RETOUR AUX SOURCES DU COMMUNISME - France Catholique
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RETOUR AUX SOURCES DU COMMUNISME

Chronique n° 474 – F.C. – N ° 2248 – 16 mars 1990

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Karl Marx et Friedrich Engels

Karl Marx et Friedrich Engels

Timbre de l'Union soviétique pour les 100 ans de la parution du « Manifeste du Parti communiste » en 1948.

Il est effrayant de lire presque chaque jour ici ou là dans nos journaux et revues les plus réputés que, « Certes, Staline, Ceausescu et autres ont été d’affreux tyrans… que les exécutions massives, les procès truqués, les goulags… que le pouvoir totalitaire, la police… mais que ce n’était là qu’une parodie du vrai communisme, que Marx et le marxisme ne sont en rien engagés par cette atroce déviation de l’histoire, qu’au contraire il faut relire Marx, repenser ses analyses et ses programmes, bref qu’après la disparition du faux communisme il est urgent de reprendre Marx pour réaliser ses authentiques idéaux », etc1. C’est effrayant parce que faux : Staline, Mao et leurs émules n’ont rien fait qui ne soit explicitement projeté dans le Manifeste du Parti Communiste. Combien faudra-t-il encore de millions de morts pour qu’aucun démagogue n’ose plus justifier de nouveaux crimes par ces idées maudites ? Les textes : Le Manifeste du Parti Communiste, rédigé par Marx et Engels à l’automne 1847 sur la demande du Congrès Constitutif du Parti, est d’abord publié en allemand en 1848. Peu à peu il est traduit dans toutes les langues2, tandis que ses adeptes prennent l’habitude de toujours le qualifier de « scientifique » : le « communisme scientifique »3. Marx et Engels publieront encore beaucoup mais comme le souligne emphatiquement Engels dans la préface à l’édition de 1890, « aujourd’hui les prolétaires de tous les pays sont effectivement unis », allusion à l’injonction fameuse qui conclut le Manifeste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Il est recommandé de lire, rassemblés dans un petit livre de poche, le texte intégral du Manifeste, suivi d’un autre texte fondateur, la « Critique du Programme de Gotha ». L’édition toujours en vente date de 1973. Elle est précédée d’une préface qui enfonce bien le clou (p. VI) : « Il faut s’y résoudre : pour “dépassé” qu’il soit dans la tête de ceux qui ne l’entendent point, le marxisme demeure la référence décisive dont se réclament deux des plus puissants états d’aujourd’hui ; il inspire les luttes de nombreuses couches sociales – ouvrières, agricoles, intellectuelles – des pays industrialisés ; il mobilise les espoirs et les actions de nations qui combattent… » etc. Il est plaisant d’apprendre en 1990 que ceux qui, en 1973, tenaient le marxisme pour dépassé n’y entendaient rien. Ils étaient pourtant nombreux, ces arriérés mentaux. Mais on les vouait aux « poubelles de l’histoire ». Et là où l’on pouvait, à la mort. Examinons maintenant ce programme dont les partisans étaient encore si fiers et si sûrs en 1973, et même en 1988 (pp. 34 et 35 de l’édition de Poche). On explique d’abord que le Parti Communiste doit prendre tous les pouvoirs : « le premier pas de la révolution ouvrière sera l’accession du prolétariat à la domination de classe ». Le contexte définit ce qu’est cette domination : une dictature. Et comme il s’agit du programme du P.C., il va de soi que la dictature est celle du P.C. Voici maintenant le programme que développera immédiatement ce pouvoir. Je cite sans changer un mot4 : « 1) Expropriation de la propriété foncière et utilisation de la rente foncière pour les dépenses de l’État. 2) Impôt fortement progressif. 3) Abolition de l’héritage. 4) Confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles. 5) Centralisation du crédit entre les mains de l’État au moyen d’une banque nationale à capital d’État et à monopole exclusif. 6) Centralisation de tous les moyens de transport entre les mains de l’État. 7) Multiplication des manufactures (usines) nationales, des instruments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif. 8) Obligation du travail pour tous, organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture. 9) Combinaison du travail agricole et du travail industriel, mesures pour faire disparaître progressivement l’opposition entre ville et campagne. 10) Éducation publique et gratuite pour tous les enfants. Suppression du travail des enfants en usine sous sa forme actuelle. Combinaison de l’éducation avec la production industrielle. » Je me suis abstenu de souligner les plus beaux passages sur le sort des « émigrés » et des « rebelles », le monopole exclusif du capital d’État (c’est-à-dire du P.C.), l’organisation militaire des ouvriers et des paysans (point 8), l’uniformisation de la ville et de la campagne, la suppression du travail des enfants sous sa forme actuelle, mais la combinaison de l’éducation avec la production industrielle… Si Staline et le Génie des Carpates ont trahi ces belles idées, on se demande en quoi ? Encore Marx et Engels se sont-ils ingéniés à inclure la destruction de la famille dans leur programme sans en faire l’un des dix points5. « Qu’avons-nous besoin d’introduire la communauté des femmes, demandent-ils, puisqu’elle existe déjà ? Rien n’est plus ridicule que cette indignation hautement morale de nos bourgeois contre cette communauté des femmes officiellement instaurée par le communisme. Les communistes n’ont pas besoin d’introduire la communauté des femmes, elle a presque toujours existé » (p. 30)6. Sur ce point, le système politique communiste réel, tel qu’il a existé pendant 70 ans, n’a pas même réalisé l’objectif primitif du PC. Il faut donc dire, non pas que le communisme historique était une caricature et qu’il faut effacer cette caricature honteuse pour réussir la vraie révolution marxiste, mais que leurs disciples n’ont même pas osé aller aussi loin que Marx et Engels. Staline et Ceausescu, etc., n’ont été que des marxistes modérés. Une lecture distraite du Manifeste n’y trouve pas le goulag. Il n’y est pas expressément, car il est implicitement admis, il va de soi sans discussion. D’abord pour l’exaltation de la violence comme moyen d’accès au pouvoir. Que veut dire « violence » ? Et exercée par qui et quoi ? Si ce n’est l’enfermement, ce ne peut être que la mort, ou les mots n’ont plus de sens. Ce fut, on le sait, les deux. Mais surtout, l’habileté du Manifeste est de toujours parler de l’union des prolétaires sans jamais préciser le sens de cette union. Or le fait d’écrire un manifeste pour un « parti » chargé de réaliser un programme en dix points ne laisse aucun choix : tout le pouvoir revient au Parti, et c’est bien la traduction que donnera Lénine au moment décisif : « Tout le pouvoir aux soviets ». Soviet en russe veut dire « assemblée », mais Lénine précisera quel type d’assemblée : celle du Parti, et de lui seul. Logique irréfutable, car on ne voit pas à qui s’adresserait le Manifeste si ce n’est au Parti ? Parmi les désespérantes arguties que l’on nous sort en ce moment pour sauver Marx78 et Lénine, il y a celle-ci : « Staline et les staliniens ont trahi le marxisme, puisque Lénine n’a jamais contesté le droit de discuter, voire de contredire ». Lénine en effet n’a jamais contesté ce droit à l’intérieur du Parti. À l’extérieur, contredire c’était la « rébellion » (point 4) sanctionnée par la balle dans la nuque ou la déportation9. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs »10. Le Manifeste du Parti communiste date donc de l’automne 1847. Un siècle et demi plus tard, il s’est bel et bien réalisé, tel quel, sur une partie de la planète. Il n’a plus besoin du Parti Communiste pour enchaîner les hommes : ayant inventé la pénurie économique, il s’auto-entretient. L’« omelette », le « renard dans le poulailler » : hallucinés, semble-t-il, par l’idée que l’homme est une volaille, ses inventeurs ont fait de leur cauchemar une réalité. Zinoviev prévoit la suite comme un long moyen âge11. « Moyen âge » ? Ce ne serait déjà pas mal12. Aimé MICHEL Chronique n° 474 – F.C. – N ° 2248 – 16 mars 1990 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 29 juillet 2019

 

  1. Karl Marx eut une vie relativement brève et souvent précaire, en butte aux tracasseries policières puis à la maladie et à la pauvreté, en dépit de l’aide de son indéfectible et riche ami Friedrich Engels. Ayant échappé à une carrière d’avocat puis d’universitaire, il découvrit sa vocation vers l’âge de vingt-cinq ans, demeura longtemps un obscur journaliste militant, ne commença à être un peu connu qu’après la cinquantaine, et mourut à 65 ans sans avoir terminé son œuvre majeure, Le capital. Rien, ni dans ce bref résumé d’une vie ni dans les détails qui suivent, ne laisse présager sa célébrité future. Marx nait il y a deux siècles, en mai 1818 à Trèves, dans une famille de rabbins. Son père, avocat, se convertit au protestantisme en 1815 et sa mère fait de même en 1825 avec ses sept enfants. Étudiant à Bonn puis à Berlin, il opte pour une carrière universitaire (sa thèse porte sur le matérialisme antique de Démocrite et Épicure) mais il doit y renoncer et se tourner vers le journalisme en 1842. L’année suivante, à Cologne, son journal, accusé de communisme, est interdit et sa mère lui refuse sa part d’héritage paternel. Heureusement, on lui propose de codiriger une revue franco-allemande à Paris, ce qui lui permet de se marier en 1843 avec une belle aristocrate, Jenny von Westphalen qui sera sa muse et sa collaboratrice. Le premier numéro de son journal parait en 1844 mais n’a pas de suite. Il y publie deux articles où il écrit déjà « La religion est la plainte des opprimés, l’âme d’un monde sans âme, l’espoir d’une condition humaine sans espoir : elle est l’opium du peuple ». À nouveau sans ressources, il est aidé par des amis de Cologne. Il fait la connaissance de Proudhon et Bakounine (qu’il désapprouvera) et surtout d’Engels, fils d’une riche famille de filateurs allemands avec lequel il se lie d’amitié. En 1845, Marx, expulsé de Paris à la demande du gouvernement prussien, s’installe à Bruxelles avec l’aide financière d’Engels. Ils écrivent ensemble un traité de philosophie qui défend une conception matérialiste de l’histoire (qui ne sera publié qu’en 1932) et Marx commence à travailler pour l’Association des ouvriers allemands de Londres qui soutient l’activité clandestine de la Ligue des Justes (créée à Paris mais dispersée en 1839). En 1847, la Ligue tient deux congrès à Londres en juin et novembre. Lors du premier congrès, à la devise « Tous les hommes sont frères », Marx fait substituer « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » ; lors du second, la « Ligue des Justes » devient « Ligue des communistes » et Marx rédige en six semaines son évangile, le Manifeste du parti communiste (la Ligue s’auto-dissoudra en 1852). En 1848 et 1849, au rythme des expulsions, il erre entre Bruxelles, Paris, Cologne et finalement Londres. Là, le gouvernement britannique refuse son expulsion (et celle de Engels qui l’accompagne) demandée par les autorités prussiennes. Dès lors Marx restera à Londres jusqu’à la fin de ses jours. Malgré ses articles de journaux, nombreux mais mal rémunérés, il connait la pauvreté et la faim ; trois de ses six enfants meurent dont un de malnutrition. Il survit grâce à la dot de sa femme et à l’aide d’Engels qui travaille dans la firme que son père a établi à Manchester (où il découvre la misère ouvrière que Marx ne semble pas avoir directement connue). La situation de Marx ne s’améliore qu’après la mort de sa mère (1863) lorsqu’il reçoit sa part d’héritage. Il peut alors travailler à la rédaction du Capital (le premier tome ne sera publié à Hambourg qu’en 1867) et reprendre son activité de militant révolutionnaire. En 1864, il remanie le texte d’un projet franco-italien en une Adresse à l’Association Internationale des Travailleurs (créée en 1863) et devient ainsi le chef de la Première Internationale. Il doit batailler contre Mazzini, Bakounine, Proudhon, mais sans parvenir à arrêter les luttes intestines. En 1871, il salue la Commune de Paris, qui vient d’être écrasée, dans La Guerre civile en France, texte qui assure sa renommée mais conduit à l’éclatement de l’Internationale (prononcée en 1876). Sa santé décline à partir de 1873. Il poursuit la rédaction du Capital mais laisse les deux derniers tomes inachevés (Engels les mettra en forme et les publiera en 1885 et 1894 ; Karl Kautsky fera de même pour les brouillons concernant l’histoire des théories économiques en 1905-1910). Il s’éteint en mars 1883 après un séjour de soins à Alger et est enterré auprès de sa femme (morte en décembre 1881) et de leur bonne (qui fut sa maitresse et la seconde mère de ses enfants). Engels meurt à Londres en 1895.
  2. Dans la préface à l’édition allemande de 1872, Karl Marx et Friedrich Engels écrivent : « La Ligue des communistes, association ouvrière internationale qui, dans les circonstances d’alors, ne pouvait être évidemment que secrète, chargea les soussignés, délégués au congrès tenu à Londres en novembre 1847, de rédiger un programme détaillé, à la fois théorique et pratique, du Parti et destiné à la publicité. (…) Publié d’abord en allemand, il a eu dans cette langue au moins douze éditions différentes en Allemagne, en Angleterre et en Amérique. Traduit en anglais par Miss Hélène Macfarlane, il parut en 1850, à Londres, dans le Red Republican, et, en 1871, il eut, en Amérique, au moins trois traductions anglaises. Il parut une première fois en français à Paris, peu de temps avant l’insurrection de juin 1848. » Toutefois, dans mon exemplaire du Manifeste (Éditions sociales, Paris, 1958) une note de l’éditeur corrige : « En France, il fallut attendre jusqu’en 1885 pour que ce texte magistral soit publié dans notre langue. En effet l’indication, donnée dans la première préface, d’une publication en juin 1848 n’a pu être vérifiée. Il semble qu’une traduction en ait été préparée à cette époque, mais les évènements en empêchèrent la publication » (ce qui n’est guère surprenant puisque l’insurrection de Paris eut lieu les 23-26 juin). La première publication en français fut faite en août 1885 dans le premier numéro de l’hebdomadaire Le Socialiste du Parti ouvrier français. « Laura Lafargue s’était chargée de la traduction, qui lui valut, malgré quelques remarques, des compliments d’Engels. » (Laura est la seconde fille de Karl Marx et l’épouse du militant socialiste Paul Lafargue). Ce n’est qu’en 1895 que cette traduction fut disponible en tirage à part. « Depuis cette date le Manifeste a connu en France de multiples éditions et a aussi tenté de nombreux traducteurs. C’est la traduction de Laura Lafargue, soigneusement revue et bien souvent améliorée, qui constitue le texte de toutes nos éditions depuis 1948. » Le Manifeste peut être aisément trouvé sur Internet. L’une des versions les plus complètes (avec les préfaces de diverses éditions étrangères entre 1872 et 1893) est disponible sur https://www.karlmarx.fr/documents/marx-engels-1847-manifeste-parti.pdf.
  3. Le caractère scientifique du marxisme est revendiqué par Marx et Lénine. En 1858, Marx écrit de son œuvre qu’elle « représente pour la première fois d’une façon scientifique une importante manière de voir les rapports sociaux ». Lénine abonde dans le même sens en 1894 : « Aujourd’hui, depuis la parution du Capital, la conception matérialiste de l’histoire n’est plus une hypothèse mais une doctrine scientifiquement démontrée. Le marxisme n’est pas “une conception scientifique de l’histoire par excellence” comme le croit Mikhailovski, mais la seule conception scientifique de l’histoire. » Ou encore, toujours selon Lénine : « La doctrine de Marx est toute-puissante parce qu’elle est juste. Elle est harmonieuse et complète ; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde (…). Elle est le successeur légitime de tout ce que l’humanité a créé de meilleur au XIXe siècle : la philosophie allemande, l’économie politique anglaise et le socialisme français. » Alain Besançon qui cite ces passages (Les origines intellectuelles du léninisme, coll. Tel n° 270, Gallimard, Paris, 1996, p. 260), résume la pensée de Lénine en deux phrases : « Le matérialisme historique de Marx fut la plus grande conquête de la pensée scientifique. Au chaos et à l’arbitraire qui régnaient jusque-là dans les conceptions de l’histoire et de la politique, succéda une théorie scientifique remarquablement achevée et harmonieuse (…). » Pour comprendre que ces prétentions à la « scientificité » sont très exagérées, il faut mettre ces textes en parallèle avec d’autres. Ainsi Lénine croyait-il que, grâce à « la grande production, les fabriques, les chemins de fer, la poste, le téléphone, etc. », « l’immense majorité des fonctions du vieux “pouvoir de l’État” se sont tellement simplifiées », qu’elles peuvent « être réduites à de si simples opérations d’enregistrement, d’inscription, de contrôle ». Par conséquent, « elles seront parfaitement à la portée de tous les hommes pourvus d’un minimum d’instruction (…) de sorte que l’on peut (et l’on doit) enlever à ces fonctions jusqu’à l’ombre de tout caractère privilégié, “hiérarchique” » et aussi « après avoir renversé les capitalistes et les fonctionnaires, les remplacer aussitôt, du jour au lendemain, (…) par les ouvriers armés, par le peuple armé tout entier. » (Lénine, L’État et la Révolution, 1917). Boukharine, quant à lui, pensait que « De même que les musiciens dans un orchestre suivent le bâton du chef et s’y règlent, de même les hommes suivront les tableaux de statistiques et y conformeront leur travail. (…) La bureaucratie, le fonctionnarisme permanent disparaitront. L’État sera mort. » (L’A.B.C. du Communisme, 1920). (Ces deux textes sont cités par Jean Fourastié, Les conditions de l’esprit scientifique, coll. Idées, Gallimard, Paris, 1966, pp. 94 et sq.) Ces naïvetés pourraient faire sourire si elles n’avaient eu de si tragiques conséquences pour des populations entières. Comment se fait-il qu’elles aient pu exercer une telle séduction ? Staline l’explique en partie dans le récit de sa réaction la première fois qu’il entendit Lénine prononcer un discours : « Ce qui me captiva, écrit-il, c’était la force irrésistible de la logique de Lénine, logique un peu sèche mais qui, en revanche, s’empare à fond de l’auditoire, l’électrise peu à peu et puis ensuite le rend prisonnier, comme on dit, sans recours… La logique de Lénine, c’est comme des tentacules tout-puissants qui vous enserrent de tous côtés dans un étau dont il est impossible de briser l’étreinte. » (Besançon, op. cit., p. 261). Cette séduction a, toutefois, des causes plus profondes et plus générales. La conviction dont parle Staline, remarquons-le, est fondée sur la « logique » (le raisonnement), non sur l’observation et l’expérience. Cela confirme le fait relevé par Jean Fourastié que « le réel sensible et la méthode expérimentale », qui « comptent pour rien ou pour très peu dans l’œuvre littéraire et même dans l’œuvre philosophique », comptent « à peine davantage » dans l’œuvre économique, sociale, politique. C’est par « l’intuition, le sentiment et l’art » que les hommes règlent tant « leurs distractions littéraires et leurs plaisirs philosophiques » que « leurs actions politiques ». Mais contrairement aux erreurs philosophiques (également pernicieuses mais aux effets moins immédiats), les erreurs politiques dans l’appréciation du réel ont des effets très rapides et « engagent des millions d’hommes, des peuples entiers, dans des voies qu’il faut des demi-siècles pour constater erronées, ou inefficaces, ou moins efficaces que d’autres solutions. » (Fourastié, op. cit., p. 99). On aurait tort de croire que de telles erreurs appartiennent à un passé révolu car elles sont une constante de la condition humaine : « Ces erreurs, poursuit Fourastié, ne sont qu’un cas particulier des erreurs habituelles à l’homme dans l’appréciation du réel, et de l’indifférence où il est de l’adéquation de sa pensée à la réalité des choses et des hommes extérieurs à lui. Il lui est bien plus facile de mourir pour une cause que de la vérifier par l’observation et l’expérience. Si vous lui donnez à raisonner, à admirer, à aimer, à mourir, il n’est pas nécessaire que vous lui donniez à vérifier… »
  4. On trouve de menues variantes d’une traduction à l’autre. Par exemple mon édition traduit au point 4, « des biens » au lieu de « de la propriété » ; au point 7, elle utilise une formulation plus claire, « défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d’après un plan d’ensemble » ; et au point 10, « production matérielle, etc. » au lieu de « industrielle ».
  5. La suppression de la famille et de l’éducation familiale est présentée au milieu du chapitre 2 avant le programme en dix points. « L’abolition de la famille ! Même les plus radicaux s’indignent de cet infâme dessein des communistes. Sur quelle base repose la famille bourgeoise d’à présent ? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude, n’existe que pour la bourgeoisie ; mais elle a pour corollaire la suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution publique. La famille bourgeoise s’évanouit naturellement avec l’évanouissement de son corollaire, et l’une et l’autre disparaissent avec la disparition du capital. Nous reprochez-vous de vouloir abolir l’exploitation des enfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l’avouons. Mais nous brisons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant à l’éducation par la famille l’éducation par la société. Et votre éducation à vous, n’est-elle pas, elle aussi, déterminée par la société ? Déterminée par les conditions sociales dans lesquelles vous élevez vos enfants, par l’immixtion directe ou non de la société, par l’école, etc. ? Les communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation ; ils en changent seulement le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante. Les déclamations bourgeoises sur la famille et l’éducation, sur les doux liens qui unissent l’enfant à ses parents, deviennent de plus en plus écœurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail. » (p. 31 dans le fascicule des Éditions sociales ; les italiques sont de moi et j’ai supprimé les alinéas).
  6. La communauté des femmes est une idée que Platon a défendue dans la République. Ce dialogue écrit, pense-t-on, au début du IVe siècle, une dizaine d’années après la mort de Socrate, décrit une cité idéale où le pouvoir est détenu par une élite de philosophes assistés de gardiens. Les gardiens ne possèdent rien en propre, ni biens, ni femmes, ni enfants. Les membres de cette élite vivent en communauté où « les femmes seront communes à tous les hommes ». Ils pratiquent une politique eugéniste qui vise à « conserver pure la race des gardiens » en décidant les unions (mariages temporaires) au moyen d’un tirage au sort (en réalité truqué mais à l’insu des sujets) et le rejet des enfants nés difformes ou en dehors de ce mariage légal : ils sont relégués parmi les laboureurs et les artisans, exilés voire exécutés (« Pour les enfants venus au monde avec quelque difformité, ils les cacheront dans un endroit secret et dérobé aux regards »). Les enfants sont séparés de leur mère et confiés à un comité en veillant « à ce qu’aucune ne reconnaisse son enfant » : « les parents ne connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci leurs parents ». En dehors des périodes de procréation (20 à 40 ans pour les femmes, peut-être 30 à 55 pour les hommes), la liberté sexuelle est totale car seule la sexualité procréatrice intéresse les gardiens (« Quand les femmes et les hommes auront passé l’âge de donner des enfants à la cité, nous laisserons, je pense aux hommes, la liberté de s’accoupler à qui ils voudront, hormis leurs filles, leur mère »). Au total, il est peu question des femmes dans ce dialogue, et ce qui en est dit est ambigu : « La femme est appelée par la nature à toutes les fonctions, de même que l’homme ; seulement la femme est dans toutes inférieure à l’homme », bien qu’à la fin Socrate les associe à la garde de l’État et à la chasse. On pourra comparer les lectures qu’en font Suzanne Saïd, « La République de Platon et la communauté des femmes » (L’Antiquité classique, 55, pp. 142-162, 1986, https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1986_num_55_1_2174) et Nathalie Ernoult, « Une utopie platonicienne : la communauté des femmes et des enfants » (Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n° 22, pp. 211-217, 2005, http://journals.openedition.org/clio/1778), puis les compléter par celle du démographe Yves Charbit, « La Cité platonicienne : histoire et utopie » (Population, vol. 57, pp. 231-260, 2002, https://www.cairn.info/revue-population-2002-2-page-231.htm). Cette utopie platonicienne a été en partie mise en œuvre par les nazis avec l’association Lebensborn (Fontaines de vie en vieil allemand). Dirigée par Heinrich Himmler, elle visait à créer une race supérieure de germains nordiques. Les pères ont été en grande majorité des SS. Les mères étaient leurs épouses légitimes mais aussi des femmes choisies pour leurs qualités « aryennes ». Les bébés handicapés étaient euthanasiés. Vingt-deux mille enfants seraient nés de ce programme. Les principaux responsables ont été jugés à Nuremberg mais n’ont pas été condamnés (https://www.lemonde.fr/culture/article/2014/03/14/les-pouponnieres-du-iiie-reich_4380621_3246.html).
  7. Ce qu’Aimé Michel vise ici, ce sont les tentatives de « sauver Marx » en tant que penseur politique révolutionnaire croyant avoir compris la vraie nature de l’homme et de la société et s’employant à les transformer par la force. Toutes ces tentatives ne relèvent pas nécessairement de l’argutie car il ne s’agit pas de minimiser certaines qualités de l’homme, ses observations de la misère ouvrière (voir par exemple l’extrait de la 7e section du Capital, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-25-5-b.htm) et sa dénonciation de « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Une réhabilitation récente plus inattendue est celle d’un Marx défenseur de l’écologie présentée par le sociologue américain John Bellamy Foster (Marx écologiste, éd. Amsterdam, 2011) puis, plus récemment, par le philosophe Henri Pena-Ruiz (Karl Marx penseur de l’écologie, Seuil, Paris, 2018). Toute réserve faite sur les développements (pas toujours clairs) de ce dernier, il y a du vrai dans la thèse de ces auteurs, si on en juge par ces deux citations de Marx : « Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature. » (Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Éditions sociales, 1962, p. 62). « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse. » (Le capital, tome 1, 4e section, chap. XV, § X, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-10.htm). Remarquons que Marx n’utilise pas le mot « écologie », ce qui n’est pas surprenant (il fut inventé par son compatriote Ernst Haeckel en 1866 au sens de « la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement, comprenant au sens large toutes les conditions d’existence » et n’a commencé d’être utilisé par des géographes et des botanistes qu’à partir de 1895) ; mais les mots « nature », « naturalisme » ont pour lui un sens voisin.
  8. Il y a un défaut symétrique du « sauvetage » de Marx qui est de charger la barque à l’excès. Quelques livres et sites internet portent contre Marx l’accusation d’antisémitisme en s’appuyant sur la citation suivante extraite de son livre Sur la question juive écrit en 1843 à vingt-cinq ans : « Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent ». (D’après la traduction de ce livre dans la collection 10-18, reproduite sur le site http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/question_juive/question_juive.html, p. 28 du fichier PDF ; une autre traduction remplace « l’utilité personnelle » par « la cupidité »). En réalité, Marx entend montrer que la condition juive n’est pas le résultat du judaïsme mais des pratiques imposés aux Juifs par l’État bourgeois sous « l’empire de la propriété privée et de l’argent ». Autre exemple : certains accusent Marx de racisme à l’aide d’une citation tirée de Révolution et contre-révolution en Allemagne (1852) : « Comment se débarrasser de ces peuplades moribondes, les Bohémiens, les Carinthiens, les Dalmates, etc. » (http://chacun-pour-soi.blogspot.com/2004/07/citations-marxistes.html, https://fr.irefeurope.org/Publications/Articles/article/Karl-Marx-je-l-ai-bien-connu et autres). En fait, le début de la phrase est pure invention ; le texte dit ceci : « Des restes éparpillés de nombreuses nations dont la nationalité et la vitalité politique avaient été étouffées depuis longtemps et qui avaient été contraints pendant près de mille ans de marcher dans les traces d’une nation plus puissante, qui les avaient conquis ; tout comme les Gallois en Angleterre, les Basques en Espagne, les Bas Bretons en France, et plus récemment les créoles espagnols et français dans les parties de l’Amérique du Nord occupées dans les derniers temps par la race anglo-américaine, – ces nationalités mourantes, les Bohémiens, les Carinthiens, les Dalmates, etc. avaient tenté de profiter de la confusion générale de 1848 pour rétablir leur statu quo politique de l’an de grâce 800. » (op. cit., trad. par Laura Lafargue, V. Giard et E. Brière, publié à Paris en 1900, disponible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k113502j). Ces critiques mal fondées contrastent avec le caractère central de la critique formulée par A. Michel de la violence intrinsèque aux dix solutions proposées par Marx et mises en œuvre par ses successeurs (en commençant par un des pays les moins adaptés à la Révolution, car Marx visait l’Angleterre, l’Allemagne et la France). On s’étonne qu’elle soit si peu repérée et reconnue. Les crimes commis ultérieurement en son nom l’ont été par des hommes qui se voulaient moins dans la réflexion que dans l’action. La plupart n’avaient lu au mieux que le Manifeste. Ils en appliquèrent les dix points avec la dureté qu’exigeait à leurs yeux le réalisme de leur maître. Car Marx se voulait le contraire d’un utopiste. Ce qu’il reprochait à Pierre-Joseph Proudhon, Jules Guesde, et Paul Lafargue (le mari de sa fille Laura), c’était leur messianisme utopique, qui lui fit dire « Si c’est cela, le marxisme, ce qui est certain, c’est que moi, je ne suis pas marxiste » (phrase souvent tronquée et citée en dehors de son contexte). Plus fondamentalement, l’analyse marxiste de l’économie et de la société est fautive sur des points essentiels. L’évolution du monde depuis son époque s’est chargée d’en miner les fondements. Pour illustrer cela, je ne prendrai que deux exemples : 1/ Marx pensait que le capitalisme expliquait la pauvreté du monde ouvrier. Je n’entends pas nier la part de vérité de ce diagnostic mais certains facteurs clés semblent lui avoir échappé et échappent toujours à nombre de commentateurs de la révolution industrielle. En effet, cette dernière, faisant suite à des améliorations de la production agricole, des transports, de l’hygiène au cours des siècles précédents, a permis un accroissement lent mais sensible de la population. Cette frange supplémentaire de la population était celle qui, dans les siècles antérieurs, était éliminée par la mortalité infantile, les crises alimentaires et les épidémies à répétition. On conçoit que cette amélioration d’ensemble s’est traduite au début par une survie précaire de ceux qui ne mouraient plus, et donc une misère souvent effrayante, touchant particulièrement la population ouvrière. Un enfant mort ne se voit pas, un enfant misérable se voit, du moins de quelques-uns, comme Vincent de Paul au XVIIe (note 3 de n° 330), Vauban au XVIIIe (n° 418) ou Villermé au XIXe (n° 365). 2/ Marx, bien qu’il n’en soit pas l’inventeur, a repris la célèbre formule « à chacun ses besoins ». Dans ses Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand (1875, http://marxists.anu.edu.au/francais/marx/works/1875/05/18750500a.htm) il écrit : « quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !” ». En ce sens Marx était bien un utopiste, car si l’observation enseigne quelque chose, c’est bien que les besoins des hommes n’ont pas de limite. Ils ne sont limités que par leur imagination et, bien sûr, les contraintes matérielles du moment. Les revendications relatives au pain gratuit (motif de grèves dures au XIXe siècle), et autres besoins vitaux tels qu’on les concevait à l’époque, sont depuis longtemps oubliées, et chaque « besoin » satisfait ouvre la voie à un nouveau « besoin » à satisfaire. On ne saurait construire une société sur un sable plus mouvant.
  9. Dans un texte publié dans La philosophie de l’existence et autres essais (Payot, Paris, 2000, pp. 177-194) Hannah Arendt confirme que la « démocratie interne » au Parti était déjà compromise avant la mort de Lénine : « Ce que les ex-communistes ne mentionnent guère aujourd’hui, et qui probablement trouble leur conscience encore plus que le reste, c’est qu’il y a eu quelque chose de vicié dans le parti dès le début. La dénonciation de ce “vice” ne vint pas du monde “normal” non communiste mais de Rosa Luxemburg qui, très tôt, protesta et mit en garde contre la suppression de la démocratie interne dans le parti. Il faut noter et se souvenir qu’il n’y avait nul besoin de se rapporter aux règles de la société “normale” – règles qu’un parti révolutionnaire ne peut naturellement pas accepter aveuglément – pour y détecter dès le départ les premiers signes non pas de totalitarisme, mais de tyrannie ; il suffisait pour cela de considérer le passé révolutionnaire du parti lui-même. Les choses empirèrent juste après la mort de Lénine, jusqu’à devenir franchement intolérables pour quiconque aimait la liberté, avant même que Staline n’ait liquidé les déviations de droite ou de gauche dans les années 30. Ces faits n’étaient connus que des membres du parti ou de quelques très proches compagnons de route, mais pratiquement jamais de l’extérieur. D’un point de vue moral, mais pas uniquement, on peut dire que c’est toujours le fantôme de Rosa Luxemburg qui hante les consciences des ex-communistes de l’ancienne génération. »
  10. Aimé Michel rapporte que l’adage « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » était d’usage courant dans le maquis communiste commandé par un de ses frères, sous la forme : « On ne fait pas la guerre sans casser des œufs » (voir chronique n° 371). À la suite du texte cité dans la note précédente, Hannah Arendt assure qu’il a été mis en exergue, avec les mêmes inquiétants sous-entendus, par Staline : « Et avec l’avantage du recul, à nouveau, il est facile aujourd’hui de formuler ce que Staline a accompli : il a transformé le vieil adage politique et révolutionnaire passé dans le langage populaire : “On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs”, en véritable dogme : “On ne casse pas d’œufs sans faire d’omelette.” Ce fut, en fait, la conséquence pratique de l’unique contribution de Staline à la théorie socialiste. Réinterprétant la doctrine marxiste, il proclamait que “l’État socialiste” devait tout d’abord devenir plus fort, toujours plus fort, jusqu’à ce que soudainement, dans un avenir lointain, il “se délite” – comme si casser des œufs et les casser sans cesse devait soudainement et automatiquement produire l’omelette attendue. » Toutefois, Hannah Arendt se trompe probablement en pensant que cet adage était révolutionnaire avant de devenir populaire. Ce proverbe serait apparu au XIXe siècle ; il est cité par Balzac dans sa nouvelle Adieu publiée en 1830 et est entré dans le dictionnaire de l’Académie française en 1878 (www.notrefamille.com/dictionnaire/expressions/on_ne_fait_pas_d_omelette_sans_casser_des_oeufs).
  11. Sur l’écrivain et sociologue Alexandre Zinoviev (1922-2006), voir les chroniques n° 396 et 441.
  12. Mentionnons pour terminer une autre tentative de « communisme », indépendante de celles de Marx et Lénine : celle des kibboutz, fondés à l’origine par des socialistes russes non marxistes. Caractérisée par la propriété collective des terres et biens de production, la sélection des membres (voir note 2 de n° 372), l’égalité des salaires, l’absence d’héritage, l’éducation séparée des enfants (les enfants voyaient leurs parents tous les jours mais ne vivaient pas avec eux : ils dormaient dans la Maison des enfants), cette expérience a aussi été finalement un échec : les kibboutz existent toujours (moins de 2% de la population du pays mais plus du tiers de sa production agricole et presque 10% de sa production industrielle), mais ils ont adopté les règles de l’économie de marché et ont été privatisés. Le système n’a pas résisté à l’élévation du niveau de vie de ses membres : la dernière Maison des enfants a fermé en 1996 et rares sont les kibboutz qui ont conservé la salle à manger commune. Les causes de l’échec économiques sont à peu près les mêmes que dans le communisme d’inspiration marxiste : « Beaucoup de gens faisaient semblant de travailler, profitaient du système et étaient complètement déresponsabilisés ». La famille communautaire, génératrices de souffrance pour les parents et les enfants, a conduit les uns à fuir le kibboutz et les autres à le transformer de l’intérieur. (Voir http://www.cclj.be/actu/politique-societe/israel-kibboutz-utopie-realite).