De la dépénalisation à la sacralisation - France Catholique
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De la dépénalisation à la sacralisation

En annonçant sa volonté de faire inscrire « la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse » dans la Constitution, Emmanuel Macron enclenche un nouveau cliquet dans la fuite en avant éthique et anthropologique.
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Le Panthéon à Paris, symbole de la « religion républicaine ».

Le Panthéon à Paris, symbole de la « religion républicaine ».

© Moonik / CC by-sa

Comme il semble loin le temps de la « loi Veil » de 1975 qui, à l’époque, prévoyait une dépénalisation de l’avortement, formellement interdit depuis 1810 par l’article 317 du Code pénal. Se souvient-on encore des garde-fous, alors mis en place par la ministre de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing ? Clause de conscience des médecins, critère de «  détresse  », non-remboursement, autorisation parentale pour les mineures, pratique dans un environnement médical, délai de réflexion, intervention à pratiquer dans un délai de 10 semaines… Le discours que prononça Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale, quelques semaines avant l’adoption de ce texte, passerait sans doute aujourd’hui pour dangereusement rétrograde : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.  »

Démantèlement inexorable

Ce texte, définitivement adopté en décembre 1979, a-t-il ouvert la boîte de Pandore ? C’est fort possible. Toujours est-il que le dispositif légal et réglementaire concernant l’avortement n’a plus rien à voir avec l’esprit de la loi de 1974, devenue pourtant un véritable totem dans les milieux pro-IVG. L’avortement est désormais possible dans un délai de 14 semaines, le délai de réflexion a disparu, il est remboursé à 100 % par l’assurance maladie, la notion de détresse a été supprimée, l’autorisation parentale escamotée. Sans parler de la généralisation de la «  pilule du lendemain  », dont tout le monde a oublié le caractère abortif. On sait que, dans le collimateur des partisans de l’avortement, figure désormais la clause de conscience des médecins. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’inscrire la liberté de recourir à l’avortement dans la Constitution, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes et d’un hommage à Gisèle Halimi, avocate du procès de Bobigny en 1972.

Combattre un péril inexistant

L’idée n’est pas nouvelle. Exploitant avec habileté l’émotion causée aux États-Unis par l’abrogation de l’arrêt Roe vs Wade en juin dernier, associations, médias et lobbies sont entrés en effervescence pour réclamer la protection de l’avortement dans la Constitution. Comme si celui-ci était réellement menacé ici alors que, selon un sondage IFOP de juillet  2022, 83 % des Français sont favorables à l’autorisation de l’avortement, et 86 % de ceux qui se déclarent «  catholiques pratiquants  » (ce taux chute à 66 % chez les Français musulmans). Qu’importe. Après le dépôt de pas moins de six propositions de loi depuis l’été dernier, l’annonce élyséenne vient renforcer le sentiment d’un danger imminent. Toujours la même tactique : inventer un péril pour mieux le combattre… sous le feu des projecteurs.

Révision improbable ?
Cette révision n’est pas acquise pour autant. Toucher à la Constitution n’est pas chose aisée, même lorsque l’impulsion vient de l’Élysée. Et le blocage pourrait venir du Sénat, incontournable en cas de révision : «  Simone Veil disait qu’elle n’était pas favorable à ce que les sujets sociétaux soient inscrits comme une forme de catalogue dans la Constitution. C’est ma position, je n’y suis pas favorable  », a ainsi expliqué Gérard Larcher, le président du Sénat, interviewé sur Public Sénat (09/03).

De manière plus inattendue, certains de ceux qui seraient favorables à une modification du texte constitutionnel hésitent car «  le risque […] serait de donner, à l’occasion d’un référendum, une tribune inédite aux groupes opposés à l’avortement  », comme l’affirme sérieusement Stéphanie Hennette-Vauchez, professeur de droit public, interrogée dans Télérama (10/03). Autant le droit à l’avortement ne peut souffrir d’exception, autant la liberté d’expression peut être à géométrie variable, semble-t-il…

Un culte laïc ?
Derrière les enjeux politiques du débat – donner des gages à la gauche, détourner le regard des enjeux sociaux grâce au sociétal –, et l’incertitude législative qui pèse sur son issue, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur sa dimension métaphysique. Et l’on ne peut qu’être étonné, à cet égard, par la sémantique des tenants de la constitutionnalisation qui parlent d’«  un droit sacré  », d’une «  sanctuarisation  », reprenant ainsi un vocabulaire religieux qui pourrait être celui de leur pire adversaire (imaginaire ?) : l’Église. Cette sacralisation de l’IVG en France avait déjà sauté aux yeux lors de la panthéonisation de Simone Veil, qui avait fait d’elle de manière posthume la vestale de ce «  droit sacré  », alors que le rappel du contexte de 1974 montre bien qu’elle en avait une approche pragmatique, sinon dérogatoire. Si, demain, Gisèle Halimi la rejoint sous la coupole du Panthéon, alors preuve sera faite que le débat, de politique, sera devenu ultra-symbolique. Et la défense de l’IVG, le culte laïc officiel d’une République sécularisée ?