DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE À LA RÉSISTANCE AFGHANE AH ! QUE L’HISTOIRE EST REBELLE - France Catholique
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DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE À LA RÉSISTANCE AFGHANE
AH ! QUE L’HISTOIRE EST REBELLE

Chronique n° 371 parue dans F.C.-E.– N° 1886 – 4 février 1983

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Je lis souvent, non sans perplexité, l’expression « anti-communiste primaire ». Ceux qui ont une assez vieille mémoire savent que le style politique de notre temps l’a tirée d’une expression plus ancienne : « anticléricalisme primaire ». Bon, voilà pour la grammaire. Maintenant qu’est-ce que cela veut dire ? J’ai découvert les communistes dans la Résistance, chez les F. T. P. (Francs-Tireurs et Partisans, pour ceux qui n’ont pas connu des temps si anciens1). Quels merveilleux compagnons ils étaient, courageux, disciplinés, organisés, d’une fidélité à toute épreuve ! Voilà le souvenir nostalgique que j’en garde. Les armes sur le dos, dans les montagnes, surveillant les mouvements des convois allemands dans le fond des vallées, et, à partir du 6 Juin 1944, leur dressant embuscades sur embuscades, c’était là le bon temps inoubliable, si incroyable que cela puisse paraître. Plus jamais de nazisme ici Ce qui me paraît irréel, ce n’est pas du tout la vie aventureuse, l’exaltation du danger affronté, ni même l’incertitude d’être encore en vie au coucher du soleil et l’habitude de ne s’endormir qu’après avoir disposé à portée de main la bonne vieille Sten2 et quelques grenades. Non, ce n’est pas cela, car tel est le vieil homme, en son jeune âge, hélas, forgé dans le coupe-gorge de l’Histoire. Ce qui me semble disparu comme un rêve qu’après coup je trouve atroce, c’est d’avoir alors jugé comme allant de soi, collectivement, une partie des maximes que l’on nous avait enseignées ou que nous nous étions faites, je ne sais plus ; une partie indiscernable à nos yeux d’autres maximes avec lesquelles je mourrai, qui font partie de ma foi sur cette terre. Commençons par ces dernières, celles, donc, que je garde au cœur : – Il faut libérer la France (Dieu merci, c’est une maxime qui a perdu son objet : la France est libre, vive la France) ; – Plus jamais de nazisme ici ; plus jamais de racisme, de délation, de servitude ; plus jamais de nazisme nulle part (nous voisinions avec un maquis juif qui nous surprenait par ses mains fines et son courage physique. Il se trouve que je n’ai jamais vu Israël, mais je ne suis pas étonné que Tsahal étonne le monde). – Plus jamais de guerre, mais si un jour, il fallait « remettre ça », n’importe quoi, sauf la perdre. Ce « n’importe quoi, sauf la perdre », ceux de mon âge, je crois, n’ont plus jamais cessé d’y penser. Nous y pensions surtout en observant la puissance allemande dans le fond des vallées, les chars, les canons, tout ce qui rend le courage vain3. Je crois que tous les Français sont d’accord là-dessus, mais passons aux autres maximes que nous acceptions plus ou moins explicitement sans trop savoir comment s’était organisé cet étrange consensus (maintenant je le sais, bien sûr) : – On ne fait pas la guerre sans casser des œufs. Les nazis se vengent sur des innocents, mais c’est une raison de plus pour les faire disparaître par tous les moyens, et au diable la casse ! (Je prie le lecteur sensible de se préparer à la suite. Bien sûr, cela me fait horreur, mais nous avions grandi dans l’horreur : il faut tout redouter d’une telle école, qui seule explique des énigmes comme les Khmers Rouges, presque tous des enfants, de même que les terroristes libanais, palestiniens, etc. Donc, poursuivons sans détourner les yeux) : – La vie de quelques innocents pour atteindre un ennemi, ce n’est pas cher payé (d’ailleurs, nous étions prêts à payer nous-mêmes ce prix). Plus cyniquement encore, un ami anglais, aviateur de la R.A.F., abattu par les Allemands en Yougoslavie, et qui combattit plus d’un an dans les maquis de Tito (ce bon vieux patriarche devenu Père la Sagesse, porte-parole des authentiques non engagés) me disait en 1945, avec un humour écœuré, que dans les maquis yougoslaves, on estimait un homme au prix d’une chèvre et un mulet au prix de trois chèvres, sauf qu’on ne fusillait jamais les chèvres ni les mulets. – Une balle dans la nuque à bon escient évite bien des ennuis, et peut épargner beaucoup de sang (là, je l’avoue, je renâclais, quoique secrètement et pas très sûr de moi, et je remercie Dieu de n’avoir jamais eu à le faire, ni aucun de mes amis). – Les bons Allemands sont les Allemands morts (je ne les avais jamais vus que marchant sous le drapeau de notre désastre, me demandant comment Bach, Gauss, Beethoven, s’étaient changés en bêtes fauves. Après la guerre, je travaillais avec quelques-uns parmi les survivants, et grande fut ma surprise de trouver des hommes très souvent exemplaires, sans haine, et même des sages géniaux comme Lorenz4. Aussi maintenant, je dis : « Vivent les Allemands », de tout cœur, et puissent-ils être à l’avenir épargnés par l’Histoire, dont la majuscule est trop souvent criminelle). Je dois à la vérité d’ajouter que, malgré cette maxime, nous savions qu’il valait mieux tomber entre les mains des Allemands qu’entre celles de la Milice (française, si l’on peut dire). J’ai là-dessus des histoires qu’il vaut mieux oublier. Stalinien : le beau nom ? Mais, et vos communistes ?, me demande le lecteur. J’y arrive. Pour les raisons que je viens de dire, j’en ai connu beaucoup, dans le plus amical compagnonnage, qui ont vieilli avec moi. Beaucoup sont morts. Communiste, pour eux, cela voulait, cela n’a jamais voulu dire autre chose que stalinien. « Je me flatte, me disait un de mes bons amis de guerre, longtemps après l’Armistice et même la guerre de Corée, je me flatte du beau nom de Stalinien ». Stalinien : le beau nom ? Il me citait (car il est mort) le mot fameux sur Kant : « Il avait les mains propres, mais il n’avait pas de mains ». Les « mains sales », bon, et alors ? Nous sommes l’Avenir. Jusqu’à l’arrivée au but. Et alors, pan ! – « Qu’est-ce que le stalinisme ? Voici sa réponse : – « C’est le seul communisme que je connaisse. Il faut savoir faire tous les compromis, après quoi, quand on est le plus fort, pan ! », me disait encore cet ami avec un bon sourire et le geste de Katyn5, au moment des grands procès, Slansky6, etc. Cet homme, pas plus que tant d’autres, auxquels je pense, n’était méchant. Mais il savait son « Lénine » par cœur : « Avec les démocrates, nous sommes démocrates, il faut savoir user des circonstances. Mais le but reste, et il est sacré, et quand il le faudra, pan ! – Mais, enfin, vous ne pouvez contester qu’ils ont changé ! – Eh, bien entendu qu’ils ont changé et continuent de changer, conformément à leur doctrine. Jusqu’à l’arrivée au but. Et alors, pan ! voir ce qui se passe là où le but est atteint. Et ne jamais oublier le visage féroce et triomphant de M. Marchais, clamant de Moscou, sur nos écrans, au moment de l’invasion de l’Afghanistan, « qu’enfin les relations de forces étaient retournées. »7 C’était, à vrai dire, très prématuré, comme on le vit bientôt et surtout l’été dernier, quand Israël montra quelques-uns des derniers engins de la guerre moderne auxquels les Russes ne sont pas en mesure de se frotter. M. Marchais s’est gouré ce jour-là, si l’on me permet le mot, mais là n’est pas la question. Le fait important c’est sa triomphante sincérité – « Enfin, fini de ces faux-semblants qui nous étouffent (car il est étouffant de toujours feindre), les relations de forces nous permettent enfin de redevenir nous-mêmes ! Pan » Pan ? Il est vrai qu’un peu partout dans le monde, on en est là. Mais enfin, l’os, c’est l’Occident. C’est aussi le monde arabe, le Japon, le Sud-Est asiatique. Et cette fichue Pologne que rien, sauf Dieu, ne met à genoux. Ah, que l’Histoire est rebelle. Aimé MICHEL Chronique n° 371 parue dans F.C.-E.– N° 1886 – 4 février 1983 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 6 juillet 2015

 

  1. Les « Francs-Tireurs et Partisans » (F.T.P.), dont le nom évoque les francs-tireurs de 1870 (volontaires qui défendaient Paris en attaquant les soldats allemands isolés) et les partisans soviétiques (qui visaient à désorganiser les arrières de de l’armée allemande), ont été créés au printemps 1942. Ils prennent la suite de groupes de combat créés par le Parti communiste français à l’été 1941, après qu’il ait reçu l’ordre de Moscou de lancer la lutte armée contre l’occupant. Le 20 juin 1941 encore l’Humanité condamnait tant les « traîtres de Vichy » que le mouvement « réactionnaire et colonialiste » de la France Libre de de Gaulle. Le changement s’est produit à partir du 22 juin, après qu’Hitler eut lancé son opération Barbarossa d’attaque surprise de l’URSS ce qui rompt le Pacte germano-soviétique et prend Staline par surprise (voir la chronique n° 368, Les maquilleurs de l’histoire – Le Pacte Germano-Soviétique, 25.05.2015). Charles Tillon (1897-1993), résistant de la première heure, syndicaliste, député et membre du Bureau politique du P.C.F. prend la direction des F.T.P. et définit leur tactique de guérilla. Toutefois, la résistance communiste n’a pas de lien avec Londres et elle gardera son indépendance jusqu’à la fin. Dans la nuit du 1er janvier 1942, Jean Moulin est parachuté en France avec le titre de « représentant personnel du général de Gaulle ». Il réussit à unifier une partie des mouvements de résistance. A la différence des F.T.P. qui préconisent la guérilla, le Mouvement uni de la résistance (M.U.R.) et l’Organisation de résistance de l’armée (O.R.A.) préféraient fournir des renseignements aux Alliés et aux Forces françaises libres. En dépit des divergences de vue et des méfiances réciproque, le Conseil national de la résistance (C.N.R.) est créé et sa première réunion, le 27 mai 1943, rue du Four à Paris, est présidée par Jean Moulin. Y sont représentés huit mouvements de résistance, les partis politiques et les syndicats ; ils reconnaissent le général de Gaulle comme chef. Le 3 juin naît le Comité français de libération nationale (C.F.L.N.) coprésidé par de Gaulle et (peu de temps) le général Giraud. En août les Alliés reconnaissent le C.F.L.N. comme seul représentant de la France au combat. Le 1er février 1944, l’Armée secrète et les F.T.P. se regroupent pour former les Forces françaises de l’intérieur (F.F.I.). Le 2 juin 1944, le C.F.L.N. prend le nom de Gouvernement provisoire de la République française (G.P.R.F.). Cette structure politique fédère toutes les forces résistantes.
  2. Ce pistolet-mitrailleur anglais, rustique, léger et de faible coût, fut fabriqué à près de 4 millions d’exemplaires de 1941 à 1945. Deux cent mille exemplaires en ont été parachutés aux mouvements de résistance français après le débarquement de Normandie. Cependant, les Anglais n’ont pas tiré tout le parti possible de ces mouvements car ils s’en méfiaient.
  3. La plupart des tentatives d’engagements se sont traduites par des pertes importantes : au plateau des Glières en février-mars 1944 (500 maquisards aux prises avec 40 000 soldats allemands), au mont Mouchet en juin 1944 (3 000 résistants), dans le massif du Vercors de juin à août 1944 (3 500 résistants dont 750 sont tués). Les représailles allemandes sont sanglantes (Argentan, Mussidon, Gourdon, Tulle, Oradour). L’insurrection de Paris déclenchée le 19 août est sauvée par l’entrée des chars de Leclerc le 24. L’Allemagne de 1940 est bien différente de la France. Elle est plus peuplée et sa population croît plus vite : elle est passée de 57 millions en 1920 à 65 en 1930 (+14 %) alors que dans le même temps celle de la France n’est passée que de 38,9 millions (1920) à 41,3 (1930), soit une progression moitié moindre (6,2 %). Surtout l’Allemagne est à bien des égards plus développée en termes de niveau de formation, d’équipement, d’industrialisation ; elle « s’américanise » notent les observateurs qui relèvent l’essor de la rationalisation, du travail à la chaîne, de la standardisation, de la concentration industrielle. Ce développement se voit à son degré d’urbanisation : en 1925 déjà 64 % de la population est urbaine contre 49 % en France, qui n’atteindra le niveau de 64 % qu’en 1962, presque 40 ans plus tard. Le résultat c’est cette « puissance allemande dans le fond des vallées, les chars, les canons, tout ce qui rend le courage vain » ; c’est l’irruption de la modernité sous sa forme la plus sombre dans un monde encore rural. La fascination trouble qu’elle continue d’exercer est analysée par Bertrand Méheust dans les premières pages de La nostalgie de l’Occupation (La Découverte, Paris, 2012).
  4. Konrad Lorenz (1903-1989), l’homme qui « parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons » (c’est le titre d’un de ses livres de vulgarisation les plus connus, Flammarion, Paris, 1968), bien qu’il ait servi comme neurologue dans l’armée allemande pendant la guerre et passé une grande partie de sa vie en Allemagne, était né en Moravie, alors province de l’empire austro-hongrois, et était retourné à Vienne pour finir ses jours.
  5. Sur le massacre des officiers polonais à Katyn voir la chronique n° 368, Les maquilleurs de l’histoire – Le Pacte Germano-Soviétique (25.05.2015).
  6. Rudolf Salzmann dit Slansky (1901-1952) est nommé secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque (P.C.T.) en 1945. En 1948, Staline et le Kominform critiquent les orientations prises par le Parti communiste yougoslave. Tito, son secrétaire général, refuse de s’incliner, ce qui déclenche une chasse aux « titistes » dans les autres pays communistes, d’autant que la crise économique incite à trouver des coupables au plus haut niveau possible. Slansky s’en charge en Tchécoslovaquie. Avec l’aide de conseillers soviétiques et hongrois il crée une structure policière pour traquer les agents titistes infiltrés dans le Parti et dans l’État. En 1950 il fait arrêter Vladimir Clementis et l’année suivante Artur London, respectivement ministre et vice-ministre des Affaires étrangères. Il est alors loin de se douter que le mécanisme qu’il vient d’enclencher va se retourner contre lui. En juillet 1951, Staline convainc Gottwald, le président du P.C.T., de la culpabilité de Slansky alors même que celui-ci fête son 50e anniversaire et reçoit l’Ordre du Socialisme « pour ses mérites exceptionnels dans l’édification victorieuse du socialisme dans la République tchécoslovaque » ! Il fait son autocritique et est démis de ses fonctions en septembre mais encore nommé vice-président du conseil. En novembre, il est accusé avec treize autres dirigeants de haut rang, dont London, d’activités sionistes (il est d’origine juive ainsi que dix autres inculpés) et emprisonné. Tous avouent avoir conspiré pour un retour au capitalisme, trahi l’Etat, saboté le plan. Avec dix autres accusés, il est condamné à mort en novembre 1952 et pendu six jours plus tard. Ainsi se termine le plus grand et le plus spectaculaire de la série de procès de l’ère stalinienne dont le premier eut lieu à Moscou en 1936 et le dernier se solda par une exécution à Prague en 1954. Toutefois, comme les autres, le procès Slansky n’est que la pointe émergée de l’iceberg : dans le même temps 20 à 25 % des membres du P.C.T. sont épurés et une centaine de milliers de Tchécoslovaques arrêtés et condamnés avec ou sans procès. Slansky et les autres étaient-il coupables ? En avril 1963, le Comité central du P.C.T. affirme que le réseau de conspiration qu’il était censé diriger « n’avait jamais existé », que c’était « une invention des services de sécurité » et que les condamnations devaient être considérées comme « illégales et injustifiées ». Mais pourquoi alors ont-ils avoué ? La réponse à cette troublante question est déjà connue des lecteurs du premier roman d’Arthur Koestler, Le Zéro et l’Infini (Darkness at noon), paru en 1940 (voir la chronique n° 372, Prière pour Arthur Koestler – Prends, ô Père, sa main tendue qui n’a pas su te trouver, 02.03.2015), mais il faut attendre la parution du témoignage d’Artur London, L’Aveu. Dans l’engrenage du procès de Prague (Gallimard, Paris, 1968) et son adaptation au cinéma par Costa-Gavras et Jorge Semprun, pour qu’elle atteigne le grand public. London, qui a été condamné à la prison à vie puis libéré en 1956, avant de gagner la France en 1963 (sa femme est française), y fait le récit circonstancié des pressions, supplices et manipulations qui lui ont imposé l’aveu de ses crimes imaginaires. Le livre et le film soutenus par l’éloquence d’Yves Montand (qui joue le rôle de London dans le film) connurent un succès considérable qui marqua la vie politique et culturelle française. Un tableau d’ensemble de ces procès, de leurs méthodes et de leurs possibles raisons d’être est fourni par Annie Kriegel, ex-militante du Parti communiste, professeur à l’université Paris X-Nanterre (Les grands procès dans les systèmes communistes, Gallimard, Paris, 1972). Limitons nous à quelques notes sur les méthodes. Les techniques psychologiques (changement de poste, privation de responsabilités, filatures, perquisitions, arrestations de proches) appliquées pendant des mois visent à créer un sentiment d’angoisse croissant pour que « la future proie en vienne à désirer une issue, fût-elle funeste », si bien que l’arrestation finale est accueillie avec soulagement. En prison, la dignité du détenu est brisée ; ses proches, sa famille même l’abandonnent. Les supplices incluent le cachot disciplinaire (si étroit qu’on ne peut s’y allonger), le « ressemelage » (coups sur la plante du pied nu), l’éblouissement par un puissant projecteur, l’usage de l’eau, de l’électricité, peut-être de la drogue, mais surtout la privation de sommeil : « J’ai connu les camps de concentration nazis, et les pires (…), écrit Artur London. Mais les injures, les menaces, les coups, la faim, la soif, sont jeux d’enfants à côté du manque organisé de sommeil, ce supplice infernal qui vide l’homme de toute pensée, ne faisant de lui qu’un animal dominé par son instinct de conservation ». La plupart, dont le paysage mental est totalement limité au système d’idées communistes, craquent et avouent. Seuls peuvent résister ceux qui ont conservé « des principes et des valeurs exogènes » (culturelles ou religieuses) et qui en les réactivant retrouvent, sinon l’espoir du moins une autonomie intellectuelle. Pour une analyse plus approfondie on pourra se reporter aux deux livres cités et à ceux d’Alain Besançon, ancien communiste lui aussi (voir la chronique n° 339, Utopiste qui veut faire mon bonheur, t’es-tu regardé dans un miroir ? – Comment l’illusion de savoir mua la philanthropie marxiste en son contraire, 10.11.2014).
  7. Georges Marchais, premier secrétaire du P.C.F., a tenu ces propos à Moscou le 11 janvier 1980 devant les caméras de TF1 lors d’une interview télévisée de trois quarts d’heure. Il approuvait ainsi de manière spectaculaire et volontairement agressive l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques qui venait d’avoir lieu deux semaines auparavant. On peut s’interroger sur les raisons de cette décision du P.C.F. (on en trouvera une analyse de l’époque qui ne manque pas de pertinence dans http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1978-1986/article/marchais-aux-cotes-de-l-urss-les) ; insistons plutôt sur les évènements d’Afghanistan aux conséquences multiples et imprévisibles dont les effets se poursuivent jusqu’à nos jours. Le 27 avril 1978, un coup d’état communiste a lieu à Kaboul. Il est suivi de réformes (alphabétisation, droit des femmes, collectivisation, bureaucratisation, militarisation, athéisme d’état, répression), qui sont mal acceptées par la population musulmane. L’Afghanistan est un pays pauvre, essentiellement agricole, d’une quinzaine de millions d’habitants et « une marqueterie de peuples qui ne vivent ensemble que pour des raisons de proximité géographique ». La révolution provoque l’exode de 110 000 personnes au Pakistan, une forte résistance passive de la population puis des actions de guérilla. Le 14 septembre, le président afghan, prosoviétique convaincu, est assassiné par un concurrent communiste mais qui souhaite s’éloigner de Moscou. Pour cette raison, mais aussi parce qu’il craint que la Révolution iranienne ne se propage dans les républiques asiatiques de l’URSS, Léonide Brejnev décide d’envahir l’Afghanistan. L’intervention soviétique commence le 25 décembre 1979 à 3 heures du matin. Condamnée par l’ONU le 14 janvier, elle sonne le glas de la détente et ouvre une période de méfiance entre les deux Grands qui sera marquée par leur boycottage mutuel des jeux Olympiques de Moscou, en 1980, et de Los Angeles, en 1984. La résistance afghane s’organise aidée par la désertion d’une grande partie de l’armée afghane, les volontaires venus de nombreux pays musulmans et la CIA. Le Pakistan sert de base arrière. Environ 100 000 soldats soviétiques sont présents sur le terrain mais ils ne tiennent que les grandes villes et zones économiques (20 % du pays) et peinent à maintenir leurs lignes de communication. Trois millions d’Afghans se réfugient dans les villes, au Pakistan et en Iran. Le commandant Massoud s’illustre dans la vallée du Panshir en résistant à cinq offensives. De lourdes pertes des deux côtés conduisent à des négociations en janvier 1983 mais la trêve ne dure pas. Le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, ce qui ouvre une nouvelle phase du conflit. En 1986, Babrak Karmal est remplacé à la tête de l’état afghan par Mohamed Najibullah qui souhaite négocier avec la résistance. Les Soviétiques adaptent leur matériel en recourant davantage aux hélicoptères, mais les missiles Stinger livrés par les Américains à la résistance leur infligent de lourdes pertes à partir de 1986. En 1987, les Soviétiques renoncent au combat. L’armée afghane, bien équipée mais peu fiable est censée prendre le relai. Le 14 avril 1988, un accord sur le retrait militaire soviétique est signé à Genève par l’Afghanistan, le Pakistan, l’U.R.S.S. et les États-Unis, en présence du secrétaire général de l’O.N.U. Une offensive contre Massoud a encore lieu en janvier 1989 mais le 15 février le retrait soviétique est complet. La chute de Najibullah n’a lieu que le 16 avril 1992. Cette longue survie du régime s’explique par des conflits d’origine ethnique au sein de la résistance afghane et par le maintien de l’aide soviétique jusqu’au coup d’État manqué d’août 1991 à Moscou. Le communisme disparaît alors en Afghanistan comme il avait disparu quelques mois plus tôt en URSS. Une autre période s’ouvre où les conflits internes prennent le relai de la lutte antisoviétique. Les talibans, « étudiants en religion » puritains politisés depuis 1994, prennent de l’importance. Commandés par le mollah Omar et soutenus par l’Arabie saoudite et le Pakistan, ils repoussent les moudjahidines de Massoud, prennent le pouvoir et instaurent la charia. L’Afghanistan devient un camp d’entraînement de djihadistes. La suite est dans toute les mémoires…