La Providence n’a pas choisi la destination la plus facile pour le premier voyage apostolique de Léon XIV : dans une Turquie sous tension, dire que chaque mot de Léon XIV allait être scruté relève de l’euphémisme.
La première étape à Ankara, protocolaire, ne figurait pas dans le programme élaboré sous le pontificat du pape François. Pour Rome, il s’agissait à l’époque d’éviter toute fatigue superflue au Pape argentin fatigué et qui s’était déjà rendu en Turquie en 2014. Mais avec Léon XIV, la donne a changé : c’est en chef d’État qu’il a donc été reçu par le président turc Recep Tayyip Erdogan, déposant une gerbe à l’imposant mausolée – 40 tonnes de marbre – du fondateur de la République turque, Mustafa Kemal Atatürk, avant de rejoindre le palais présidentiel. Accueilli avec les honneurs militaires et par 21 coups de canon, le Pape y a écouté le président turc brosser le portrait d’une Turquie qui soutient les chrétiens et où les croyants vivent en harmonie, dans un discours officiel bien éloigné de la réalité (voir France Catholique N°3923).
Danger de « l’homogénéisation »
Devant Erdogan, Léon XIV a plaidé pour la liberté religieuse, soulignant qu’il « est fondamental d’honorer la dignité et la liberté de tous les enfants de Dieu ». Il a également mis en garde contre le risque « d’appauvrissement » porté par « l’homogénéisation », dans une Turquie se réislamisant à marche forcée depuis 20 ans et où la présence chrétienne est tombée à environ 0,3 % de la population. Une disparition d’autant plus douloureuse que le Pape a rappelé que la Turquie était « indissociablement liée aux origines du christianisme ».
Parmi cette minorité, les catholiques latins ne sont eux-mêmes qu’une poignée. Pourtant, en un discours prononcé dans la cathédrale latine du Saint-Esprit d’Istanbul, Léon XIV a souligné que « les fruits de [la] mission [de l’Église] ne proviennent [pas] du consensus numérique, de la puissance économique ou de l’importance sociale […]. L’histoire qui vous précède n’est pas simplement quelque chose à se rappeler avant de l’archiver dans un passé glorieux, tandis que nous regardons résignés le fait que l’Église catholique est devenue numériquement plus petite. » Pour cela, a-t-il insisté, aux catholiques de « conserver la joie de la foi et de travailler comme des pêcheurs intrépides dans la barque du Seigneur ».
Nicée, 1700 ans après
Le cœur du voyage fut bien sûr le déplacement à Iznik, ancienne Nicée, où était représentée une large partie de l’orthodoxie – à l’exception notable du patriarcat de Moscou. Accueilli par le patriarche de Constantinople Bartholomée Ier, Léon XIV et les représentants chrétiens se sont rendus en procession sur une passerelle surplombant les fouilles de l’ancienne basilique Saint-Néophyte, qui marquerait l’emplacement où s’est tenu le concile de Nicée, en 325, condamnant l’hérésie arienne et affirmant que Jésus-Christ était vrai Dieu et vrai homme. Face à deux icônes, l’une du Christ et l’autre représentant le Concile, Léon XIV a relevé que la reconnaissance de la divinité du Christ était « un lien profond qui unit déjà tous les chrétiens. » Le lendemain, lors d’une doxologie en l’église Saint-Georges du siège du patriarcat de Constantinople, il expliquera que ces commémorations auront été un encouragement au retour de la « pleine communion entre tous les chrétiens. » Parmi les avancées possibles, Léon XIV et Bartholomée Ier ont fait part de leur « désir commun de poursuivre le processus » permettant d’aboutir à une date de Pâques commune. Surtout, Léon XIV annoncera lors de la conférence de presse dans l’avion qui devait l’emmener au Liban avoir proposé aux Églises chrétiennes, lors d’une réunion à huis clos, de se retrouver à Jérusalem en 2033 pour célébrer le bimillénaire de la Résurrection du Christ.
La Mosquée bleue
Un moment attendu de la visite apostolique était la visite de la Mosquée bleue d’Istanbul. Non pas tant pour les propos que le Pape aurait pu y tenir, mais pour son attitude : allait-il y prier une fois arrivé devant le mihrab, cette niche creusée dans le mur indiquant la direction de La Mecque ? Lors de sa visite, François avait fermé les yeux pour une « adoration silencieuse », de même que Benoît XVI qui s’était recueilli. Mais selon l’imam des lieux, Léon XIV a décliné l’invitation qui lui a été faite d’y prier, faisant de cet arrêt une simple visite.
Une seule messe publique fut au programme du voyage en Turquie. Aussi les catholiques s’étaient-ils massés dans la Volkswagen Arena de l’ancienne Constantinople pour assister à la messe du Pape. Dans son homélie, Léon XIV a rappelé que l’Église catholique en Turquie comptait quatre traditions liturgiques – latine, arménienne, chaldéenne et syriaque –, et souligné que « le partage de ces différences peut montrer de manière éminente l’un des traits les plus beaux du visage de l’Épouse du Christ : celui de la catholicité qui unit ». La dernière étape du voyage en Turquie fut la visite de la cathédrale arménienne Sainte-Marie d’Istanbul. Très attendu par la communauté arménienne, Léon XIV y a fait allusion au génocide de 1915, sujet tabou en Turquie : « Cette visite m’offre l’occasion de remercier Dieu pour le courageux témoignage chrétien du peuple arménien au cours des siècles, souvent lors de circonstances tragiques. » Perpétré par l’Empire ottoman sous l’impulsion des Jeunes Turcs, mouvement nationaliste, il aurait fait jusqu’à deux millions de morts parmi les chrétiens.
Appel à ne pas émigrer
À l’heure où nous bouclons ces lignes, le voyage de Léon XIV n’était pas encore achevé (lire le compte rendu dans le prochain numéro). Son arrivée au Liban a toutefois donné la tonalité de son déplacement. Dans une rencontre à Beyrouth avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique, le Pape a adressé aux Libanais un appel à ne pas émigrer, déplorant « l’hémorragie de jeunes et de familles ». S’il faut « vraiment du courage et de la clairvoyance pour rester ou revenir », Léon XIV a lancé : « [les artisans de paix] osent rester, même lorsque cela implique des sacrifices ».





