L’âme, foyer de la résistance - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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L’âme, foyer de la résistance

Nourrir notre âme permet de résister aux assauts de la modernité contre la vie spirituelle. Entretien avec Robert Redeker, philosophe chrétien, auteur de L’abolition de l’âme.
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Alexandre Soljenitsyne en Allemagne de l’Ouest, en 1974. Contraint à l’exil, l’écrivain n’a jamais cessé de dénoncer le matérialisme.

Alexandre Soljenitsyne en Allemagne de l’Ouest, en 1974. Contraint à l’exil, l’écrivain n’a jamais cessé de dénoncer le matérialisme.

Comment définiriez-vous l’âme ?

Robert Redeker : L’intuition de l’âme est aussi ancienne que l’humanité : elle apparaît quand nos lointains ancêtres prennent conscience avec stupeur qu’ils sont mortels. L’histoire de la pensée a vu se déployer des conceptions très différentes de l’âme. Chez Aristote, elle est un principe de vie commun aux plantes, aux bêtes et aux hommes ; chez Platon, une entité intellectuelle immortelle séparée du corps. Pour un philosophe matérialiste comme La Mettrie (1709-1751), elle n’est que le ressort de la machine que nous sommes. Je pense qu’elle est bien plus qu’un simple principe de vie, comme l’affirme Aristote, et de pensée, comme le soutiennent Platon et Descartes. Elle est une entité spirituelle d’origine divine mêlée au corps pour composer la personne humaine. Cette âme est la réalité que nous rencontrons en cultivant notre vie intérieure.

« L’âme, écrivez-vous, aspire à penser comme pense Dieu. » Est-elle forcément portée par un désir d’élévation ?

Cette formule est d’origine platonicienne. Mais elle ne suffit pas à dire ce qu’est l’âme, ni ce qu’elle veut. Son aspiration est un dynamisme. « Le désir est l’essence de l’homme », dit Spinoza. Mais il est aussi l’essence de l’âme. L’âme est en lien avec le désir – il existe un désir spirituel comme il existe un désir charnel. Les grands mystiques ont su transposer la langue du désir dans le domaine spirituel. Je lis en ce moment la merveilleuse correspondance de sainte Élisabeth de la Trinité (1880-1906), carmélite canonisée par le pape François en 2016. Elle porte le désir à son plus haut point de pureté. Ce procédé n’est pas une simple analogie rhétorique, mais une transfiguration du désir. Ce que vous appelez « élévation » est cette transfiguration. Que désire l’âme ? Retrouver sa véritable patrie, qui est Dieu : être unie à son corps dans cette patrie. Donc, non pas seulement penser comme pense Dieu, mais vivre de la vie de Dieu en se nourrissant de sa lumière.

Pour quelles raisons le mot âme a-t-il disparu de notre vocabulaire ?

La logique intrinsèque du monde moderne élimine l’âme. Bernanos voit dans la modernité une conspiration contre l’intériorité. Éric Voegelin – philosophe américain d’origine autrichienne, NDLR – a forgé le concept de « dépneumatisation », qui exprime clairement cette décadence de l’intériorité. La dépneumatisation, c’est le déclin de la respiration spirituelle. Le mot pneuma – « souffle » en grec – rend compte du lien « respiratoire » entre l’homme et Dieu. Privé de ce lien, l’homme moderne est atteint d’asthme spirituel. L’occultation de l’âme n’est pas une destruction – l’âme est immortelle – mais un refoulement. De même que Dieu est le refoulé de la politique française depuis plus d’un siècle, l’âme est le refoulé de notre culture et, par ricochet, de notre vie collective.

Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.

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L’abolition de l’âme, Robert Redeker, éd. du Cerf, 2023, 352 pages, 24 €.