LA PHYSIQUE EN PROIE AUX PARTICULES MONOPÔLES - France Catholique

LA PHYSIQUE EN PROIE AUX PARTICULES MONOPÔLES

LA PHYSIQUE EN PROIE AUX PARTICULES MONOPÔLES

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LES JOURNAUX ONT MENTIONNÉ RÉCEMMENT la découverte d’une nouvelle particule n’ayant qu’un pôle magnétique, « monopole », selon le mot mal choisi qui a été employé (je ne sais pourquoi, car, avant sa découverte, on avait envisagé de telles particules « unipoles », sans y croire).

La science devient tellement ésotérique qu’à toute nouvelle découverte le public se demande : est-ce important ? est-ce utile ? et n’a aucun élément de réponse. Ne possédant pas encore les détails de la découverte, mais ayant pas mal lu auparavant sur les phénomènes magnétiques supposés unipoles, jusqu’alors imaginaires, je ne peux pour l’instant que proposer quelques remarques1.

Indiscutablement, la réponse est OUI, à longue échéance, comme toute découverte théorique changeant profondément le paysage général. Un « unipole » est, en effet, quelque chose de surprenant. Nous avons tous appris à l’école que tout aimant a un pôle nord et un pôle sud, et que quand on sépare le pôle nord du pôle sud en coupant l’aimant en deux par le milieu neutre, on obtient, non pas un pôle nord et un pôle sud séparés, mais deux petits aimants ayant de nouveau chacun un pôle nord et un pôle sud.

C’est là, non pas seulement un phénomène d’observation, mais une évidence théorique fondée sur les lois les plus sûres de l’électromagnétisme.

La particule unipole serait comme un petit aimant n’ayant qu’un pôle ! On peut certes tout imaginer, y compris cela, et certains y avaient songé (car il faut penser à tout et ne croire à rien, en science s’entend2).

Quelques astrophysiciens s’étaient même demandé si certains phénomènes de la surface solaire ne s’expliquaient pas par des unipoles. Mais sans grande conviction, et dans le scepticisme général.

Il y a encore ceci. Tout fait nouveau en électromagnétisme peut avoir pour conséquences d’autres découvertes fondamentales dans un des domaines qui lui est le plus directement lié, et qui est, peut-on dire, fondé sur lui : la chimie, et par conséquent la vie.

C’est qu’en effet les liaisons chimiques, les « valences », reposent sur la physique de l’électron. C’est cette physique de l’électron qui explique les combinaisons des corps simples entre eux, la formation des molécules, y compris bien entendu les molécules géantes sur lesquelles repose la vie à partir desquelles la vie s’est développée. La biologie moléculaire est une science de l’électron.

Dans les schémas expliqués par Monod, Jacob, Watson et leurs collègues, tout est réductible à des transferts d’électrons. C’est du reste ce qui m’a toujours convaincu du caractère provisoire de ces schémas, qui supposent une physique achevée vers 19303.

Les découvertes de la biologie moléculaire n’en sont pas moins admirables, et les polémiques suscitées par les idées philosophiques de Monod et de Jacob ne doivent pas faire oublier que leurs découvertes, c’est autre chose. Peut-être fallait-il leur génie dogmatique pour passer outre à la formidable complexité de la physique grouillant au-dessous du niveau électronique et imaginer calmement des hypothèses n’en tenant aucun compte.

Pour l’instant, c’est naturellement pure rêverie que d’imaginer les unipoles ou monopoles jouant un rôle dans la physique qui supporte la chimie vivante. Pour autant que l’on puisse deviner à travers des articles de presse forcément très vagues, la découverte américaine est sortie d’expériences à haute énergie, et les hautes énergies, jusqu’à nouvel ordre, ne jouent aucun rôle dans cette physique-là. Mais on peut quand même penser que la frontière entre hautes et basses énergies n’est pas aussi infranchissable qu’il a été admis jusqu’à présent.

Un éminent physicien comme Olivier Costa de Beauregard propose même un schéma peut-être promis à un grand avenir pour rendre compte de phénomènes réputés de hautes énergies se produisant apparemment à faible énergie (a). Si Costa de Beauregard a raison, nous allons vers des révolutions de la physique bien plus surprenantes que tout ce qu’on a vu jusqu’ici. On le saura peut-être bientôt, grâce à des expériences en cours à Orsay4.

Mais revenons aux « monopoles ». Des lecteurs physiciens m’ont récemment envoyé des lettres et même des ouvrages fondés sur l’idée que la physique théorique a pour but d’expliquer clairement ce qui est connu, plutôt que de prévoir des faits nouveaux. L’un d’eux me fait remarquer qu’on a parfois prévu des faits nouveaux avec des théories fausses.

Au regard des récents progrès de la science on ne peut pas être d’accord avec ces savants. Une théorie qui permet de trouver des faits nouveaux est une excellente théorie jusqu’à ce qu’elle soit démontrée fausse. Alors, comme disent Popper, Chauvin, Lorenz, Eccles, on la « jette » et on en prend une autre, qu’on jettera aussi dès qu’elle ne donnera plus aucun fait nouveau, ou qu’elle sera à son tour démontrée fausse5.

Rappelons une fois de plus le mot d’Eccles (Prix Nobel ! il s’y connaît en découvertes !) : une théorie qui tient quinze ans avant d’être réfutée est une excellente théorie. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun savant contemporain ne s’intéressera jamais à une théorie ne permettant aucune prévision inédite. C’est ainsi.

A tort ou à raison, c’est l’esprit de la science actuelle, qui ne prétend plus prophétiser la vérité, mais simplement progresser dans ses possibilités d’action sur la nature, n’importent les moyens6.

Je ne sais pas si les particules nouvelles s’insèrent sans grincement dans les théories existantes. Ce qui est sûr, c’est qu’on entendait il y a un an ou deux des physiciens les déclarer « impossibles ». Eh bien, si c’est impossible, on changera de théorie, voilà tout. La physique actuelle nous apprend que la prudence, désormais, consiste à ne jamais dire « ceci est impossible », mais bien : « essayons, on verra bien ».

Dans un de ses Dialogues le bon Plutarque décrit certaines choses qui seraient selon lui, « contraires aux lois de la nature ». Que savait-il, Plutarque, des lois de la nature ? Rien. Nous en savons plus. Mais, au regard de ce qui reste à découvrir, nous sommes aussi ignorants que lui7.

Aimé MICHEL

(a) Voir sa Note finale adjointe au livre récent de Louis Kervran : Preuves en biologie de transmutations à faible énergie (Paris, Maloine 1975).

Les notes ci-dessous sont de Jean-Pierre ROSPARS

(*) Chronique n° 218 parue dans France Catholique-Ecclésia − N° 1502 − 26 septembre 1975

  1. Le concept de monopôle magnétique a été proposé par le célèbre physicien britannique Paul Maurice Dirac en 1931. Il s’est le premier étonné de l’absence dans la nature de monopôles magnétiques alors qu’existent des monopôles électriques comme le proton ou l’électron. En effet un aimant est un dipôle ; si on le brise en deux, chacun des deux demi-aimants obtenus présente à nouveau un pôle nord et un pôle sud. C’est surprenant car le champ électrique et le champ magnétique jouent des rôles symétriques dans la théorie qui décrit les phénomènes électromagnétiques (la version relativiste des équations de Maxwell). Dirac montra que les équations de Maxwell étaient compatibles avec l’existence de monopôles magnétiques. On se mit donc à les rechercher expérimentalement dans les accélérateurs de particule et dans les rayons cosmiques, sans succès. Il est aujourd’hui exclu que des monopôles de faibles masses, comme celui de Dirac, existent dans l’univers.

    L’intérêt a rebondi, au début des années 1970, lorsque les théoriciens Gerard ‘t Hooft et Alexandre Polyakov montrèrent que les monopôles magnétiques étaient prédits dans le cadre des théories de Grande Unification (GUT) des interactions électrofaible et forte (voir la chronique n° 117, Le Janus à quatre faces, parue ici le 17 mai 2010, et la note 2 en marge de la chronique n° 155, D’embarrassants cadeaux de Gargamelle, parue ici le 9 mai 2011). Leurs masses étaient trop grandes pour qu’on puisse les créer dans les accélérateurs mais on ne les trouva pas non plus dans les rayons cosmiques, alors que les GUT prévoyaient qu’ils soient produits en grande quantité au début de l’univers.

    Les monopôles magnétiques conservent malgré tout une certaine actualité. D’une part, même si la communauté internationale s’y intéresse peu, Georges Lochak, directeur de la Fondation Louis-de-Broglie, a proposé une théorie dans laquelle les monopôles magnétiques sont des neutrinos magnétiquement chargés. Cette théorie explique les résultats d’une expérience de décharge électrique dans une feuille de titane réalisée en Russie qui a été reproduite avec succès à l’école centrale de Nantes. D’autre part, on a montré l’existence de pseudo-monopôles dans certains solides. Ce sont des tubes de champ magnétique très longs et fins qui se comportent pour un observateur comme des charges magnétiques élémentaires. Ils ont été observés notamment à Berlin et à Grenoble (voir l’article de Laurent Sacco dans Futura-Sciences du 8 septembre 2009).

  2. « Il faut penser à tout et ne croire à rien » est le premier des quatre aphorismes qui forment l’ossature de la présente chronique et, plus largement, de la pensée d’Aimé Michel. C’était une de ses formules préférées.
  3. Aimé Michel soulève ici la question délicate des conséquences de la physique quantique en biologie. Bien des auteurs se sont demandés si les propriétés « magiques » des phénomènes observables au niveau quantique, tels que l’effet tunnel (la possibilité pour une particule de franchir un mur infranchissable en physique classique) ou la corrélation instantanée de particules à distance, ne pouvaient pas expliquer certains phénomènes biologiques. Bien des propositions ont été faites. Par exemple, le microbiologiste John J. McFadden a supposé que la sélection des molécules les plus utiles à la vie a pu se faire plus rapidement à son origine, grâce aux possibilités de calculs rapides et parallèles offerts par la fonction d’onde (calculs quantiques). Roger Penrose et Stuart Hameroff ont supposé que les microtubules cérébraux étaient le siège de phénomènes quantiques cohérents expliquant les propriétés non algorithmiques de la pensée humaine, c’est-à-dire excédant les possibilités d’un ordinateur. Mais à chaque fois les critiques ont mis en avant les difficultés fondamentales présentées par ces théories. Au total, les applications « révolutionnaires » de la physique quantique à la biologie restent largement du domaine de la théorie spéculative comme on pourra en juger dans la revue de synthèse La physique quantique rencontre la biologie de M. Arndt, T. Juffmann et V. Vedral (HFSP Journal, 3, 386-400, 2009)

    Récemment, Sir Paul Nurse, prix Nobel 2001 de Physiologie et de médecine et président de la Royal Society britannique, l’équivalent de notre Académie des sciences, a attiré l’attention sur une autre voie par laquelle des concepts « étranges » étaient en train de s’introduire en biologie. Selon lui, la manière dont l’information est stockée dans l’ADN puis s’échange entre les cellules et maintient l’homéostasie de l’organisme ouvre sur « un monde étrange et contre-intuitif ». Cette mise en lumière des réseaux d’échange d’information dans la cellule et entre les cellules va bouleverser nos conceptions et permettre de comprendre la vraie nature de la vie. En conséquence, poursuit-il, les explications en biologie, qui relevaient jusqu’ici du sens commun, n’en relèveront plus dans un avenir proche. Pour Nurse, la biologie est en passe de perdre sa simplicité et de faire un saut dans l’incompréhensible comparable à celui fait par la physique au début du 20e siècle quand le monde de la théorie newtonienne a été remplacé par celui de la relativité et de la mécanique quantique (http://www.guardian.co.uk/science/blog/2010/nov/12/biology-quantum-leap).

  4. Aimé Michel cite en note le livre de Louis Kervran dont nous avons déjà parlé dans la chronique n° 210, Les marchés de l’immatériel (Presque toute richesse est destinée à devenir informationnelle), parue ici le 12.01.2012. Dans sa Note finale, O. Costa de Beauregard, critique certaines explications indéfendables de Louis Kervran mais ne voit rien à objecter à ses observations expérimentales (p. 287).

    Quant aux expériences « en cours à Orsay », a priori sans grand rapport avec celles de Kervran, ce sont celles d’Alain Aspect et ses collaborateurs sur le théorème de Bell et les fondements de la physique quantique. Nous aurons l’occasion de reparler de ces expériences capitales qui ont connu un très grand retentissement. Si les expériences de Kervran sont oubliées, celles d’Aspect font dorénavant partie de l’histoire de la Physique.

  5. « Une théorie fausse, on la jette et on en prend une autre ». Cette formulation un peu brutale vaudra à Aimé Michel les critiques d’Olivier Costa de Beauregard dans une lettre à France catholique, (n° 1503 du 3 octobre 1975, page 2) : « Aimé Michel, écrit-il, exprime une opinion, touchant le développement et la nature de la théorie physique, aussi extrémiste et totalitaire que celle qu’il refuse à très bon droit. La vérité est qu’il y a quelque chose de biologique dans le développement de la théorie, dans sa manière d’enserrer le roc obscur des faits, de s’y infiltrer, de le faire éclater. Ses mutations ressemblent à la métamorphose d’une larve en un papillon ou à la transformation d’un gland en un chêne : l’écorce est abandonnée à la pourriture, mais l’essence vitale du nouveau phénix procède vraiment de la cendre du précédent ».
  6. « La science actuelle ne prétend plus prophétiser la vérité ». Cette relative dissociation de la « théorie scientifique » et de la « vérité » est discutée également dans la chronique n° 93, Mythes et mythologues (La nature n’est pas un donné bien clos car nul ne sait où elle s’arrête) parue ici le 16.01.2012.
  7. « Nous ne savons rien au regard de ce qui reste à découvrir ». Ce quatrième et dernier aphorisme est plus fondamental que les trois autres. À chaque époque il est mis en doute par divers auteurs, scientifiques, philosophes ou autres, qui préfèrent croire que la science aura bientôt découvert tout ce qu’elle est en mesure de découvrir. Aimé Michel a toujours vigoureusement rejeté cette idée d’un futur sans avenir. La conception du monde qu’elle exprime est à la fois essentielle et indémontrable.