Comment la dévotion au Christ-Roi est-elle rattachée au culte du Sacré-Cœur ?
Abbé Jean de Massia : C’est dans l’encyclique Quas primas, publiée en 1925, que Pie XI fait directement le lien entre ces deux dévotions. Alors qu’il institue la fête du Christ-Roi, il demande que chaque année, ce jour-là, « on renouvelle la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus » faite la première fois par Léon XIII, « au cours de l’Année sainte 1900 ».
Pourquoi fait-il ce lien ?
Le lien entre ces deux doctrines est très ancien. Il faut revenir à ses origines, dans l’Évangile de saint Jean, où tout le fil directeur de la Passion est le Christ-Roi : Jésus est le roi couronné d’épines qui monte, par amour, sur la Croix, qui est son trône. L’évangéliste insiste beaucoup sur la royauté du Christ – « tu es roi », « roi des Juifs », « voici votre roi »… – pour manifester que le Christ triomphe dans sa Passion jusqu’à la Croix, comme il l’avait prédit : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » C’est en montant sur ce trône de la Croix qu’il attire tous les hommes à son amour, parce que c’est sur ce trône qu’il manifeste son amour. Saint Jean est également l’évangéliste qui évoque le Cœur transpercé de Jésus : il nous rappelle que c’est un roi au Cœur transpercé que nous adorons. Le Christ veut régner par son Sacré-Cœur.
L’histoire du lien entre les deux dévotions se poursuit en France…
En effet, lors de ses apparitions à sainte Marguerite-Marie Alacoque, à Paray-le-Monial, Jésus lui-même a parlé de la dimension publique du règne de son Sacré-Cœur, dans sa dernière apparition, le 17 juin 1689 : « Fais savoir au fils aîné de mon Sacré-Cœur [le roi Louis XIV, ndlr] (que) mon Cœur veut régner dans son palais, être peint sur ses étendards et gravé dans ses armes pour les rendre victorieuses de tous ses ennemis et de tous ceux de la Sainte Église. Mon Père veut se servir du roi pour l’exécution de Son dessein, qui est la construction d’un édifice public où serait placé le tableau de mon Cœur pour y recevoir les hommages de toute la France. » La dévotion privée au Sacré-Cœur nous entraîne donc vers la dévotion publique au Christ-Roi. Avec la consécration de la société tout entière, le Christ veut régner sur les institutions, les rois, les peuples… et pas seulement sur les âmes.
Et le Christ insiste…
En effet, en 1907, le Père Mateo Crawley reçoit dans la prière l’inspiration de la dévotion de l’intronisation du Sacré-Cœur dans les familles, qui sera encouragée par le pape Pie X. Son but est de « conquérir le monde pour le gagner à l’amour du Cœur de Jésus, et cela maison par maison, famille par famille », afin de faire de la famille « le premier trône vivant du Roi d’amour ». Il est le roi qui doit régner sur nos foyers, sur nos pensées, nos cœurs, nos activités, pour régner peu à peu sur la société.
Quelques années plus tard, c’est toujours à Paray-le-Monial que l’histoire se poursuit…
En effet, Marthe de Noaillat (1865-1926), avec son mari, Georges, sont deux pieux laïcs qui ont énormément contribué à relier ces deux dévotions. Le couple reprend le musée du Hiéron, à Paray, dédié à Jésus Hostie Roi, dans le but de « proclamer le Christ régnant dans l’Eucharistie ». Ils vivent cette spiritualité, donnent des conférences, lancent une pétition auprès des fidèles et rédigent un mémoire sur le règne du Christ-Roi, pour demander au Pape de lui dédier une fête spéciale. Ce long travail a fortement contribué à la publication de Quas primas et à l’institution de la fête du Christ-Roi.
Que signifie spirituellement le lien entre ces deux doctrines ?
Le Christ-Roi désire, par le règne de son Cœur, assainir et convertir nos cœurs humains. C’est sa mission principale : le premier royaume qu’il veut conquérir, ce sont nos âmes. Et cette conversion des cœurs rejaillit sur la société elle-même car, comme le dit Pie XI, cœurs et sociétés appartiennent au Christ. Ainsi, le Sacré-Cœur est appelé à régner sur tout.
Quelle est la nature de ce règne ?
C’est le règne de son amour. Le Christ nous rappelle que c’est par sa souffrance et sa mort sur la Croix par amour, qu’il a conquis le monde. La source de notre activité au service du Christ-Roi doit donc être ce Cœur qui a tant aimé les hommes. Si nous voulons que nos sociétés soient imprégnées de la Loi du Christ, que son règne grandisse, ce n’est pas pour triompher nous-mêmes mais pour que les hommes connaissent cet amour de Dieu qui les a tant aimés et qui les sauve. C’est uniquement le triomphe de l’amour de Jésus, pour le salut des âmes, qui doit inspirer notre engagement social, politique, public. Cela le réoriente profondément. Le Christ n’a gagné les âmes qu’en aimant les hommes, jusqu’à mourir pour eux. Sa douceur, son humilité et son amour infini sont le modèle de tout engagement. N’endurcissons pas notre cœur, même en servant, même en subissant des injustices… Il faut garder cette onction de l’amour, plus forte que toutes les combines politiques et les stratégies humaines pour gagner. La charité doit éclairer et orienter notre engagement. Voilà la stratégie spirituelle pour ceux qui veulent gagner le monde au Christ-Roi. Donc savoir que la dévotion au Sacré-Cœur est à la source de celle du Christ-Roi remet bien les choses à leur place.














