Du temps où La France Catholique était la propriété de l’Action catholique générale des hommes, celle-ci possédait également une autre revue, centenaire, du nom de Dimanche en paroisse. Il s’agissait d’un « sermonnaire » donnant pour chaque dimanche un sermon tout fait à des curés qui s’en inspiraient, voire s’en contentaient.1 Mais c’était avant Internet. Tout cela pouvait se faire dans une relative discrétion vis-à-vis des paroissiens et puis c’était un genre de service qui pouvait se vendre. La revue était rentable, on payait une secrétaire, des collaborateurs et un rédacteur en chef.
Alors que je venais d’entrer à France Catholique, le rédacteur en chef de Dimanche en paroisse était l’abbé Maurice Gruau. Un homme aimable, qui s’habillait d’un jean et d’une chemise à carreaux, et que « les dames des abonnements » aimaient bien. D’autant plus qu’il n’hésitait pas à tenir tête à la directrice, notamment pour exiger une rémunération normale de lui-même et de ses collaborateurs. Il faut dire qu’à l’époque il était curé bénévole dans un diocèse particulièrement déchristianisé et désargenté… Cela je viens de l’apprendre en lisant un petit livre où Maurice Gruau égrène quelques souvenirs sélectifs présentés dans un désordre très littéraire. La directrice finissait par lui céder, car l’abbé débordait d’énergie. Il avait développé une deuxième revue, Aujourd’hui dimanche, qui marchait bien aussi, en donnant toute la trame de la messe et qui s’adressait surtout aux communautés qui pratiquaient des « assemblées dominicales en attente de prêtre » (ADAP) fort en vogue dans certains milieux catholiques des années 70-80…
Vocation isolée dans un milieu peu chrétien et peu favorisé (son père était maquignon et s’opposa d’abord à son entrée au séminaire), ordonné prêtre en 1955, Maurice Gruau a connu une Eglise bien implantée auprès du peuple des campagnes et des petites villes de l’Ouest. C’était avant la grande crise qui a précédé et suivi le Concile et Mai 68. Doué d’un sens de l’observation peu commun, il est devenu anthropologue (amateur, puis scientifique) de l’Eglise rurale qu’il a servie, d’abord en Mayenne, où il fut un moment vicaire-général, puis dans le diocèse d’Auxerre après qu’il eut réclamé de retourner à la base, par un réflexe quelque peu anarchiste — ou évangélique — alors qu’il craignait d’être gâté par le pouvoir qu’il exerçait sur ses confrères, explique-t-il…
Et à ces confères prêtres, notamment les plus anciens, qui l’ont formé au métier, il a beau les dépeindre avec un certain humour et beaucoup d’anecdotes d’ailleurs savoureuses, on sent qu’il leur a également porté beaucoup de tendresse. Comme il a aimé ses ouailles avec lesquelles il a partagé non seulement la vie de l’église stricto-sensu mais des aventures culturelles, par exemple lorsqu’il présida un groupement régional de salles de cinéma.
On lui reconnaîtra d’emblée un mérite : celui d’être resté prêtre (ce qui donne sens au titre du livre), ce qui ne fut pas le cas de beaucoup de ceux qui commencèrent leur séminaire en même temps que lui et avec lui… Manifestement un homme de prière, un fin connaisseur de la Bible, un homme exigeant pour lui-même, pratiquant le jeûne2, détaché des biens du monde même s’il fait parfois preuve d’un certain orgueil intellectuel… A part ça — ou peut-être à cause de cela — il y a peu de choses qu’un prêtre ne devrait pas faire qu’il n’ait au moins essayées.
Les absolutions collectives par exemple, qu’il découvre en Bourgogne et apprécie tout en dégageant quelque peu sa responsabilité personnelle (il ne fait que suivre les habitudes prises et difficilement déracinables)… Il fut pourtant aussi un confesseur assidu même si ses recettes peuvent en déconcerter certains, mais il ne met pas en cause la validité ni l’utilité du sacrement…
A un moment, il remercie Marx, Althusser, Freud et quelques autres du même acabit de lui avoir permis de garder la foi ! Il est vrai que Maurice Gruau avait repris (en 1968 !), des études universitaires qui le menèrent fort loin puisqu’il enseigna la linguistique à l’université de Rennes et succéda au célèbre jésuite Michel de Certeau dans sa chaire d’anthropologie religieuse à l’Université Paris VII.
A un autre moment il explique qu’il a aimé une femme — ce qu’il développe d’ailleurs dans une interviewe au Journal du Dimanche 3. Que faut-il en penser ? Petite provocation à la manière de l’abbé Pierre ou de Sœur Emmanuelle ou aveu tardif à la Bruckberger ? L’abbé reste relativement discret dans le livre. A l’époque, pour ce que je crois savoir, les mauvaises langues le disait plutôt homosexuel parce qu’il recevait dans son presbytère des jeunes hommes, vagabonds de passage ou jeunes en rupture de famille. Mais quand on a lu son livre, on peut penser qu’il s’agissait de rapports plutôt édifiants. Il a sauvé des vies, réconcilié des pères et des fils… Des parents et des gendarmes lui en ont été reconnaissants. On sait ce que le Père Dominique Weill, l’acquitté d’Outreau, manifestement un saint homme, a pu subir à la suite des ragots de bonnes femmes, pour le seul motif qu’il laissait sa porte ouverte à tous…
L’abbé Gruau ne faisait rien pour se protéger des calomnies, n’hésitant pas à fréquenter, avec un ami ou un protégé arabe qui sans lui n’aurait pas pu y entrer, quelques boîtes de nuit, avec délectation ! Se faisant des « copains » partout, chrétiens ou athées, y compris dans les différentes obédience de la Franc-Maçonnerie très implantée en Bourgogne. Mais aussi chez des notables et des catholiques de bon aloi : c’est aussi lui qui obtint de son évêque l’autorisation de célébrer la messe en latin avec indult pour les traditionalistes du diocèse d’Auxerre ! Et sa générosité allait jusqu’à acheter sur sa cassette personnelle des œuvres d’art pour l’une ou l’autre église qu’il desservait.
Sa charité l’amena à prendre bien des risques. On le voit gérant d’une cordonnerie minute ou d’une fabrique de cakes. Enfin on ne s’ennuie pas en lisant ces mémoires d’un vieux prêtre qui a fait beaucoup de bêtises sans doute et à le tort de ne pas sembler les regretter, mais on peut aussi beaucoup réfléchir sur la condition des prêtres plus ordinaires, notamment en cette année où on célèbre le cinquantenaire de Vatican II.
Bien le bonjour, Père Gruau, votre livre m’a passionné et je vais le faire lire à ma collègue qui vous a connu un peu mieux que moi…
Maurice Gruau, Naissance d’un vieux prêtre, Métaillié, 312 pages, 21 euros.
Pour aller plus loin :
- De Gaulle et l'Algérie, 1943-1969. Maurice Vaïsse (sous la direction de), Armand Colin, 2012 , 353 pages, 27,5 euros.
- Jean Lacouture. L’Algérie algérienne. Fin d’un empire, naissance d’une nation.
- Monsieur le curé fait sa crise : Sortie de crise, système D. : jubilaire et jubilatoire
- Malentendu islamo-chrétien ou malentendu entre chrétiens sur l'islam ?
- Bataille médiatique du 17 octobre
- Avant de faire un commentaire peut-être désobligeant, il faut savoir qu’il existe la même chose pour les maires, les conseillers généraux, les députés, etc.
- dont les rudiments lui ont été enseignés par le Frère Adalbert de Vogüé à La-Pierre-qui-Vire.
- Le journal est un peu plus explicite mais il faut bien vendre du papier et il est rare qu’une interview soit fidèle aux propos effectivement tenus