Parmi les vingt canons disciplinaires édictés par le premier concile de Nicée, le canon III concerne l’état de vie des clercs : « Le grand concile interdit de manière absolue de permettre aux évêques, aux prêtres, aux diacres, en un mot à tous les membres du clergé, d’introduire auprès d’eux une compagne, à moins que ce fût une mère, une sœur, une tante ou enfin les seules personnes qui échappent à tout soupçon. » La tradition commune à l’Occident et à l’Orient admet que l’ordination fige l’ordinand dans son état. Le célibataire doit ainsi rester célibataire. Il ne peut donc pas être question de « mariage de prêtre ».
Par contre, durant les premiers siècles de l’Église, des hommes mariés sont ordonnés et la société chrétienne en construction considère tout à fait normal que les clercs majeurs – évêques, prêtres et diacres – soient mariés. Dans un monde païen où la bigamie est fréquente, le fait d’élever à la dignité sacerdotale un homme monogame est un hommage rendu à la dignité du sacrement de mariage. Rappelons aussi que le célibat masculin n’est socialement pas envisageable dans l’Antiquité.
Vivre chastement
Si la plupart des clercs sont choisis parmi des hommes mariés, l’Église naissante leur demande, à partir de l’ordination, de conserver la continence perpétuelle, en accord avec leur épouse. Il n’est pas question de renvoyer son épouse, ni ses enfants, mais de vivre désormais chastement avec elle, comme frère et sœur. Le premier texte juridique connu concernant la continence des clercs se trouve dans l’un des canons disciplinaires du concile d’Elvire (Espagne), vers 306. Il souligne « l’interdiction totale faite aux évêques, aux prêtres et aux diacres, c’est-à-dire à tous les clercs employés au service de l’autel, de commercer avec leur épouse et d’avoir des enfants. Celui qui l’aura fait devra être exclu de l’état clérical ».
En 390, le concile de Carthage rappelle : « Il nous plaît à tous que l’évêque, le prêtre et le diacre, gardiens de la pureté, s’abstiennent du commerce conjugal avec leur épouse, afin que gardent une chasteté parfaite ceux qui sont au service de l’autel. » Et plus loin : « Ce que les apôtres nous ont enseigné, et ce que l’Antiquité a toujours observé, faisons en sorte nous aussi de le garder. » En écrivant cela, les évêques africains se réfèrent à un enseignement oral mais aussi à l’exemple que Pierre et les Apôtres ont laissé à la postérité. L’exemple joue un rôle déterminant dans la vie de l’Église et l’organisation de sa discipline.
La continence des clercs
Il est presque certain que plusieurs apôtres, à l’instar de Pierre, sont mariés au moment de leur vocation par le Christ. Les Pères de l’Église sont unanimes : les apôtres mariés cessent la vie conjugale et pratiquent la continence parfaite dès qu’ils partent en mission d’évangélisation, même si on peut supposer que leur épouse les accompagne parfois comme assistante – elles peuvent entrer dans les gynécées pour évangéliser les femmes. Cette vie dans la continence correspond au dialogue entre Pierre et Jésus : « Alors Pierre lui dit : “Voici que nous-mêmes, après avoir quitté ce qui nous appartenait, nous t’avons suivi.” Jésus déclara : “Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause du royaume de Dieu, une maison, une femme, des frères, des parents, des enfants, sans qu’il reçoive bien davantage en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle” » (Lc 18, 28-30). Ainsi, dans les premiers siècles de l’Église, la notion centrale est la continence des clercs, mariés ou non, car la chasteté est inhérente à la plénitude du sacerdoce apostolique.
Relâchement et réaction
Au cours des siècles suivants, on adopte l’habitude d’ordonner des célibataires, car la règle du célibat est le moyen le plus simple d’assurer la continence. Malgré cela, de nombreux clercs abandonnent la chasteté apostolique. Ce relâchement des mœurs, particulièrement aux Xe et XIe siècles, entraîne l’Église dans une des périodes les plus sombres de son histoire. Le nicolaïsme – mariage ou concubinage des prêtres – entraîne la simonie car, pour faire vivre femme et enfants, les prêtres se mettent à vendre les sacrements. À la suite de saint Léon IX (1049-1054), plusieurs papes s’attaquent à ce mal qui discrédite l’Église. Les évêques et les prêtres qui refusent de renvoyer femme ou concubine sont excommuniés. Ce vaste mouvement de redressement moral correspond à ce qu’on appelle la réforme grégorienne, du nom de saint Grégoire VII (1073-1095). Enfin, les conciles de Latran I (1123) et Latran II (1139) réaffirment avec force la prescription de la continence sacerdotale et l’obligation de célibat, en rappelant notamment le canon III du concile de Nicée.
Ainsi, l’obligation faite aux membres du clergé, d’abord de vivre la continence parfaite aux côtés de leur épouse, puis de ne pas se marier, n’est pas l’histoire d’une lente évolution suscitée par l’influence croissante d’un mouvement favorable à la virginité. Au contraire, c’est l’histoire d’une résistance de la tradition aux courants contraires qui se manifestent à diverses époques et en divers lieux. Comme le souligne le Père Christian Cochini dans sa remarquable thèse, la continence et le célibat des prêtres ne sont pas le fruit d’une élaboration tardive : au contraire, ils correspondent à une tradition non écrite d’origine apostolique qui trouve son expression canonique au IVe siècle.
Les origines apostoliques du célibat sacerdotal, Christian Cochini, éd. Ad Solem, 2006, 498 pages, 38 €.