Mohamed Bekraoui.
Les Marocains dans la Grande Guerre, 1914-1918.
Préface de Jean-Claude Allain. CMHM, Rabat, 2009, 398 pages.
De nouvelles recherches ont permis au professeur Bekraoui de complèter une thèse de doctorat soutenue à Aix-en-Provence. Cet ouvrage débute par un exposé de la mise en place du protectorat de 1911 à 1921. Il met l’accent sur la personnalité complexe et contradictoire de Lyautey, sa propension à favoriser les chefs naturels et à restaurer l’autorité du sultan sans déléguer le pouvoir aux Marocains. Il resterait confiné dans le traditionnalisme tout en promouvant les réformes nécessaires. L’afflux migratoire passe ainsi de 9.880 à 62.000 Européens en 1917. Selon Bekraoui, le parti-pris des admirateurs de Lyautey l’emporterait sur la vérité historique. A chacun sa vérité !
La contribution militaire du Maroc à la guerre mondiale est précisée. Appelé par le ministre Messimy à réduire l’occupation à la zone côtière, Lyautey adopte la solution inverse, il dégarnit le Maroc utile au profit des postes avancés, envoie en métropole 58 batailons et 22 escadrons (40 ou 45.000 hommes), qu’il remplace par 18 bataillons territoriaux et 16 puis 22 goums. Il conserve donc au Maroc un effectif de 81.500 hommes portés en 1917 à 88.200. Les tirailleurs et spahis marocains se distinguent au combat, lors la bataille de la Marne, de la reprise de Douaumont, et du raid d’Uskub en septembre 1918. Leurs pertes de 12.000 tués (26%) semblent surestimées, alors que les statistiques officielles indiquent une proportion de 16% pour les recrutements cumulés français et maghrébins.
A la contribution militaire s’ajoute une contribution économique particulièrement lourde : 37.500 travailleurs transférés en métropole et 400.000 quintaux de céréales, entraînant un appauvrissement général de la population.
L’auteur met l’accent sur la résistance des Marocains à l’occupation française : – la levée en masse des tribus autour de Fès en 1912, alors qu’en 1911 c’était contre le Sultan qu’elles se soulevaient – le djihad du faux sultan al Hiba dans le Sud – la bataille perdue à el Herri le 13 novembre 1914 – la révolte des Rifains en 1921 – l’opposition des fonctionnaires, des salafistes et de certains notables, soutenus par la propagande germano-turque, tandis que le Sultan Moulay Youssef, élu par les oulémas après le retrait de Moulay Hafid, approuve l’engagement des Marocains dans la guerre européenne, et que les grands pachas participent activement à la pacification du pays.
En dépit de quelques divergences d’interprétation, cet ouvrage consacre l’émergence de l’historiographie marocaine.
Maurice Faivre