, en refusant de prêter aux jeunes qui désirent y reprendre des activités commerciales ou autres, semblent devoir condamner ces régions à la désertification. Et puis, parmi d’autres, il y a le problème de l’urbanisation mal maîtrisée qui produit un mitage de la campagne ; il sévit dans presque toutes les régions françaises, surtout sur le littoral et dans les grandes vallées fluviales. Les paysages se dégradent, l’espace est gâché sans compter que les risques naturels s’accroissent (inondation, glissement de terrain, incendie…). La France sur ce point comme sur d’autres devrait mieux s’inspirer de ce qui se passe ailleurs, notamment en Allemagne où les constructions neuves occupent deux fois moins de terrain, où le mitage semble moins insolent et les abords de ville, moins chaotiques.