Au sein de l’Église catholique de Chine, l’évêque de Shanghai tient une place bien particulière, dont lui-même est conscient, tout comme les autorités du pays et le Vatican. Si le catholicisme ne représente qu’une petite moitié des 60 à 70 millions de chrétiens du pays, ses responsables ont eu à connaître une longue période très difficile, qui n’est d’ailleurs pas encore achevée : on compte encore plusieurs évêques empêchés d’exercer leur ministère, en résidence surveillée ou même emprisonnés. L’Association patriotique des catholiques de Chine — où se trouvent des gens qui ne sont même pas chrétiens — est censée tout diriger au mieux des intérêts du Parti, tout comme le Comité national du Mouvement patriotique des trois autonomies pour les protestants, réunis de force dans une seule Église, et l’Association patriotique musulmane chinoise.
Le problème est venu, en dehors des persécutions très violentes qui se sont abattues dans les années 50 puis sous la Révolution culturelle (1966-1976), de la nomination d’évêques « élus » sans l’accord du Vatican. On a donc eu une Église « officielle » qui, jusqu’à la fin des années 80, a vécu complètement en marge de l’Église universelle en conservant, par exemple, l’ancienne liturgie — tout comme les fidèles de Mgr Lefebvre ! Puis, dans les deux dernières décennies, la plupart de ces évêques ont fait connaître à Jean-Paul II puis à Benoît XVI leur désir d’une pleine communion et ont donc été régularisés discrètement. Aujourd’hui, lorsqu’un évêque est désigné par le pouvoir, il s’arrange pour être aussi reconnu par Rome et cela est rendu public. Il en demeure néanmoins certains que, pour des raisons disciplinaires ou personnelles, le pape n’accepte pas.
Âgé de 94 ans, Mgr Aloysius Jin Luxian réussit, depuis un quart de siècle, à assurer une grande visibilité à son Église tout en se comportant comme une personnalité avec laquelle tous doivent compter. Jésuite formé par les Français, il a accepté, après dix-huit ans de prison et neuf ans d’assignation à domicile, de devenir évêque de Shanghai en 1985 — alors qu’existait et existe toujours un archevêque clandestin, également jésuite, Mgr Fan Zhongliang, né, lui, en 1918.
Mgr Jin, qui reçoit beaucoup de visiteurs étrangers et entretient de nombreux contacts dans le monde, organise de grandes cérémonies et sa cathédrale connaît, comme partout en Chine, des messes aussi bien le dimanche qu’en semaine, commençant très tôt le matin. Il a, cette année, dirigé les célébrations commémorant le 400e anniversaire de la mort de Matteo Ricci, l’apôtre de l’inculturation fêté un peu partout, y compris dans les milieux officiels, et auquel il a consacré une lettre pastorale en décembre dernier. Sans manier la langue de bois, il parle avec la franchise et la sérénité d’un homme qui a suffisamment souffert pour ne plus craindre grand chose et qui montre toujours la même habileté à se servir de la place exceptionnelle qui lui est reconnue par le pouvoir. Apparemment, tout le monde semble y trouver son compte : les réalités chinoises ne sont pas les mêmes qu’en Occident.
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On pourra lire une interview exclusive de Mgr Jin dans France Catholique n°3219.