À l’état-civil, Robert Francis Prévost est né à Chicago, aux États-Unis, le 14 septembre 1955, jour de l’Exaltation de la Sainte Croix, au cours duquel – depuis au moins le VIIe siècle – les chrétiens proclament la victoire définitive du Christ sur la mort, acquise au prix de son sacrifice sur le bois de la Croix. Au risque d’un rapprochement facile, on ne manquera pas de souligner l’écho de cette fête, volontaire ou non, dans les premières paroles prononcées par Léon XIV juste après son élection, depuis la loggia de la basilique Saint-Pierre : « Le mal ne l’emportera pas. » Hasard ou Providence, ce symbole n’en demeure pas moins magnifique et porteur d’espérance.
En 1955, c’est le président Eisenhower qui occupe la Maison-Blanche. La guerre froide est plus chaude que jamais : le pacte de Varsovie a été signé en mai, les premiers GI’s débarquent au Vietnam d’où la France a été évincée l’année précédente après la bataille de Dien Bien Phù. Prémices d’un monde qui vient, c’est aussi l’année d’ouverture du premier McDonald’s – dans l’Illinois – et du premier Disneyland – en Californie. Le père de Robert Francis Prevost, Louis Marius, est un éducateur d’origine française et italienne ; sa mère, Mildred Martinez, bibliothécaire, est d’origine espagnole. Robert Francis a deux frères : Louis Martin et John Joseph, avec qui il entretient toujours des relations étroites.
Formation de haut niveau
Robert Francis Prevost manifeste tout jeune une attirance pour les choses de Dieu, jouant souvent « au prêtre » avec une table à repasser en guise d’autel. Il n’est pas non plus un pur esprit : ce passionné de football américain est depuis l’enfance un supporter inconditionnel des White Sox de Chicago. Néanmoins, il entre au petit séminaire des religieux de Saint-Augustin. La figure de l’évêque d’Hippone va le marquer pour toute sa vie. Il entre dans l’ordre en 1977 à l’âge de 21 ans, prononce ses vœux à 22 ans, tout en suivant des études de haut niveau qu’il finance à l’aide de « petits boulots », comme celui d’agent d’entretien d’un cimetière paroissial. Il passe une licence de mathématiques en Pennsylvanie, à l’université augustinienne Villanova, dont le nom est inspiré par saint Thomas de Villeneuve, grand réformateur de l’ordre après le concile de Trente. Il décroche également une licence en théologie à la Catholic Theological Union de Chicago. En 1982, il est ordonné prêtre à Rome par l’archevêque belge Jean Jadot, considéré comme une figure marquante du progressisme dans les années 1980. À Rome, toujours, le Père Robert Francis Prevost poursuit ses études chez les dominicains de l’Angelicum, et obtient un doctorat en droit canonique en 1987.
Missionnaire au Pérou
En dépit de cet ancrage romain et de ce profil très intellectuel, le jeune homme reste profondément façonné par les intuitions de l’Ordre de Saint-Augustin, ordre mendiant, particulièrement attaché au souci des pauvres. Sans doute est-ce une des raisons pour lesquelles, alors qu’il préparait sa thèse, ce polyglotte – il parle ou comprend six langues, et même celle des signes – prend en 1985 la direction du Pérou comme missionnaire. Il rejoint la mission augustinienne de Chulucunas, assume de nombreuses charges – professeur notamment – dans l’archidiocèse de Trujillo, ou encore assure la responsabilité pastorale de la modeste paroisse Sainte-Rita de Trujillo. Les fidèles qui l’ont alors fréquenté conservent de lui le souvenir d’un homme simple, attentif et gentil, qui a fait l’effort d’apprendre à parler rapidement le quechua, et qui, partage leur quotidien sans affectation. Il vit frugalement même s’il ne résiste pas, parfois, à un bon ceviche, son péché mignon. Mais surtout, « c’est un homme bon, même avec les mauvais », se souvient un prêtre interrogé par l’AFP, le Père Juan de Dios Rojas, qui l’avait rencontré lors d’un passage près de Lima. Une définition toute simple, qui pénètre au cœur de l’exigence évangélique.
À la fin du siècle dernier, il quitte pour un temps son cher Pérou et revient aux États-Unis où il est nommé prieur de la province Notre-Dame du Bon Conseil, dont le siège est à Chicago, en 1999.
En 2001, réuni en chapitre général, l’Ordre de Saint-Augustin le nomme prieur général. Il sera réélu, une seconde fois, au cours d’une session longue de… 20 minutes : un record ! Cette fonction éminente, le Père Robert Francis Prevost va l’exercer jusqu’en 2013. Son expérience et l’unanimité qu’il suscite, le font peu à peu remarquer à Rome, si bien qu’il reçoit la consécration épiscopale en 2014, tandis que le Pérou se rappelle à lui.
Il sillonne son diocèse à cheval
Le Pape François décide en effet de le nommer administrateur apostolique du diocèse de Chiclayo et évêque de Sufar. L’année suivante, il reçoit la nationalité péruvienne et devient évêque à part entière de Chiclayo, son « cher diocèse » dont il a sillonné le territoire à cheval, à la rencontre des fidèles, et qu’il a salué le 8 mai au soir, saluant le « peuple fier » qu’il y avait côtoyé. Tout en conservant la simplicité qui est sa marque de fabrique, Mgr Prevost hérite de fonctions d’une envergure nouvelle : il intègre la conférence épiscopale péruvienne, puis reçoit ses premières fonctions à la Curie, au sein des dicastères pour le Clergé et pour les évêques. En janvier 2023, il gagne durablement Rome, élevé au rang d’archevêque, à la tête du dicastère pour les Évêques où il succède au cardinal Marc Ouellet. Au mois de juillet suivant, il est créé cardinal-diacre et se voit attribuer une diaconie spécialement créée pour lui, celle de Sainte-Monique, du nom de la mère de saint Augustin. En février dernier, enfin, il est élevé au rang de cardinal-évêque. On connaît le dénouement de ce parcours dont l’accélération a été fulgurante en dix années.
Enraciné dans l’histoire de l’Église
À quel portrait spirituel se risquer, en ces premiers jours du pontificat ? La tentation est grande, et beaucoup d’observateurs y ont déjà cédé, de placer Léon XIV dans une case théologique, pastorale ou politique. Progressiste ou conservateur ? De transition ou de rupture ? Enraciné ou mondialisé ? Homme de prière ou homme d’action ? Si l’on se fonde simplement sur les archives ou ses premières paroles et ses premiers actes en tant que Souverain pontife, on peut distinguer plusieurs traits.
Son souci de s’enraciner dans la longue histoire de l’Église, tout d’abord, dont témoigne le choix de son nom qui renvoie à certains des plus grands pontifes, de Léon le Grand à Léon XIII, ou encore son respect des ornements liés à son rang, comme la symbolique mosette qu’il portait à la loggia de la basilique Saint-Pierre. En déduire que Léon XIV s’annonce comme un Pape « d’autrefois » serait cependant plus qu’hâtif : « Nous sommes souvent préoccupés par l’enseignement de la doctrine, la manière de vivre notre foi, mais nous risquons d’oublier que notre première mission est d’enseigner ce que signifie connaître Jésus-Christ et témoigner de notre proximité avec le Seigneur. C’est la première chose à faire : communiquer la beauté de la foi, la beauté et la joie de connaître Jésus », déclarait ce missionnaire en mai 2023. Ce qui suppose d’agir en tenant compte « avec responsabilité et discernement » des bouleversements que connaît le monde d’aujourd’hui, comme l’irruption de l’intelligence artificielle, évoquée dès son audience du 12 mai devant un parterre de journalistes.
Tout porte à croire, et c’est fondamental, que Léon XIV veillera à l’unité de l’Église, ce que favorisera, plus techniquement, sa connaissance remarquable du droit canon et des arcanes de la Curie. « En tant qu’augustinien, la promotion de l’unité et de la communion est pour moi fondamentale. Saint Augustin parle donc beaucoup de l’unité dans l’Église et de la nécessité de la vivre », indiquait-il en juillet 2023 à Vatican News. Le nouveau Pape n’a pas manqué non plus de se placer dans la continuité de François, sur la tombe duquel il est allé se recueillir et déposer une rose blanche le 10 mai, après être allé prier la Sainte Vierge au sanctuaire Notre-Dame de Genazzano, tenue par les augustins, à une trentaine de kilomètres de Rome.
Centré sur le Christ et la Vierge Marie
Mais on peut enfin et surtout tirer de ses propos et de ses actes que Léon XIV est un homme profondément spirituel, centré sur le Christ et la Vierge Marie. Certes, tout laisse à croire qu’il se penchera avec la plus grande attention sur les défis temporels de l’Église, dont les fameuses « périphéries », mais l’exigence de son pontificat, comme il l’a souligné lors de sa première intervention, sera d’amener les chrétiens « à marcher ensemble vers cette patrie que Dieu nous a préparée », cette Cité céleste dépeinte par son cher saint Augustin qui lui a inspiré sa devise : « In illo uno unum », « En Celui qui est un, soyons un »
Le choix de Léon
C’est en référence à Léon XIII que le nouveau Pape a choisi son nom, a-t-il dit aux cardinaux : « Principalement parce que le pape Léon XIII, avec l’encyclique historique Rerum novarum a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle ; et aujourd’hui l’Église offre à tous son héritage de doctrine sociale pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail ». Léon XIII était aussi un Souverain pontife très marial : il écrivit douze encycliques consacrées à la Vierge Marie. Son œuvre est prolifique : on lui doit 84 encycliques et une dénonciation de la franc-maçonnerie. Pape de l’équilibre entre tradition et modernité, ses caractéristiques font écho aux défis qui attendent Léon XIV.
Sans oublier Léon le Grand
Un autre Léon est sans aucun doute une source d’inspiration : Léon Ier « le Grand ». Il obtint d’Attila qu’il renonce à piller Rome. Mais il s’illustra surtout comme le pape de l’unité au moment où l’Église risquait l’éclatement en raison de la prolifération d’hérésies qui remettaient en cause soit la divinité du Christ, soit son humanité (cf. FC n° 3901).
Enfin, la figure de Léon IX ne peut qu’inspirer Léon XIV. Pape du XIe siècle, il est l’artisan de la réforme du clergé et reste dans l’histoire pour son abnégation et son souci de la vie spirituelle, enseignant à son peuple les vertus chrétiennes.
Véronique Jacquier