Contrairement à ce que l’on croit souvent, le monachisme n’est pas arrivé sur le Mont-Saint-Michel au temps de l’évêque Aubert d’Avranches, lorsqu’il y installa une communauté de clercs en l’an 709, sous le règne du roi mérovingien Childebert IV. Si le site, longtemps appelé le « Mont-Tombe », régulièrement menacé par les raids des Vikings, devint vite un lieu de pèlerinage majeur, il fallut attendre l’an 965 pour que s’implantent sur place des moines bénédictins venus de Saint-Wandrille, à la demande de Richard Ier, duc de Normandie, lequel était davantage mû par des motifs politiques que spirituels. Les chanoines sont priés de partir s’installer ailleurs : seul le crâne de saint Aubert demeure sur place. L’année suivante, un document signé par Lothaire, l’avant-dernier des monarques carolingiens, établit que les religieux, installés sur le Mont, jouissent désormais du droit imprescriptible d’y demeurer pour toujours.
Un rayonnement croissant
Une nouvelle ère commence, comme le symbolise la reconstruction de l’abbatiale romane à partir de 1023, voici mille ans, qui atteste de l’exceptionnelle ingéniosité des moines qui coordonnent les travaux et planchent eux-mêmes sur les caractéristiques architecturales et techniques du nouvel édifice. Les pèlerinages se poursuivent et s’intensifient, mais l’abbaye devient surtout un centre majeur de la culture et de la pensée médiévales. Les moines y conservent des manuscrits anciens. Ils les copient et les diffusent. Ainsi, l’historien Sylvain Gouguenheim a pu souligner que c’est en grande partie grâce au travail des moines du Mont que la philosophie grecque a été transmise à l’Occident chrétien, et non grâce au seul travail des savants arabes comme il était convenu de le soutenir (lire ici).
Une histoire d’hommes
Plusieurs figures monastiques incarnent à elles seules l’envergure de ces bénédictins. Comme Robert de Thorigny, natif du bocage normand, seizième abbé du Mont-Saint-Michel de 1154 à 1186. C’est un bâtisseur – on lui doit notamment la construction de deux tours et d’un bâtiment supplémentaire – mais aussi un chroniqueur et un historien remarquable, un conseiller diplomatique avisé. On songe aussi à Raoul des Îles, dix-neuvième abbé de 1212 à 1218, qui fit reconstruire l’abbaye après les terribles destructions occasionnées par les alliés de Philippe Auguste lors du siège de 1203 : le résultat fut si beau que l’on surnomma dès lors l’abbaye « La Merveille ». Alors qu’à plusieurs reprises au cours de l’histoire, le Mont aurait pu disparaître, menacé par les guerres, ravagé par la foudre ou les incendies, c’est bien grâce à ces moines courageux qu’il se releva toujours.