Un fil invisible relie la tombe de saint Pierre, sous le dallage de la basilique, au sommet de la coupole de Michel Ange, à 133 mètres de hauteur, en passant par l’autel papal situé sous le baldaquin sculpté par le Bernin. Une stupéfiante verticalité qui atteste d’un culte ininterrompu depuis la mort du premier Pape, en 64, sous le règne de Néron, et d’une émouvante promesse tenue, celle que Jésus fit au premier des apôtres : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »
Crucifié dans le cirque de Néron
L’actuelle basilique Saint-Pierre a été construite à la place de la basilique dite de Constantin, elle-même édifiée au IVe siècle, selon la tradition orale, sur le tombeau de saint Pierre. Cependant, jusqu’au XXe siècle, l’Église n’avait jamais cherché à vérifier par des fouilles archéologiques la véracité d’un tel emplacement. Il était en revanche admis que Pierre était mort crucifié dans le cirque de Néron, qui avait en son centre l’immense obélisque aujourd’hui situé au milieu de la place Saint-Pierre. À cette époque, la colline du Vatican est à l’extérieur de la ville, en pleine campagne. L’historien Tacite en parle comme de « lieux infâmes » car on y exécute les criminels. Les chrétiens sont particulièrement visés : l’empereur leur reproche de « manger la chair de leur Dieu » et les accuse perfidement d’être à l’origine de l’incendie qui a détruit les trois quarts de la capitale de l’Empire, en juillet 64.
C’est donc là, sur la rive droite du Tibre à Rome, que Pierre meurt en martyr. Et c’est non loin de là qu’il est enterré, dans une nécropole au milieu d’anonymes. Dès son inhumation, la tombe devient un lieu de pèlerinage. Eusèbe de Césarée la mentionne au IVe siècle dans ses Historiae ecclesiasticae (II, 25, 5-7) : il fait parler un certain Gaïus qui assure qu’il peut montrer les tombeaux des apôtres Pierre et Paul, respectivement au Vatican et sur le chemin d’Ostie.
Par quel heureux hasard – ou faveur providentielle – le lieu exact de la sépulture du premier Pape a-t-il été redécouvert, 1900 ans après son martyre ? À la mort de Pie XI en 1939, son successeur, Pie XII, cherche à agrandir les grottes vaticanes pour y ensevelir le pape défunt. En creusant le sol, les ouvriers découvrent alors un espace vide où l’on distingue une nécropole romaine. L’émoi est considérable et Pie XII ose lancer des fouilles inédites en 1940. Songe-t-il à retrouver précisément la tombe de saint Pierre ? Il l’espère sans doute car, dix ans plus tard, le 23 décembre 1950, le Souverain pontife annonce lors du message radiophonique de Noël clôturant l’Année sainte : « La tombe du Prince des Apôtres a été retrouvée. » Le Pape tempère cependant la nouvelle en précisant qu’il n’est pas possible d’affirmer que les ossements exhumés dans la nécropole ont appartenu à saint Pierre. Il faudra toute l’opiniâtreté d’une archéologue florentine, spécialiste des graffitis de l’époque romaine, Margherita Guarducci, pour faire une découverte extraordinaire, en 1952.
Le trophée de Gaïus
Les fouilles de 1940 avaient permis la mise au jour d’un petit monument funéraire datant du IIe siècle, construit sur une tombe pour faire mémoire d’un martyr et appelé « trophée de Gaïus » en souvenir du fameux témoin cité par Eusèbe de Césarée au IVe siècle. Margherita Guarducci s’intéresse particulièrement à ce trophée car il est couvert de graffiti, ce qui témoigne de la grande dévotion portée à la personne inhumée par les premiers chrétiens de Rome. En les déchiffrant, l’archéologue et épigraphiste tombe sur l’inscription suivante en grec, sur les murs du trophée : « Petros eni », autrement dit : « Pierre est ici ». Près de cette inscription, son attention se porte, dans le trophée de Gaïus, sur une cavité recouverte de plaques de marbre. Elle contient des os humains enroulés dans un tissu pourpre avec des restes de fils d’or. Ils seront ensuite analysés en laboratoire. Ce sont ceux d’un homme âgé d’une soixantaine d’années, perclus d’arthrose, qui est connue pour être la maladie des pêcheurs. Saint Pierre est retrouvé !
Coup de tonnerre dans le monde chrétien et scientifique : non seulement la tombe de Pierre a été identifiée mais sa sainte dépouille l’est également ! Comment les os ont-ils pu être ainsi conservés ? La topographie des lieux n’a rien d’évident sous la basilique Saint-Pierre : plusieurs strates historiques se superposent. Il y a d’abord la tombe de Pierre, puis le trophée de Gaïus, construit par les chrétiens vers l’an 150 pour marquer l’emplacement de la sépulture du premier des Papes. Au IVe siècle, il sera recouvert par un monument en marbre précieux appelé la memoria. Puis il faut imaginer l’édification, au-dessus de ce monument, de l’autel de saint Grégoire le Grand au VIIe siècle, puis celui de Calixte II au XIIe siècle. Enfin l’emplacement de la tombe de Pierre sera magnifié en 1608 par l’autel actuel surmonté du baldaquin du Bernin, « couronné » par la coupole de Michel Ange. Sans doute dès la construction de la basilique constantinienne, les ossements de saint Pierre furent-ils retirés de sa tombe pour être cachés dans la cavité retrouvée afin de les sauvegarder pour l’Éternité.
Depuis leur découverte, les ossements ont été déposés dans un coffret et replacés sous la basilique par le pape Paul VI, le 27 juin 1968. La tombe de saint Pierre et la nécropole romaine sont ouvertes à un public bénéficiant d’une autorisation spéciale émanant du bureau des Scavi au Vatican, proposant ainsi un pèlerinage au plus près des origines de l’Église.