« Santo subito ! » Difficile de ne pas songer à cette formule, lorsqu’on observe les panthéonisations les plus récentes orchestrées par la présidence de la République. Il est loin le temps où la « Patrie reconnaissante » prenait son temps pour honorer les « grands hommes ». Il suffit désormais de quelques mois pour faire d’un prestigieux défunt l’hôte des caveaux de la montagne Sainte-Geneviève : 20 mois pour le célèbre avocat, 12 mois pour Simone Veil, panthéonisée le 1er juillet 2018. L’Élysée a communiqué quelques informations sur le déroulement de la cérémonie de ce 9 octobre. On pourra notamment y entendre Julien Clerc interpréter sa chanson L’assassin assassiné, composée après l’acquittement de Norbert Garceau, assassin récidiviste, qui avait notamment violé et étranglé avec un bas en nylon une jeune femme, Michèle Aussillous, et qui avait échappé à la guillotine en 1980 grâce à Robert Badinter.
Une France « progressiste »
En honorant ces figures, auxquelles il faut adjoindre Maurice Genevoix (2020), Joséphine Baker (2021) et Missak et Mélina Manouchian (2024), Emmanuel Macron laisse percevoir les fondements de sa politique mémorielle : elle s’attache à valoriser une France plurielle, métissée et progressiste (Maurice Genevoix faisant figure d’exception), ce que devrait confirmer l’arrivée annoncée de l’avocate Gisèle Halimi, défenseuse des militants du FLN et signataire du Manifeste des 343, plus connu sous le nom élégant de « Manifeste des salopes ».
La politique de panthéonisation du président, inspirée notamment par son conseiller histoire, Bruno Roger-Petit, fait naturellement la joie de France Inter, comme en témoigne une chronique récente de Yaël Goosz (02/10) qui mériterait d’être tout entière citée dans cette revue de presse… Les impétrants permettent aux yeux du journaliste de constituer « le kaléidoscope d’une France qui a fait progresser l’humanité » et ces cérémonies sont « l’occasion pour la Nation de faire corps avec les valeurs qu’ils ou elles [les panthéonisés, NDLR] ont incarnées ».
Concernant Robert Badinter, le chroniqueur ne manque pas de souligner le contexte dans lequel s’inscrit son entrée dans le sanctuaire : en l’occurrence « au moment où un ex-Président condamné fait le procès des juges, où un ministre de l’Intérieur dit que l’État de droit n’est pas « sacré », et où le RN, au firmament des sondages, reprend sa place dans les plus hautes instances de l’Assemblée… ». Brrr… Et de rappeler, à propos du RN, qu’il s’agit de « ce parti de Jean-Marie et Marine Le Pen, que Robert Badinter n’aura jamais cessé de combattre ». Pas un mot, en revanche, sur la compassion pour les victimes, angle mort de la politique pénale de l’ancien ministre de la Justice. Rares sont ceux, aussi, qui rappellent, comme Eugénie Bastié dans Le Figaro, qu’opposé à la peine de mort, Robert Badinter l’était tout autant à la légalisation de l’euthanasie, comme il l’avait affirmé en 2008.
Mémoire instrumentalisée
Le Panthéon, bunker d’une mémoire instrumentalisée, en décalage manifeste avec les attentes d’une France qui ne demande qu’à être fière de l’ensemble de son histoire et de tous ses héros, comme en témoigne l’immense succès du Puy-du-Fou, qui célèbre La Pérouse ou Charette ? C’est bien l’image qui risque de demeurer de ces choix hâtifs et partiaux, qui réussissent la performance d’agiter des symboles de division dans ce qui devrait être le sanctuaire de l’unité nationale, et pas seulement républicaine, laïque et progressiste.
Une nuance s’impose néanmoins, en forme de bouffée d’oxygène. À rebours de ces choix, l’arrivée au Panthéon de Marc Bloch, prévue le 16 juin prochain, sera l’occasion de rendre hommage non seulement à un immense historien, à un combattant exemplaire de la Première Guerre mondiale (croix de guerre et quatre citations), à un résistant courageux (assassiné par la Gestapo), à celui qui voyait dans le sacre de Reims et dans la fête de la Fédération « les plus beaux jaillissements de l’enthousiasme collectif ». Dont acte.