L'ESPACE SILENCIEUX - France Catholique

L’ESPACE SILENCIEUX

L’ESPACE SILENCIEUX

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Les idées les plus simples sont aussi les plus longues à montrer leur simplicité. Ainsi l’explication du jour et de la nuit : que de millénaires avant Copernic ! Un enfant sait maintenant, avec deux oranges, faire voir comment cela se passe. Cette même lenteur à comprendre s’observe dans le fait (dont j’ai parlé dans de précédentes chroniques) que l’information mesurée dans un discours (ou un programme d’ordinateur) et l’organisation d’une structure vivante, sont une seule et même chose. Pour que cette connaissance pénètre les esprits et qu’on en comprenne le sens profond, il faudra beaucoup de temps. Pendant des dizaines d’années, et même pendant dix-huit siècles, si l’on remonte jusqu’à Aristarque, la rotation de la terre parut une idée absurde, irrationnelle. Ce devrait être le travail des philosophes d’examiner le rôle de l’idée d’information en science, d’en faire apparaître la limpidité, de réfléchir sur sa signification : un travail tout prêt servi, qui ne devrait pas attendre dix-huit siècles… Dans un précédent article (a)1, j’avais fait allusion à une autre idée aux infinis prolongements, née dans la science du dernier quart de siècle. Jusqu’ici un seul philosophe en France en a deviné la toute première importance. Il est vrai que c’est notre ami Jean Guitton, dont le génie propre excelle à porter les idées difficiles à leur maturation accélérée, ce qui je crois, relève du don de la prose. Cocteau disait que le langage est une science exacte. C’est sûrement vrai en français quand on sait écrire comme Guitton. Son plaisir, que l’on sent au plus haut point dans son Journal (b), est de se saisir d’une situation intellectuelle apparemment impénétrable, de trouver droit par où l’on y pénètre, d’en faire le tour en un clin d’œil et de nous en restituer tout aussitôt la vérité, si elle existe, ou un petit tas de cendres dans le cas contraire; avec cela toujours bien élevé, toujours cordial, même dans les cas d’incinération2. L’idée en question ici porte depuis Fontenelle le nom de « pluralité des mondes habités ». « Il va nous parler des ovnis » (objets volants non identifiés), pense peut-être le lecteur pressé. Non. Je ne nie pas que cette idée de la « pluralité des mondes » puisse avoir un rapport avec les ovnis, peut-être y a-t-il un rapport, mais c’est là une tout autre histoire3. S’il n’y avait que les ovnis, problème que j’ai suivi avec attention pendant plus de trente ans, la pluralité des mondes habités ne serait pas actuellement une pressante question posée par la science à la philosophie, puisqu’on n’a pas encore trouvé de méthode pour étudier scientifiquement les ovnis. Laissons donc les ovnis de côté et voyons ce que la science la plus académique nous dit sur la vie dans les autres mondes. Comme on va le voir, il ne s’agit pas, dans son principe, d’une idée difficile comme l’idée d’information, mais d’une réflexion sur les lois des grands nombres. Dans l’état actuel de la technique, et sans supposer la découverte d’aucun moyen nouveau, le voyage interstellaire est dès maintenant réalisable (c), contrairement à ce que presque tout le monde pensait jusqu’à une date récente (d). Ce qui a retourné les opinions négatives émises jusqu’ici est une idée très simple : c’est que tous les calculs précédents supposaient l’aller-retour. Or, plusieurs groupes de techniciens du Jet Propulsion Laboratory et de la Nasa, à la suite surtout des travaux d’une équipe de l’Université Cornell dirigée par le physicien Gerard K. O’Neill, se sont demandé à quoi l’hypothèse du non-retour entraînait. O’Neill et ses collaborateurs ont montré que la vie définitive dans l’espace, ou, sinon définitive, du moins se poursuivant pendant un nombre indéterminé de générations, est réalisable dès maintenant : il suffit de ne pas reculer devant le gigantisme technique. Les plans qu’ils proposent ressemblent à de la science-fiction, sauf sur l’essentiel : ce qu’ils proposent est à la portée de la technique actuelle et d’une économie mondiale libérée des dépenses militaires. Ces plans consisteraient à construire d’abord des petits mondes-satellites de quelques milliers de personnes se suffisant entièrement à eux-mêmes, c’est-à-dire produisant leur nourriture, puisant dans l’espace matières premières et énergie. Ces colonies humaines spatiales une fois mises au point pourraient s’éloigner du système solaire et se diriger vers l’une ou l’autre des étoiles voisines, qu’elles atteindraient en un laps de temps de l’ordre du siècle. Arrivées auprès de l’étoile choisie, elles pourraient, soit coloniser une de ses planètes s’il s’en trouve une d’habitable, soit se dédoubler ou plutôt se multiplier, et poursuivre leur route vers d’autres étoiles. O’Neill et ses disciples travaillent réellement aux plans de cette entreprise fantastique. Ils affirment d’ailleurs que la navette spatiale en cours de réalisation conduira en quelques décennies à la ville spatiale, puis à la suite de ce que je viens de décrire. On y viendra, disent-ils, par la logique des enchaînements techniques, chaque réalisation nouvelle justifiant l’intérêt de la suivante. Cela, disent-ils, coûtera beaucoup moins cher que par exemple, la dernière guerre mondiale4. Mais là n’est pas l’essentiel. Car de quoi s’agit-il jusqu’ici ? D’un rêve de techniciens, réalisable sans doute si l’on doit les croire, mais enfin d’un rêve. Deviendra-t-il réalité ? Nous n’en savons rien. Peut-être l’humanité se jettera-t-elle dans une nouvelle guerre ? Ou dans quoi encore d’imprévisible ? « L’avenir est à Dieu. » Le sens philosophique de ce rêve5 n’apparaît que si on le traite par les lois des grands nombres. Alors apparaissent des perspectives jamais envisagées par l’imagination humaine. En effet, disent les astronomes, l’univers tel que nous le comprenons depuis un quart de siècle est fait de milliards de systèmes solaires, chacun ayant ses planètes. D’autre part, la vie doit être apparue partout où se trouve un milieu favorable (c’est-à-dire aussi en des milliards de lieux) puisque les acides aminés, matériau fondamental de la vie, sont présents partout dans l’espace cosmique. Mais alors le calcul montre que si une seule espèce intelligente entreprend de réaliser le rêve dont O’Neill, Murray, Kuiper et leurs émules dressent les plans, l’occupation de la Galaxie tout entière par essaimage ne lui prendra qu’environ un million d’années6, ce qui n’est rien dans la vie d’une étoile. La conclusion, disent-ils, est simple : il n’existe pas une chance sur des milliards pour que tout cela n’ait pas été fait par au moins une espèce intelligente depuis des dizaines de millions de siècles. À moins que l’astronomie ne soit qu’une gigantesque erreur, la Galaxie est entièrement colonisée par des êtres intelligents depuis des temps plus anciens non seulement que l’homme, mais que la Terre elle-même, et la question que dès lors « ils » nous posent est : « Pourquoi ne se montrent-“ils” pas, puisqu’“ils” doivent être là ? » Je viens de résumer nombre de publications scientifiques américaines récentes dont le numéro de Science de mai dernier dresse une bibliographie déjà dépassée7. On m’annonce un autre article du Jet Propulsion Laboratory dans un prochain numéro de cette revue. Remarquons que l’on peut essayer de prendre ces spéculations à l’envers : on ne « les » voit pas (e), donc ils n’existent pas, puisque s’ils existaient ils devraient être là. Dans ce cas, en procédant à reculons, on est amené à jeter bas à peu près toute l’astronomie. Mais alors, où les astronomes se sont-ils trompés ? Dans l’un et l’autre cas, il faut réexaminer la situation de l’homme dans l’univers. Il me semble qu’il y a là matière à réfléchir. Aimé MICHEL (a) FcE, n° 1586 du 6 mai 1977. (b) Jean Guitton : Journal de ma vie (Desclée de Brouwer, 1976). Toutes les idées modernes ont retenu l’attention, souvent secrète, de Jean Guitton. Les quelques passages du Journal consacrés au problème que j’aborde ici en envisagent les aspects religieux. (c) Voir par exemple l’interview d’O’Neill publiée dans le New Scientist de juin 1977. (d) y compris moi-même… (e) Ici apparaît la question des ovnis. Chronique n° 296 parue dans F.C. – N° 1615 – 25 novembre 1977 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 14 mars 2016

 

  1. Il s’agit de la chronique n° 281, La porte étroite – Nous approchons du temps où l’homme devra changer son cœur ou disparaître, 29.02.2016.
  2. Michel et Guitton étaient amis, partageaient nombre d’interrogations et se vouaient une admiration réciproque. Il est question de bien des choses dans ce Journal de ma vie de Guitton – de l’évolution et de Freud, des machines à penser et de l’évangile de Jean, de visites de l’auteur à Paul VI et à Charles de Gaulle – mais je n’y ai rien trouvé sur la pluralité des mondes habités. Il est vrai que je n’ai compulsé que le tome 2, alors sans doute est-ce dans le tome 1 ? Par contre il en est brièvement question (un paragraphe ou deux) dans son Portrait de M. Pouget (Gallimard, Paris, 1941, p. 199) et beaucoup plus longuement dans ses Dialogues avec Monsieur Pouget sur la pluralité des Mondes, le Christ des Évangiles, l’Avenir de notre espèce (Grasset, Paris, 1954). Dans le premier de ces dialogues, Jean Guitton donne la parole à un anthropologue, agnostique ou athée. Ce « professeur au Collège » (de France, je suppose) brosse un tableau de l’univers décrit par la science dont il paraît douter qu’il puisse jamais s’accorder avec la conception chrétienne : « Lorsque nous parlons de relativité, de l’évolution, de la mécanique quantique, de l’expansion de l’univers, nous entrevoyons un univers qui n’a plus aucune ressemblance avec l’intelligence humaine. Et il me semble que pour vous, chrétiens, il s’agit de savoir si l’Incarnation conserve un sens dans ce Multivers, si j’ose dire, qui est indifférent à l’esprit humain plus encore peut-être qu’à l’amour divin, dans un monde où les lois du hasard l’emportent sur l’ordonnance, où l’ordre même semble résulter d’un accident improbable. (…) L’astronautique n’est plus une chimère. (…) Eh bien ! supposons qu’on puisse atterrir dans un astre et qu’on y découvre une autre forme de vie et de pensée. Que se passerait-il ? La religion de notre petite terre, que deviendrait-elle ? (…) À dire vrai, il me paraît peu probable, en donnant à ce mot son sens plein, que la Terre (…) soit le seul lieu habité par des pensants. Paul Claudel a dit qu’il avait perdu la foi à cause de la pluralité des mondes. Je l’excuse. Pascal sentait vaciller sa foi devant les “espaces infinisˮ à cause de leur silence. La mienne, si jamais j’en avais une, s’effraierait non pas de leur vide, mais de leur habitation. (…) Au temps où l’univers, si grand qu’il fût, était encore nombrable, on pouvait croire que les habitants de la Terre avaient tiré le seul numéro gagnant entre tous les numéros de la loterie. Le nombre des étoiles s’est multiplié. » Évoquant les innombrables étoiles de la Galaxie et les innombrables galaxies, il conclut « il me paraît difficile de penser que la petite Terre que j’habite soit le seul numéro gagnant, si tant est que ce soit un numéro gagnant que d’avoir tiré au sort cette misérable vie. » Jean Guitton remarque alors que « la révélation n’a rien à nous apprendre sur ce qui a pu se passer dans d’autres humanités que celle qui dépend d’Adam, à plus forte raison dans les humanités qui occupent ou n’occupent pas d’autres planètes ; à plus fortes raisons encore dans celles qui ont pu paraître et disparaître avant le commencement de ce monde, ou qui paraîtront et disparaîtront après… » Il s’emploie alors à défendre la prééminence du Christ dans ce que Pouget appelait le monde moral, c’est-à-dire le monde de la liberté. Tous les êtres de ce monde, « du moment qu’ils sont libres et capables d’une obscure conscience (…) ne forment qu’un seul monde avec nous : le sinanthrope et saint Vincent de Paul, l’enfant de Modjokerto et Louis de Broglie appartiennent au même modèle, à ce monde qui comprend aussi les Chérubins et les Séraphins et omnis militia coelestis exercitus, comme dit la lente préface. Tous chantent un même hymne à la même gloire, quoique avec une modulation différente, dans l’espace-temps et les hyperespaces et les hyperdurées. Une même liberté, absente du cosmos et du monde animal, s’y laisse participer en un grand nombre de modes ou de manières. Il n’y a donc qu’un seul univers de la liberté (…). Et j’ajoute que, pour la foi, cet univers a un foyer, qui est le Christ. » Dans ces conditions, « même s’il y avait un grand nombre d’humanités, (…) quand bien même tous les individus appartenant à ces mondes seraient tombés, comme on dit, dans le péché, le Christ à lui seul, pourrait réparer, au delà de toute mesure, l’outrage de ces humanités défaillantes. Une seule Incarnation suffit pour cela. » Et si la Terre a été choisie c’est peut-être, selon l’idée de Bergson à la fin des Deux Sources, parce que c’est la plus réfractaire des planètes, celle « où l’élan de l’esprit a trouvé plus d’obstacles que partout ailleurs. » Un de ses jeunes interlocuteurs lui demande alors ce qui empêcherait un Dieu de s’incarner plusieurs fois. « – Rien ne l’empêcherait, lui répond Guitton. Qui pourrait restreindre une liberté qu’il faut définir comme absolue ? La pluralité des Incarnations, dans l’espace et dans le temps, est une hypothèse concevable. » Mais il objecte aussitôt que c’est une tendance de la jeunesse d’aimer les hypothèses mais « qu’à mesure qu’on avance, on prend mieux conscience des questions insolubles et on les met entre parenthèses à jamais. » (p. 50). D’autres vues sur cette question de la pluralité des mondes dans une perspective chrétienne sont présentées dans la chronique n° 99, Le futur antérieur – Sur la pluralité des mondes, l’Incarnation et un « homme du futur » tôt disparu (31.10.2011).
  3. Aimé Michel, pendant toute une partie de sa vie, s’était passionné pour la question des ovnis. Comme il avait déjà consacré plusieurs chroniques à ce sujet, il pouvait s’attendre à ce que ses lecteurs (un tantinet sceptiques apparemment) le « voient venir » ! Sur ce sujet de controverses, voir par exemple les chroniques n° 110, Les ovnis et l’irrationnel – Réflexions philosophiques à propos d’une énigme persistante (05.03.2012) et n° 171, Soucoupes volantes ? – Se produit-il dans la nature des événements plus intelligents que l’homme ? (29.07.2013). La chronique n° 265, Vous y croyez, vous, aux extraterrestres ? − Un formidable problème : la pensée non humaine dans le vaste univers des étoiles, (9.11.2015) donne quelques précisions sur l’attitude des astronomes qui s’intéressent à la recherche des intelligences extraterrestres (SETI). En tout état de cause, la connexion des ovnis avec la question des E.T. demeure conjecturale dans l’état de nos connaissances.
  4. Cette « logique des enchaînements techniques » ne s’est pas produite. La navette spatiale elle-même s’est avérée un mauvais concept, aujourd’hui abandonné. Nous en reparlerons.
  5. Dégager le sens philosophique, tel est, ici comme ailleurs, l’objectif d’Aimé Michel, non de se prononcer sur le la faisabilité technique des projets d’O’Neill. Les problèmes techniques à résoudre sont formidables, surtout dans la perspective de villes spatiales autonomes. Il faut une population suffisante pour produire et réparer l’ensemble des équipements nécessaires à une telle ville ; fournir à cette population les ressources de base indispensables en eau, matières premières, énergie, consommables ; assurer la pérennité du savoir et du savoir-faire après plusieurs générations… Aimé Michel n’ignore pas ces obstacles, qui qualifie les projets d’O’Neill de « rêve ». Les voyages intersidéraux seront-ils réalisés de cette façon ou d’une autre encore inimaginable ? Peu importe, car ce sur quoi il faut dorénavant réfléchir c’est « le sens philosophique de ce rêve » et ses nombreuses conséquences.
  6. Ce calcul est présenté notamment par W.I. Newman et C. Sagan, « Nonlinear diffusion and population dynamics », in B.R. Finney et E.M. Jones (eds) Interstellar migration and the human experience, University of California Press (1985). On lira aussi avec profit à ce sujet l’excellent livre de l’astrophysicien Nicolas Prantzos, Voyages dans le futur, l’aventure cosmique de l’humanité, Le Seuil (1998). Newman et Sagan s’appuient sur les modèles mathématiques décrivant la croissance de populations animales. Ces modèles montrent l’existence d’un bord net dans l’espace appelé front qui se propage à vitesse uniforme. Plusieurs exemple historiques suggèrent que ces modèles s’appliquent aussi aux hommes : la rapide propagation de la Peste Noire en Europe à partir de Marseille (décembre 1347) jusqu’à ses confins septentrionaux (décembre 1350), bien que la maladie résulte de l’interaction entre animaux (rat et puce) et humains, c’est le déplacement des humains qui l’a propagée ; au néolithique la propagation de l’agriculture à partir de zones proches orientales en 9000 a atteint les côtes de la Manche et de la Mer du Nord vers 5500 ; la colonisation de l’Amérique a également pris l’allure d’une onde se propageant à la vitesse de 10 km par an. Eric Jones, Carl Sagan et William Newman ont appliqué ces modèles à une humanité future ayant maitrisé les voyages interstellaires. La vitesse v du front de colonisation dépend de la distance moyenne d entre l’étoile de départ et l’étoile à coloniser, du temps tvol nécessaire pour la franchir et du temps tcol pour que la population d’une colonie soit suffisante pour qu’elle entreprenne une nouvelle expédition de colonisation, selon la relation v = d/(tvol + tcol). Autrement dit, plus la vitesse des véhicules interstellaires est lente (vvol petit donc tvol grand) et le temps de plein établissement des colonies (tcol) est grand et plus la vitesse de propagation est faible. Si on retient comme ordres de grandeur d = 1-10 années-lumière, tvol = 1000 ans et tcol = 1000 ans également, on trouve v ≃ 1/1000 année-lumière par an soit une propagation d’une année-lumière par millénaire. Comme la Galaxie a un rayon de 100 000 années-lumière, il faudrait 100 millions d’années pour qu’elle soit entièrement colonisée. D’un côté, comme le note Nicolas Prantzos, « cette durée peut paraître longue, mais elle ne représente qu’un centième environ de l’âge de la Voie Lactée, estimé à plus de dix milliards d’années. » D’un autre côté, estiment Newman et Sagan « ce qui est très significatif dans ces échelles de temps est leur extraordinaire longueur comparée à la durée de vie des sociétés humaines et leurs temps évolutifs caractéristiques (c’est-à-dire de spéciation). Sur de telles échelles de durée il n’est plus clair que même des prédictions grossières de la croissance de la population et de la propagation du front d’onde d’émigration soient possibles. En fait, nous pouvons n’avoir que peu de ressemblance avec nos descendants dans 108 années ; nous pouvons même en dire moins sur leurs aspirations, leurs motivations ou leurs attributs intellectuels. » Ils semblent suggérer que de telles durées pourraient expliquer pourquoi la Terre n’a pas encore accueilli de visiteurs extraterrestres mais préfèrent finalement se retrancher sur leur ignorance : absence de preuves n’est pas preuve d’absence. Ils plaident donc pour l’organisation d’une quête scientifique rigoureuse et systématique d’une intelligence extraterrestre utilisant la technologie de la radioastronomie moderne.
  7. Il s’agit de l’article de T.B.H. Kuiper et M. Morris, « Searching for Extraterrestial Civilizations », Science, 196 : 616-621 (6 mai 1977). Ces deux auteurs étaient au Caltech à Pasadena, Kuiper au Jet Propulsion Laboratory et Morris à l’observatoire radio d’Owens Valley. Ils ont écrit cet article dans un contexte particulier, celui où les États-Unis envisageaient de construire un grand réseau de radiotélescopes pour détecter les éventuels signaux envoyés par des civilisations extraterrestres (voir les chroniques n° 165, Des signes dans le ciel – Pourquoi les étoiles sont-elles inaccessibles à l’homme ? 20.11.2012 et n° 265 citée en note 3). Les arguments qu’ils présentent les conduisent à ne pas soutenir ce projet. Voici ces arguments : Selon eux, il paraît faisable, à notre niveau actuel de compréhension, d’utiliser la fusion nucléaire pour effectuer des voyages interstellaires à la vitesse de 0,1 c (un dixième de la vitesse de la lumière soit 30 000 km/s). Il leur semble donc injustifié de supposer que la maîtrise de ces voyages n’a pas été acquise par au moins quelques civilisations extraterrestres technologiquement avancées. On ne peut même pas conclure que les humains ne les tenteront pas au cours des prochains siècles. Au contraire, la situation future la plus vraisemblable, si la croissance technologique se maintient et en l’absence d’interférence extraterrestre, est que notre civilisation explorera et colonisera notre voisinage galactique. Une comparaison des échelles de temps de l’évolution galactique et des voyages interstellaires conduit Kuiper et Morris à la conclusion que la galaxie est soit essentiellement vide de civilisations technologiques, soit extensivement colonisée. Dans le premier cas, une recherche SETI serait improductive. Dans le second, elle pourrait être fructueuse si un signal a été délibérément dirigé vers la Terre, auquel cas une antenne existante serait probablement suffisante pour le détecter, ou vers un dispositif extraterrestre situé dans notre système solaire (avant-poste, sonde ou station relai de communication), auquel cas le succès dépendrait de la manière dont les communications ont été codées. Finalement, Kuiper et Morris estiment que l’échec à détecter un signal conduirait à l’une des conclusions suivantes : « (i) la galaxie est dépourvue de civilisations technologiques avancées au-delà de la nôtre, (ii) de telles civilisations existent mais ne peuvent s’engager dans une colonisation interstellaire pour une raison qui dépasse nos compétences actuelles, ou (iii) de telles civilisations ne tentent pas de contact ouvert avec les civilisations terrestres et leurs intercommunications, si elles existent, ne sont pas codées d’une manière simple. La planification à cette date d’un grand réseau SETI de coût élevé fondé sur les deux dernières possibilités apparaît plutôt prématurée. »