NÉANDERTAL OU LA FIN D’UN ROBUSTE GAILLARD - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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NÉANDERTAL OU LA FIN D’UN ROBUSTE GAILLARD

Chronique n° 350 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1831 -15 Janvier 1982

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L’homme de Néandertal a disparu de la chaîne évolutive. Aimé Michel se demande ici pourquoi ce « robuste gaillard » a été supplanté. Question de cerveau différent, de pensée différente. Promesse d’une destinée supérieure. Le premier événement mystérieux que l’on rencontre en remontant les millénaires est la disparition de l’homme de Néandertal (Homo sapiens Neandertal, H.S.N.), il y a environ 30 000 ans. Mystérieux, car HSN n’est pas dans notre ascendance. Les paléontologistes ont donné à notre ascendance et à nous-mêmes le nom d’Homo sapiens sapiens (HSS), pour bien marquer qu’il y eut deux lignées d’Homo sapiens dont l’une s’est éteinte. HSN était bien « sapiens » : pendant les dizaines de millénaires de sa coexistence avec HSS, il a pratiqué à peu près les mêmes techniques que lui (taille de la pierre, etc.). Il a souvent enseveli ses morts, pieusement, jonchant de fleurs leur fosse, y déposant des cadeaux pour Grand Voyage1. Et l’on a découvert récemment que, peu de millénaires avant de s’éteindre, il a su léguer une trace de ses préoccupations spirituelles en créant des œuvres d’art 2. Le lecteur pensera peut-être que l’Homme de Tasmanie aussi a disparu (voir Tasmanien dans le dictionnaire), que bien des peuples ont disparu, qu’il n’y a là nul mystère, que c’est une des tragiques banalités de notre destin3. Mais tous ces peuples qui ont disparu, y compris les Tasmaniens, étaient des HSS. Ils avaient le même cerveau que nous, le même corps. Aussi divers que les hommes actuels puissent nous paraître (pensons à un Chinois, à un pygmée, à un Scandinave). Il y a moins de différence entre eux qu’entre n’importe lequel et un Néandertal (HSN). En préhistoire, comme souvent en d’autres sciences, certains grands progrès se produisent quand on découvre que ce que l’on croyait savoir, en réalité on ne le savait pas. Par exemple, on a cru la terre plate, on a cru qu’elle était le centre du monde, etc. Chaque fois que l’on découvre une de ces ignorances jusque-là insoupçonnées, sa découverte est aussi celle d’un problème philosophique jusque-là caché par une illusion. L’homme a toujours vécu ainsi dans un théâtre d’illusions qui, l’une après l’autre, se dissipent. Je suis enclin à voir dans ce cocon d’illusions où a grandi l’humanité, et où elle continue de s’avancer, une précaution bienveillante de la Providence qui ménage notre faiblesse et ne nous laisse voir la vérité qu’à mesure que nous devenons capables de la supporter, « car si tu voyais Ma Face, tu mourrais »4. D’un cerveau à l’autre : l’avant et l’arrière L’existence d’une autre humanité dans le passé de la nôtre est une de ces vérités difficiles à affronter. Non, certes, du point de vue de la Bible qui ne nous enseigne que sur la descendance adamique5 et qui, d’ailleurs, fait allusion à des temps anciens où existaient des héros et des « géants », mot ne s’appliquant certainement pas à l’humanité ordinaire6. C’est la signification philosophique d’une humanité autre qui incite à la réflexion et qui même déroute certaines fausses évidences. Pourquoi HSN a-t-il disparu ? Physiquement, c’était un robuste gaillard, plus lourd, plus fortement charpenté, plus musclé que nous. Son cerveau lui-même était plus volumineux que le nôtre : au lieu de notre moyenne de 1 350 centimètres cubes, le spécimen HSN du Mont Circé en Italie, fait 1 550 c.c., celui de la Chapelle-aux-Saints en Corrèze 1 625 c.c., celui de la Ferrassie en Dordogne 1 690 c.c. (a)7. Mais ce cerveau plus volumineux montre une disposition différente. Comme on le sait, nous avons en réalité deux cerveaux, le gauche et le droit, qui sont chacun sensiblement l’image inversée de l’autre. Chacun de ces deux cerveaux sert notre vie psychique de façon très différente du point de vue de la relation au monde extérieur, mais les fonctions assumées sont à peu près les mêmes côté droit et côté gauche8. Il en va très différemment de la moitié avant et de la moitié arrière, séparées chez nous comme chez HSN par une fente transversale bien marquée appelée Scissure de Rolando : à l’avant sont les aires motrices volontaires, à l’arrière les aires sensorielles. Les parties les plus intéressantes du cerveau sont évidemment celles dont la destruction supprime les activités supérieures de la pensée et du langage. Elles sont réparties de part et d’autre de la Scissure de Rolando, et même, vers l’arrière, au-delà d’une autre scissure dite de Sylvius. Leurs fonctions sont très spécialisées, et c’est ici que le cerveau néandertalien se différencie le plus profondément du nôtre : notre cerveau est plus volumineux que le sien à l’avant (le « front »), mais le sien est énormément plus développé à l’arrière. Des comportements plus diversifiés Non moins frappante est la disposition des vaisseaux méningés dont les spécialistes ont fait d’admirables moulages (b). Ces vaisseaux, par leur importance relative, nous permettent de voir quelles parties du cerveau sont le plus abondamment irriguées. Or, ils sont si différents chez HSN qu’en dehors des veines principales on a peine à trouver une ressemblance. La partie frontale est presque déserte, alors qu’en arrière du front le réseau veineux est très serré9. À partir de ces profondes différences, il serait aventureux de vouloir déduire la nature propre du psychisme néandertalien. Cependant, on peut avancer – sans préciser davantage – que les activités volontaires occupent plus de place dans notre cerveau, alors que la vision, l’audition, l’odorat, les sens en général, avec sans doute ce que les sens sous-entendent de conceptualisation chez l’homme, occupent plus de place (vraiment beaucoup plus) dans le cerveau d’HSN10. Le seul fait certain est pour l’instant celui-ci : avec un corps plus robuste que le nôtre et un cerveau plus volumineux, mais approprié à une pensée différente, l’Homme de Néandertal a été supplanté par HSS. C’est cette pensée différente qui a fait la différence et désigné le vaincu puisqu’ils habitaient les mêmes régions, au moins vers la fin. Il semble que notre lignée ait fait preuve d’une plus grande adaptabilité sociale. Les fouilles sur les sites où a vécu HSN ne montrent pas cette extraordinaire variété que nous décrit l’ethnographie des peuples historiques. Peut-être (ce n’est qu’un thème de réflexion) les mœurs d’HSN étaient-elles plus liées à l’hérédité. Peut-être le développement de notre cerveau antérieur a-t-il permis à nos ancêtres de diversifier certains comportements sociaux jusque-là plus instinctifs. L’homme moderne peut imaginer cette libération (ou n’importe quelle autre) en réfléchissant aux instincts auxquels lui-même reste encore soumis, pour son malheur11. Ferait-il longtemps le poids en face d’un être nouveau qui serait libéré ? « La vérité vous rendra libres ». Ceci est bien la promesse d’une destinée supérieure… Aimé MICHEL (a) Yves Coppens : Le cerveau des hommes fossiles. (b) Yves Coppens, pp. 13 et 14. (c) L’homme de Néandertal pose encore d’autres problèmes dont je parlerai dans le prochain article. Chronique n° 350 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1831 -15 Janvier 1982
[|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|] Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 6 juin 2016

 

  1. Sur les sépultures néandertaliennes, voir la note 10 de la chronique n° 260, Le deuxième homme – L’homme de Neandertal (18.05.2015). Rappelons que l’homme de Neandertal existe depuis 400 000 ans et l’homme actuel depuis 200 000 ans. Les deux espèces ont cohabité pendant une quinzaine de milliers d’années entre −45 000 et −30 000 ans, voir la chronique n° 333, Avant d’être des hommes qui étions-nous ? – Ou comment la science progresse par de longs débats contradictoires, 28.0.3.2016. L’orthographe correcte en allemand moderne est Neandertal mais l’attachement des auteurs de langue anglaise à l’orthographe ancienne Neanderthal (car ils prononcent le th) explique sa perpétuation.
  2. La création d’ « œuvres d’art » par les néandertaliens a été longtemps un sujet de controverses. Dans son livre Neanderthal. Une autre humanité (coll. Tempus n° 239, Perrin, 2008), Marylène Patou-Mathis du département Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, écrivait en 2008 : « L’hypothèse que Neanderthal ait pu réaliser des “œuvres d’artˮ suscite de vifs débats au sein de la communauté scientifique. Pour de nombreux préhistoriens, seuls les hommes modernes du Paléolithique supérieur furent des “artistesˮ. En l’absence de preuves archéologiques évidentes, on ne peut pas affirmer que Neanderthal en était un, mais, l’absence n’étant pas une preuve, on ne peut pas non plus exclure cette hypothèse. De plus, tout comme Neanderthal, entre 100 000 et 40 000 ans, les Homo sapiens d’Afrique et du Proche-Orient ont eu peu de comportements symboliques ou artistiques. » (p. 153). Ce jugement prudent vient d’être confirmé par l’étonnante datation de constructions découvertes dans une grotte de la vallée de l’Aveyron à Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Cette grotte est découverte en 1990 par un jeune spéléologue et ses curieux petits enclos circulaires formés de l’accumulation de centaines de stalagmites, situés à 300 mètres de l’entrée, sont décrits par François Rouzaud dans une revue de spéléologie en 1995. Une première tentative de datation par le carbone 14 à partir d’os brûlés (ayant vraisemblablement servi à l’éclairage de la grotte) donne alors une ancienneté de plus de 40 000 ans, soit au-delà des possibilités de cette méthode. Mais, après la mort prématurée de François Rouzaud en 1999, la grotte demeure fermée. Il faut attendre 2011 pour que Sophie Verheyden de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, fort intriguée par ces structures circulaires, s’efforce d’obtenir une datation plus précise par une méthode mieux adaptée. Elle fait appel à deux scientifiques du CNRS, Jacques Jaubert de Bordeaux et Dominique Genty de Gif-sur-Yvette. Les trois chercheurs s’adressent au spécialiste sino-américain de la méthode uranium-thorium, Hai Cheng, qui date les échantillons à 176 500 ± 2100 ans. C’est la stupéfaction car c’est très antérieur aux grottes de Lascaux (22 000 ans) et de Chauvet (36 000 ans) et à cette lointaine époque seuls des Néandertaliens pouvaient avoir réalisé ces constructions. Au total vingt chercheurs les étudient ; ils viennent de publier leurs conclusions le 26 mai dernier dans la revue Nature (vol. 534, pp. 111-114). « Nous avons été stupéfaits par cette découverte, commente Jacques Jaubert. L’appropriation du monde souterrain par Neandertal est vraiment quelque chose de nouveau. D’autant que les structures de la grotte de Bruniquel ont nécessité selon toute vraisemblance une organisation complexe, avec la sélection des matériaux, leur transport, leur calibrage, leur agencement. Sans parler de l’indispensable maîtrise de l’éclairage lors des travaux. » Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig, est moins confiant : « C’est une découverte unique en son genre, même si je ne suis pas certain qu’elle nous en dise beaucoup sur les compétences sociales des Néandertaliens » (http://www.lemonde.fr/archeologie/article/2016/05/25/140-000-ans-avant-homo-sapiens-neandertal-s-etait-approprie-le-monde-souterrain_4926458_1650751.html#RL1zZLVPdG1Yb1W1.99). Attendons la suite, car les travaux dans la grotte de Bruniquel ne font que commencer.
  3. Quand les Anglais s’établissent en Tasmanie en 1803, la population aborigène, de 3 à 4 000 personnes seulement, vit de la chasse et de la pêche. Les observateurs signalent la condition très dure des femmes. En 1806 l’île devient un lieu de déportation. Le bagne fournit de futurs colons mais aussi des « bushrangers », bagnards évadés ou libérés qui vivent de rapines ; ils créent un climat de violence qui rend la vie des colons d’autant plus dure que la nature est hostile et étrangère. Les aborigènes sont traités avec une brutalité féroce par les chasseurs de phoques qui les considèrent comme des sauvages inutiles et malfaisants dont il faut se débarrasser. Le génocide des Tasmaniens aboutit à leur disparition complète : leurs deux derniers représentants meurent, l’un William Lannee en 1867 et l’autre, la vieille femme Truganini, en 1876, sans laisser de postérité. Le squelette de Truganini a été longtemps exposé au Tasmanian Museum, à Hobart, avant que ses dernières volontés soient respectées et qu’un siècle après sa mort, en mai 1976, ses ossements rejoignent enfin l’océan. Parallèlement, en quelques décennies, la faune et la flore, jusque-là respectées par les aborigènes, subissent des dégradations importantes, l’une des dernières en date et des plus regrettables étant la disparition du loup de Tasmanie. (Voir http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1995_num_82_308_3365_t1_0374_0000_1 ; http://www.jstor.org/stable/25158739?seq=1#page_scan_tab_contents ; http://www.cairn.info/histoire-de-femmes-aborigenes–9782130552666-page-IX.htm). Les mêmes drames se sont produits ailleurs dans le monde lors de l’expansion européenne. Mais ce n’est nullement une caractéristique de celle-ci : de nombreux autres génocides sont connus qui ont été commis par de non-Européens.
  4. Aimé Michel donne ici un des sens possibles de la mystérieuse parole adressée à Moïse « Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Exode, 33, 20). Que l’homme ait toujours vécu « dans un théâtre d’illusions qui, l’une après l’autre, se dissipent » est ce qu’enseigne l’histoire des idées. Mais si Aimé Michel souligne cet enseignement de l’Histoire c’est pour mieux faire sentir au lecteur actuel que sa situation vis-à-vis de ce qu’il ignore et qui sera découvert (ou non) dans les siècles à venir n’est pas meilleure. Nous sommes bien entendu totalement inconscients de ces ignorances et par conséquent des problèmes qu’elles masquent. L’humanité découvre progressivement, difficilement, inégalement selon les individus et les cultures, l’univers immense dans lequel elle est engloutie. Il est heureux que ce dévoilement soit progressif car sinon on pourrait craindre que l’humanité sombre dans l’impuissance et le désespoir. Comme Aimé Michel l’écrivait dans un contexte proche : « À qui médite, il arrive de se demander si nous ne sommes pas en train de traverser en direction des ténèbres une sorte de seconde zone du paradis perdu vers une nouvelle malédiction. (…) L’humanité vit les dernières pages de son Grand Meaulnes. » (Chronique n° 2, L’eugénisme ou l’Apocalypse molle, 27.07.2009 ; rappelons à ce propos qu’apocalypse en grec signifie dévoilement ; voir aussi la chronique n° 190, Avortement et biologie – Les effrayantes perspectives ouvertes par les progrès de la biologie, 11.07.2011).
  5. Jean Guitton s’explique à ce sujet dans un chapitre de ses Dialogues avec Monsieur Pouget sur la pluralité des Mondes, le Christ des Évangiles, l’Avenir de notre espèce (Grasset, Paris, 1954) que j’ai déjà longuement cité dans la note 2 de la chronique n° 296, L’espace silencieux – Les questions que pose l’absence de visiteurs extraterrestres (14.03.2016). Il reprend ce que lui disait déjà le père Pouget en ces termes : « Nous appartenons à l’humanité adamique. Mais n’y a-t-il pas eu d’autres humanités avant l’humanité d’Adam ? Le silence de la Bible ne prouve rien. On ne nie pas ce qu’on ne dit pas. Relisez l’Exode : vous avez l’impression que les Hébreux sont les seuls que le Pharaon persécute et qu’il exile. Nous savons maintenant que le Pharaon persécutait et qu’il chassait à l’occasion les communautés captives, qui étaient nombreuses alors en Égypte. La Genèse dans son commencement très général, ne s’occupe que de l’humanité issue d’Adam. Après, l’Ancien Testament ne traite que d’Israël. La révélation ne nous a pas été donnée pour satisfaire notre esprit curieux de tout savoir, mais pour nous guider dans les voies de la vie. » (p. 52).
  6. Au début du chapitre 6 de la Genèse on peut lire ces passages : « Quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face du sol, et qu’il leur fut né des filles, les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils prirent pour femmes toutes celles qui leur plurent. (…) Il y eut des géants sur la terre en ce temps-là, et aussi depuis lors, quand les fils de Dieu s’approchant des filles des hommes en ont eu des enfants : ce sont les héros fameux du temps jadis. » Le chanoine Crampon, auquel j’emprunte cette traduction, ajoute en note « Le récit est obscur. L’expression fils de Dieu désigne habituellement, dans l’A.T., des êtres supraterrestres vivant dans l’entourage de Dieu. » Cet « habituellement » s’applique-t-il ici aussi ? Peut-être pas, ce qui renvoie aux intrigantes idées de Paul Misraki, voir la note 6 de la chronique n° 377, Misraki–Samivel : La musique des âmes et celle des cimes – Un musicien hanté par les Autres Mondes, 21.03.2016.
  7. Cependant, lorsque la masse du corps est prise en compte, on peut montrer que le quotient d’encéphalisation est plus élevé chez les H. sapiens récents. Chez ces derniers la taille du cerveau est plus petite mais celle du corps encore plus, en proportion (Ruff C.B., Trinkaus E., Holliday T.W., Body mass and encephalization in Pleistocene Homo, Nature, 387, 173-176, 1997). « La capacité cérébrale de Neanderthal est importante, de 1245 à 1750 centimètres cubes (1520 en moyenne), mais, rapportée à sa masse corporelle, elle est proche de la nôtre. Le crâne de Neanderthal, en forme de bombe, est notablement différent de celui de l’homme actuel. Ovale, il est allongé d’avant en arrière et aplati car la voûte crânienne est basse, platycéphale, et les temporaux également bas et longs. À l’arrière, la présence d’un “chignonˮ occipital accentue cet allongement et donne une forme très ovale de l’arrière-crâne qui possède également une petite fossette très caractéristique. En outre, de chaque côté, au niveau des pariétaux, il y a deux bosses relativement marquées. » (M. Patou-Mathis, op. cit., p. 51-52).
  8. Les différences entre hémisphères droit et gauche chez l’homme font l’objet de la chronique n° 25, Le cerveau et l`énigme du « je » (29.06.2009) et de la note 4 de la chronique n° 26, Propédeutique à la névrose (07.06.2010). Toutefois, l’hémisphère gauche est dit dominant parce qu’il possède les centres du langage (aires de Wernicke et de Broca) et est donc le seul à pouvoir s’exprimer de cette façon. Les Néanderthaliens avaient dans de nombreux cas un humérus droit plus fort que l’humérus gauche, ce qui montre que la latéralité, c’est-à-dire une préférence pour l’une des deux mains, existait déjà chez eux. En outre, les spécialistes de la taille des outils lithiques ont confirmé que les gauchers étaient rares. C’est un caractère, à déterminisme partiellement génétique, qui manifeste une asymétrie fonctionnelle des hémisphères cérébraux. (M. Patou-Mathis, op. cit., p. 54, qui cite les travaux de Jean Piveteau). Notons que les chimpanzés ne sont pas latéralisés : ils sont ambidextres (p. 272).
  9. Plusieurs travaux de chercheurs de l’Institut Max Planck d’Anthropologie évolutive (Leipzig, Allemagne) ont apporté des données nouvelles sur le cerveau des néanderthaliens et ses différences avec celui de l’homme actuel. Ils sont mis en perspectives dans un article récent de J.-J. Hublin, S. Neubauer et P. Gunz, tous trois de cet institut (Brain ontogeny and life history in Pleistocene hominins, Phil. Trans. R. Soc. B, 370, 20140062, 2015). Ils montrent que l’ontogenèse des quatre espèces d’homininés les mieux connues (Australopithecus, H. erectus, H. neanderthalensis et H. sapiens) présente des différences qui ne peuvent pas se décrire comme des étapes d’une évolution linéaire. Comme le cerveau ne se fossilise pas, les paléontologues examinent son empreinte sur l’os de la boîte crânienne grâce aux moulages endocrâniens. Depuis quelques années, en plus des moulages naturels ou fabriqués (en plâtre ou en latex), ils utilisent des moulages virtuels à l’aide de scanneurs tomographiques à haute résolution et de programmes informatiques de reconstruction à trois dimensions. Ce sont ces méthodes que les chercheurs de Leipzig ont utilisées pour analyser statistiquement les caractéristiques de crânes de Néandertaliens et d’Homo sapiens d’âges divers, y compris un crâne de nouveau-né néandertalien, découvert en 1914 dans l’abri sous roche du Moustier, en Dordogne. (L’âge d’un individu fossile peut être aujourd’hui déterminé par l’examen de la structure microscopique de ses dents). La taille du cerveau des homininés n’a pu augmenter de façon aussi spectaculaire depuis 2 millions d’années qu’à la suite d’importantes améliorations de la qualité de la nourriture, de modifications dans l’usage de l’énergie disponible, des modes de développement et des stratégies de reproduction. Une particularité des humains vis-à-vis des autres primates est que le développement du cerveau a lieu surtout après la naissance : le cerveau à la naissance ne fait que 28% de la taille du cerveau adulte, d’où la grande dépendance des nouveaux nés à l’égard de leurs parents. Les néandertaliens ne sont pas différents de ce point de vue. Toutefois le développement postnatal diffère chez les deux espèces. Chez H. sapiens la boite crânienne d’abord allongée devient plus ronde avant l’apparition des dents de lait. Chez H. neandertalensis cette phase de « globularisation » manque, tandis que les dents de lait apparaissent plus tôt et que le cerveau se développe plus vite. Comme ces différences dans l’ontogénie du cerveau ont lieu durant une phase critique du développement cognitif, celle où les circuits neuronaux, clairsemés à la naissance, se complexifient durant la période post-natale, elles sont susceptibles d’avoir une grande incidence sur le comportement, les capacités cognitives et de communication. Chez les adultes, les différences entre les deux espèces se remarquent surtout dans les régions du cortex orbitofrontal, les aires pariétales et le cervelet qui peuvent être impliqués dans des tâches cognitives importantes pour H. sapiens.
  10. Ce développement plus grand de l’olfaction chez H. neandertalensis ne semble pas confirmé. En effet, les bulbes olfactifs, qui sont les premiers centres cérébraux de la voie olfactive, là où se terminent les axones issus des neurones de l’épithélium olfactif situé dans la cavité nasale, sont relativement plus grands chez H. sapiens (Bastir M. et coll., Evolution of the base of the brain in highly encephalized human species, Nat. Commun. 2, 588, 2011).
  11. Que Neandertal puisse avoir disparu parce que ses comportements étaient davantage que les nôtres dominés par des instincts est en bon accord avec l’idée que l’évolution de certaines lignées va dans le sens d’une liberté et d’une conscience croissantes, ce qui rejoint la note 4. Aimé Michel illustre également cette idée d’une part par notre ignorance du fonctionnement de notre propre corps (voir la chronique n° 376, Du bon usage de la baleine – Pourquoi je prends la mystérieuse baleine de Jonas comme on la conte, 04.05.2015) et d’autre part par la suggestion que le successeur de l’homme sera encore moins que lui soumis à des instincts, notamment sexuels (voir à ce propos http://www.aime-michel.fr/zut-au-zizi-ou-la-sexualite-depassee/).