Ce samedi, l’atmosphère était détendue et festive dans la ville de l’Amour fraternel [Philadelphie en grec], à l’opposé de la vibrante intensité du grand discours du pape à l’Assemblée générale des Nations Unies et de sa visite au Mémorial du 11 septembre dans le bas de Manhattan samedi. Peut-être aussi parce qu’il présidait finalement la Rencontre mondiale des familles – la principale raison de sa venue en Amérique – où il a lancé plusieurs messages forts et essentiels.
Dans la matinée, le pape François a adressé aux évêques et aux prêtres réunis dans la cathédrale Saints Pierre et Paul un sermon très digne visant à encourager les vocations – tant laïques que religieuses – et a parlé longuement et, par instants, avec passion, de la liberté religieuse devant Constitution Hall. Mais le summum de la journée pour lui fut sans doute le moment où, lors d’un concert plutôt kitsch dans la soirée, il a galvanisé la foule en parlant en termes très simples de Dieu, de l’amour et de la famille.
Comme à son habitude, au cours de sa visite aux Etats-Unis, il a abordé ses sujets en invoquant de célèbres personnalités américaines. A Philadelphie, pendant son homélie dans la cathédrale, c’était plus facile qu’ailleurs, parce que c’est la seule ville américaine à avoir eu un saint pour évêque (Saint John Neumann) et également l’une des saintes modernes les plus remarquables, mère Katharine Drexel, morte en 1955 et canonisée par Saint Jean-Paul II en 2000.
Drexel était la fille d’un très riche banquier qui consacra environ 20 millions de dollars de son héritage – ce qui représenterait une somme beaucoup plus importante en dollars actuels – à ses entreprises philanthropiques, dont des missions dans les réserves indiennes de l’Ouest des Etats-Unis où vivaient des populations comptant parmi les plus pauvres et les plus défavorisées du pays.
Le pape a rappelé une audience privée qu’elle avait eue avec le pape Léon XIII, au cours de laquelle elle lui avait parlé du besoin de missions. Le souverain pontife lui posa alors cette question très directe : « Et vous ? Qu’allez-vous faire personnellement ? » Cette question déboucha sur la révélation d’une vocation axée sur l’éducation et les soins à la personne. Le pape François a alors demandé à tous les présents comment eux allaient agir et inciter les autres à devenir « un levain de l’Evangile dans notre monde ».
Et étant donné l’état du monde actuel, il a ajouté :
« Cela demande de la créativité dans l’adaptation à des situations changeantes, en préservant l’héritage du passé, non pas d’abord en maintenant les structures et les institutions qui nous ont bien servi, mais surtout en étant ouverts aux possibilités que l’Esprit nous révèle et en communiquant la joie de l’Evangile, jours après jour et à chaque étape de notre vie. »
Voilà qui est vrai, bien que, comme le laisse entendre ce passage, le chemin à suivre n’est pas clair, ce qui explique pourquoi il était opportun que le pape invite ensuite chacun à prier pour le prochain Synode sur la famille.
Le discours sur la liberté religieuse était délibérément prévu de manière à permettre au pape de s’adresser à « la communauté hispanique et aux autres immigrants ». Ce qui aurait facilement pu conduire à une conception partiale et trop sentimentale de l’immigration. Et effectivement, le Saint Père a déclaré : « Vous ne devriez pas avoir honte de vos traditions. N’oubliez pas les leçons que vous avez apprises de vos aînés qui constituent l’apport dont vous pouvez enrichir la vie de cette terre d’Amérique ». Mais il a ajouté quelque chose de très important que nous entendons rarement dans les débats séculiers sur les questions d’immigration : « Vous êtes aussi appelés à être des citoyens responsables et à contribuer de manière fructueuse à la vie des communautés dans lesquelles vous vivez ». Un message moins politique donc que moral et humain.
Aucune des déclarations publiques du Saint Père ce samedi ne pouvait avoir d’importantes répercussions sur la politique du pays, mais sa manière d’aborder la liberté religieuse mérite de retenir l’attention. Il semble clair désormais qu’il n’est pas très au courant de l’insistance avec laquelle les responsables du Département de la Santé et des Services sociaux appuyés par le gouvernement d’Obama ou les militants du lobby homosexuel constituent les plus graves menaces pour les hôpitaux, sociétés de secours et autres institutions catholiques. Ou peut-être ne souhaitait-il pas s’attaquer directement à ces problèmes.
En tout cas, il est intéressant de constater qu’il a tenu à ne pas présenter la question de la liberté religieuse comme un élément intrinsèque du catholicisme, mais comme un bien public général : « Dans un monde où diverses formes de tyrannie cherchent à supprimer la liberté religieuse, ou bien à la réduire à une sous-culture sans droit d’expression dans la sphère publique, ou encore cherchent à utiliser la religion comme prétexte à la haine et à la brutalité, il est impérieux que les adeptes des diverses religions unissent leurs voix pour appeler à la paix, la tolérance et le respect de la dignité et des droits des autres ». [trad.offic.]
Certaines personnes ont été attristées parce que, quand le Saint Père a énuméré quelques-unes des conquêtes morales de l’histoire américaine (« l’abolition de l’esclavage, l’extension du droit de vote, la croissance du mouvement des travailleurs et l’effort progressif pour éliminer toute forme de racisme et de préjudice »), il n’a pas mentionné la question la plus urgente à notre époque touchant les droits de l’homme. Mais il l’a soulevée plus tard, en remerciant tous ceux qui avaient contribué à construire des villes fraternelles en défendant, entre autres, « la dignité du don divin de la vie à toutes ses étapes ».
Cependant, les messages les plus émouvants en faveur de la famille ont été lancés lors de la fête un peu vulgaire du samedi soir, moment de la journée où des activités qui ne semblaient pas totalement appropriées pour un événement visant à soutenir la famille se déroulèrent sous les yeux du Saint Père. Mais celles-ci étaient entrecoupées par les témoignages de familles qui étaient arrivées à Philadelphie de tous les continents (Australie, Europe de l’Est, Moyen-Orient, Afrique, Amérique du Nord, Amérique du Sud). Elles ont parlé de difficultés et de joies, d’exclusion sociale et de fierté, de handicaps et d’amour.
Aucune institution ne peut mieux rassembler les familles du monde entier que l’Eglise catholique. Et dans un discours improvisé, juste avant le feu d’artifice, le Saint Père a souligné le lien entre l’amour divin et l’amour familial d’une manière qui a semblé hypnotiser la foule.
Ce fut donc une bonne journée pour le pape François et pour l’Eglise, ne comportant rien de spectaculaire ni de nouvelle révélation intellectuelle, mais plutôt un débat très vaste et pluridimensionnel sur diverses questions clés concernant le mariage et la vie familiale.
Dimanche, le dernier jour de la Rencontre mondiale des familles, devra faire la synthèse de toutes ces manifestations.
Photographie Le pape devant Independance Hall
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et le président du Faith&Reason Institute basé à Washington (D.C.) Son dernier ouvrage intitulé The God that did not Fail : How Religion Built and Sustains the West est à présent disponible en livre de poche chez Encounter Books.
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