Au Concile de Nicée, le triomphe de la vérité - France Catholique
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Au Concile de Nicée, le triomphe de la vérité

Léon XIV a prévu de se rendre en Turquie pour célébrer les 1 700 ans du concile de Nicée (Iznik). Un concile historique au cours duquel l’Église démasqua l’hérésie arienne et réaffirma que le Christ était à la fois « vrai Dieu et vrai homme ».
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Icône représentant le concile de Nicée, peinte par Michel Damaskinos en 1591, collection du monastère Sainte-Catherine du Sinaï. © Rigorius / CC by-sa

La convocation d’un concile œcuménique à Nicée, en mai 325, répond d’abord à une pieuse préoccupation de l’empereur Constantin : tenter à n’importe quel prix d’éviter un schisme au sein de l’Église qui émerge à peine de vingt années de persécution.

Tout commence en 321 à Alexandrie, lorsque le patriarche Alexandre s’inquiète du succès grandissant des prédications d’Arius, prêtre de Baucalis, un quartier chic de la ville très prisé des milieux universitaires. Né en Libye vers 260, ordonné à Alexandrie en 308, Arius n’est pas un inconnu pour le patriarche : en 313, il a tenté de lui disputer le siège épiscopal, alors même qu’il venait d’être relevé de diverses sanctions ecclésiastiques prises à son encontre en raison d’un enseignement déjà hétérodoxe. Philosophe et universitaire de formation, Arius, tardivement converti mais sincère, a prouvé ses convictions chrétiennes et son courage : il est arrivé aux ordres sacrés en pleine persécution – et elle a été féroce en Égypte ! Hélas, cet héroïsme, authentique, devient pour certains confesseurs un moyen de s’élever dans l’Église et de manipuler les fidèles. Sous ses allures d’ascète, qui ne sont pas jouées car l’homme est chaste et vertueux, ce prêtre admiré et respecté cache un ambitieux conscient de sa brillante intelligence, à l’orgueil démesuré. Et d’autant plus virulent qu’il est persuadé de détenir seul la vérité théologique, quitte à prétendre être inspiré par l’Esprit Saint… Séduisant, habile, beau parleur, Arius plaît autant aux intellectuels qui viennent l’entendre prêcher qu’au petit peuple pour qui il compose des cantiques faciles à retenir que l’on entend chanter dans toute la ville.

Tout cela serait bel et bon si, plus pénétré de philosophie grecque que des humbles paroles de l’Évangile, qui lui semblent d’une simplicité indigne de son public lettré, Arius n’avait commencé à élaborer une christologie – une conception du Christ – en rupture avec l’enseignement de l’Église.

Le Christ, un super-héros ?

Posant le principe – exact – que le Dieu créateur est éternel, omnipotent et infini, il en a conclu qu’il ne pouvait pas se communiquer en sa plénitude à une créature humaine, par définition mortelle, limitée et finie. Par conséquent, si Jésus est véritablement homme, il ne peut être en même temps véritablement Dieu ou, à tout le moins, il ne peut être l’égal du Père. Au mieux, le Christ est peut-être le Logos, la Parole créatrice de Dieu, mais il est quand même inférieur à Dieu. Au pire, il n’est qu’une créature, certes très méritante, admirable et hors du commun au point de s’être mérité le titre, purement honorifique, de fils de Dieu mais il n’est en aucun cas d’origine divine. Rien d’autre qu’un super-héros, une espèce de demi-dieu mythologique.

Sans entrer dans les méandres d’une hérésie arienne d’autant plus polymorphe qu’elle ne cessera de renaître de ses cendres jusqu’au VIIe siècle, le propos était infiniment grave. Cet enseignement ravissait les païens car il devenait parfaitement compatible avec leur vision du divin. Mais il jetait à bas tout le christianisme, comme allait l’expliquer, avec un génie précoce et l’audace de ses 20 ans, le jeune diacre et secrétaire du patriarche Alexandre, Athanase. Outre qu’il niait le mystère trinitaire (un seul Dieu en trois personnes), Arius, en affirmant que le Christ n’était pas Dieu, rendait vaine, nulle et non avenue la Rédemption. En effet, Jésus, pleinement homme mais non véritablement Dieu, ne pouvait pas racheter l’humanité pécheresse par sa Passion, puisque seule la réparation infinie de Dieu incarné pouvait effacer l’offense de nos premiers parents, infinie puisqu’infligée à Dieu.

L’orgueil de l’hérétique

Quand Athanase eut fini de le démontrer à Alexandre, le patriarche, qui s’affolait d’entendre chanter sous ses fenêtres les pires blasphèmes par de braves gens qui pensaient honorer le Seigneur, décida de sévir. Mais ne voulant pas avoir l’air de s’acharner contre son ancien rival, il ne voulut pas prendre lui-même des sanctions, comme il en avait le pouvoir : il préféra réunir un synode provincial qui examinerait les thèses d’Arius. Ainsi ne pourrait-il être accusé d’injustice et de partialité.

Trop sûr de son talent, Arius le prit de haut, persuadé d’imposer facilement ses vues géniales à des gens qui, intellectuellement, ne lui arrivaient pas à la cheville. Or, quand il vint se justifier, emporté par sa propre logique, il ne réfréna pas sa pensée : il en vint à dire que Jésus, puisqu’il était un homme, donc une créature, était par essence faillible et potentiellement pécheur – déclaration qui souleva d’horreur les membres du synode et lui valut d’être condamné à la quasi-unanimité.

Fou de rage, l’hérétique – qui prétendait que Dieu lui dictait ses enseignements – était bien décidé à user de ses nombreuses relations haut placées pour se venger. En 323, il quitta Alexandrie pour Césarée de Palestine. De locale, l’affaire prenait une tournure énorme. Grâce à une large correspondance, et par la publication d’un exposé de ses thèses, la Thalie ou le Banquet, hélas très bien écrit et fait pour plaire, Arius entreprit de répandre sa doctrine déviante dans toute la Méditerranée orientale. Puis il prit langue avec deux évêques homonymes, Eusèbe de Césarée, le fameux historien de l’Église, et Eusèbe de Nicomédie : ces deux prélats politiques, fort bien en cour, étaient susceptibles de lui trouver des soutiens dans l’entourage impérial. Il les circonvint assez pour les amener à partager ses vues et obtenir leur aide. Les aléas de la politique romaine lui faciliteraient la tâche.

Arius espérait tirer profit de la réunification de l’Empire romain. En 324, Constantin s’était débarrassé de Licinius, l’empereur d’Orient, qui avait réactivé la persécution antichrétienne à des fins politiques. Alors qu’il venait de mettre fin à la partition de l’Empire, il lui semblait impossible que cette réunification politique soit suivie d’une division au sein de la chrétienté. Il se proposait de réconcilier les adversaires mais l’évêque de Cordoue, Ossius, lui suggéra de laisser le règlement de ce litige à des spécialistes : il suffisait de convoquer tous les évêques de l’Empire et de leur soumettre la question. Ce qu’admit volontiers Constantin, ravi de réaliser ce vieux rêve de l’Église : jamais les persécutions n’avaient permis une telle réunion.

Mort de rage dans les latrines

Le concile s’ouvrit donc le 20 mai 325 à Nicée, près de Byzance. Au vrai, la plupart des Occidentaux ne firent pas le voyage, à commencer par le pape Sylvestre qui envoya deux représentants à sa place. Ils estimaient avoir mieux à faire, quand ils devaient enraciner la foi dans leurs diocèses, que disserter en grec sur des points de théologie. Si seuls un Gaulois et quelques Espagnols se déplacèrent, le concile réunit quand même 250 évêques, selon Eusèbe de Césarée, 318 selon Athanase, qui vinrent accompagnés de leurs suites. C’était déjà un beau succès, d’autant que la plupart d’entre eux, survivants de la persécution, avaient une réputation fondée de sainteté.

Ils ne la firent pas mentir en appuyant sans discussion la divinité du Christ, consubstantiel au Père, après qu’Athanase ait démontré que la Rédemption l’exigeait. Cette vérité fit l’unanimité du concile, à cinq voix près, malgré les manœuvres d’Arius qui s’agitait en coulisses. L’hérésiarque fut banni en Illyrie avec ses rares soutiens – à moins qu’il n’ait, selon une version vengeresse, crevé de rage dans les latrines, comme le montrent certaines fresques…

Le banquet de clôture du concile, fin juin, célébra à la fois la rédaction du Symbole de Nicée qui clarifiait l’enseignement de l’Église, et le triomphe de Constantin, salué du titre d’« évêque du dehors » pour son œuvre en faveur de l’orthodoxie. Une fois de plus, l’axiome « oportet esse hæreses » – il est bon qu’il y ait des hérésies – se révélait juste !

Hélas, à peine le concile achevé, les partisans d’Arius relèveraient la tête et ne tarderaient pas à convaincre l’empereur que la consubstantialité (cf. encadré ci-dessous) était une idée insoutenable. En fait, l’arianisme, tout condamné qu’il fût, ne faisait qu’entamer ses ravages. Il durerait des siècles et ouvrirait, là où il s’implanta durablement, la porte à l’islam. 

Symbole de Nicée-Constantinople
Profession de foi

Il ne faudra pas moins de deux conciles pour fixer le texte du Credo que nous professons toujours à la messe : celui de Nicée sera suivi d’un concile convoqué à Constantinople par l’empereur Théodose Ier, en 381. Car, bien que défaits à Nicée, les disciples d’Arius n’avaient pas désarmé. Il fallait aussi mettre un terme à une nouvelle dispute concernant le Saint-Esprit, certains considérant qu’Il n’avait pas la même dignité que le Père et le Fils.

Les Pères conciliaires décidèrent donc, à Constantinople, de compléter le symbole de Nicée – symbole signifiant ici « signe de reconnaissance ». Réaffirmant que le Christ était « consubstantiel » au Père, ils précisèrent qu’Il avait pris chair « de la Vierge Marie par le Saint-Esprit ». Et ajoutèrent que l’Esprit Saint procédait du Père, recevait « même adoration et même gloire » et qu’il avait « parlé par les prophètes ». L’Église professera plus tard que le Saint-Esprit procède aussi du Fils (filioque), ce que n’admettront pas les chrétiens orthodoxes.

« De même nature » ou « consubstantiel » ?

Après Vatican II, l’emploi des langues locales préconisé par le concile entraînera, en France, une grande confusion : la formule latine consubstantialem Patri sera traduite par « de même nature que le Père ». Or, « deux êtres de même nature ne sont pas nécessairement de même substance. Deux hommes sont de même nature, mais chacun d’eux est une substance distincte, et c’est même pourquoi ils sont deux », remarquait le philosophe Étienne Gilson dans La France catholique du 2 juillet 1965. Cette traduction fautive – que Jacques Maritain jugeait même « hérétique » – pouvait conduire à conclure qu’il n’y a pas un seul Dieu en trois personnes, mais trois dieux différents. Elle a été heureusement corrigée dans la nouvelle traduction du Missel romain, en 2021.
Fabrice Madouas