« Le Christ-Roi est le règne de la charité » - France Catholique
Edit Template
Pèlerinage de Chartres : Pour que règne le Christ !
Edit Template

« Le Christ-Roi est le règne de la charité »

© Pascal Deloche / Godong

© Pascal Deloche / Godong

« Le Christ-Roi est le règne de la charité »

« Le Christ-Roi est le règne de la charité »

NOTRE SÉRIE SUR CHARTRES (5/7). Il y a cent ans, Pie XI publiait l’encyclique Quas primas, créant la fête du Christ-Roi, Que reste-t-il de cet enseignement ? Entretien avec l’abbé Jean de Massia, aumônier de Notre-Dame de Chrétienté, dont le pèlerinage de Pentecôte vers Chartres, du 7 au 9 juin, aura pour thème : « Pour qu’Il règne, sur la terre comme au ciel. »
Copier le lien

Quelle était l’idée maîtresse de Pie XI développée dans l’encyclique Quas primas ?

Abbé Jean de Massia : L’idée de royauté du Christ a été développée par Pie XI dès l’encyclique Ubi arcano Dei consilio, en 1922. L’idée était simple : « La paix du Christ par le règne du Christ. » Si Quas primas prolonge cette idée en 1925, c’est parce que la menace des grands conflits mondiaux persiste encore et, surtout, l’Église fait encore face à la montée de l’athéisme d’État, c’est-à-dire à l’évacuation de tout fondement religieux ou divin de la société. Or pour Pie XI, il n’y aura pas de véritable paix si on se sépare du prince de la Paix qu’est le Christ ! C’est Dieu qui met de l’ordre dans le monde par sa Providence. Ainsi, c’est en se confiant à Dieu et en mettant les nations sous la reconnaissance de la royauté de Dieu que les choses iront mieux, tout simplement.

Quelle est la nature de cette royauté ?


Elle est d’abord spirituelle, car le Christ est le roi des intelligences, des volontés, des cœurs. Mais elle ne s’arrête pas aux « frontières de la conscience », selon l’expression du pape François ! La royauté du Christ concerne également les structures mêmes de la société : les lois, les institutions, etc. Les hommes étant faits pour vivre en société, il est juste que le Christ règne aussi bien sur les cœurs que sur les communautés car, comme l’affirme la Constitution dogmatique Lumen gentium : « Aucune activité humaine, fût-elle d’ordre temporel, ne peut être soustraite à l’empire de Dieu. »

Comment comprendre alors cette phrase de Jésus face à Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde » ?

Tout bon latiniste saura que « de ce monde » désigne une provenance : le pouvoir que le Christ a reçu ne lui vient pas des hommes, ni par élection, ni par acclamation. Dans son Évangile, saint Jean explique même que le Christ a refusé qu’ils le fassent roi, juste après la multiplication des pains ! Parce que sa royauté lui vient directement de son Père, c’est-à-dire du Ciel, faisant véritablement de lui le roi de l’Univers. D’ailleurs, à la toute fin de l’Évangile selon saint Matthieu, Jésus dit bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 18).

Cent ans après, que reste-t-il des erreurs dénoncées par Quas primas ?

Ce que le Pape dénonce à l’époque demeure vrai aujourd’hui, comme le naturalisme, c’est-à-dire une conception purement horizontale de l’univers, sans Dieu, qui rejette le surnaturel. Cette hérésie est liée aussi au libéralisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la liberté est la règle de tout, au point d’être exaltée et de devenir un absolu qui oublie la loi naturelle : l’ordre des choses voulu par Dieu. Enfin, l’encyclique critique le laïcisme, à ne pas confondre avec la « saine laïcité » développée par Pie XII et ses successeurs. La laïcité est une notion ancienne, qui exprime la saine distinction entre le temporel et le spirituel. Il ne s’agit pas de faire de l’Évangile la loi des États et de mettre le Vatican à la tête du gouvernement français ! Le temporel doit être géré par les laïcs. Pour autant, il ne s’agit pas d’une séparation : si l’Église se charge du salut des âmes et l’État du bien-être temporel et du bien commun, les deux sont connectés. Car un homme ne se coupe pas en deux et il est fait à la fois pour vivre heureux ici-bas et pour aller au Ciel ! Dès lors, il faut au moins un dialogue entre spirituel et temporel, ainsi qu’une vraie liberté du spirituel au sein du temporel. Cela, le laïcisme le refuse. Cela étant, il faut souligner que l’encyclique a été écrite dans un contexte particulier : une grande partie des pays d’Europe étaient composés de catholiques baptisés et si les États étaient certes en train de devenir laïcs, la société restait chrétienne dans son fond – ce qui n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Aussi, d’une certaine manière, l’encyclique a besoin d’être réactualisée dans une certaine part, car la place du christianisme dans la société a changé : il n’y avait pas, par exemple, la dimension multiconfessionnelle comme on la connaît maintenant aujourd’hui en France, notamment avec l’islam, etc.

Quelle est l’échelle privilégiée pour faire advenir cette royauté : personnelle, communautaire ?

La royauté du Christ procède par rayonnement. Le thème de la lumière, que Jésus utilise en disant « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14) manifeste bien comment va s’étendre cette royauté du Christ. Comme l’avait dit Jean-Paul II, en 1984 : « Ne tombez pas dans l’erreur de croire qu’on peut changer la société en changeant simplement les structures externes ou en cherchant avant tout la satisfaction des besoins matériels. Il faut commencer par se changer soi-même, en tendant sincèrement son cœur vers le Dieu vivant, en se rénovant moralement, en détruisant dans son propre cœur les racines du péché et de l’égoïsme. Une personne transformée collabore efficacement à la transformation de la société. » C’est le plan de l’encyclique de Pie XI ! D’abord la royauté sur nous-mêmes : le Christ doit être maître chez moi parce qu’il est le Seigneur de ma vie.

Comment procéder ?

Pour cela, il faut s’imposer une règle de vie qui repose sur quatre points. D’abord, nourrir sa vie spirituelle par la prière, qui est la source de tout. Ensuite, former son intelligence. Également, fortifier sa volonté par le combat spirituel. Enfin, observer son devoir d’état : par exemple, quand on est père de famille, le premier des devoirs est d’être présent auprès de son épouse et de ses enfants, de veiller à leur sanctification, de prier avec eux, de veiller à leur éducation, mais aussi de réfléchir à son propre métier. C’est d’abord en œuvrant au côté de là où nous sommes que, petit à petit, l’on pourra viser plus haut ! C’est pourquoi la doctrine sociale de l’Église invite les chrétiens à s’engager dans les métiers au service du bien commun, à la lumière de l’Évangile. Et tout spécialement dans les métiers de transmission, ceux qui permettent de faire rayonner le Christ, comme l’enseignement, la culture, l’information, les médias… On peut aussi aller vers les autres via l’engagement associatif ou même politique au sens usuel du terme, en se mettant au service de son village, de sa ville… tout en se rappelant que Jésus-Christ n’appartient à aucun parti. Bref, à chacun d’essayer de conformer toute sa vie à son message. De manière assez naturelle, cette sainteté personnelle rejaillit en chrétienté, spontanément.

C’est-à-dire ?

On dit souvent que les premiers chrétiens n’ont jamais voulu fonder une chrétienté, une société chrétienne, etc. C’est tout à fait possible qu’ils ne l’aient jamais voulu, mais ils l’ont quand même fait « sans faire exprès » ! Les martyrs, sans faire exprès, ont christianisé l’Empire romain, ou encore les bénédictins, sans faire exprès, par la prière, par la charrue, par la croix comme disait Paul VI, ont christianisé l’Europe. Tout simplement parce qu’ils avaient une certaine sainteté personnelle et que, naturellement, si je crois que le Christ est Dieu et qu’il est bon de suivre sa loi, je vais encourager ceux qui sont autour de moi à le faire et je vais lutter pour assainir les espaces de vie dans lesquels je suis et dans lesquels vivent les hommes. On retrouve cette idée dans le Catéchisme : « En évangélisant sans cesse les hommes, l’Église travaille à ce qu’ils puissent pénétrer d’esprit chrétien les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent. »

La royauté du Christ est-elle une affaire d’évangélisation ?

Naturellement, puisque les structures d’une société possèdent un rôle très important, permettant aux personnes de rencontrer le Seigneur ou, au contraire, de se couper de lui. Pie XII disait : « de la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes. » Le thème du Christ-Roi n’est donc pas un obstacle à la mission : en essayant d’imprégner la société des valeurs qui correspondent à celles de l’Évangile, sans forcer les gens du tout car la foi doit rester libre par nature, on permet aux gens d’avoir un contact avec le Christ, afin de pouvoir être touché par la grâce divine. C’est l’idée des « causes secondes » : le Seigneur se sert des rencontres, des lectures, des discussions, des découvertes culturelles… pour toucher le cœur des personnes par sa grâce. Mais encore faut-il qu’il y ait des églises, des livres, des témoins !

La royauté du Christ est-elle encore concevable dans une société sécularisée ?

La société a beau être sécularisée, les hommes n’ont pas changé : ils ont toujours besoin du bon Dieu. Il y a un appel à la sainteté chez tous les hommes, pas simplement chez les catholiques. Ça n’a pas changé depuis 2000 ans ! À nous d’œuvrer pour que cette rencontre avec le Christ puisse se faire plus facilement, en essayant d’assainir toujours plus les structures de la société pour détruire ce que Jean-Paul II appelait les « structures de péché » qui emprisonnent de manière structurelle les hommes. Cela se fait notamment avant tout dans tout ce qui touche à la loi naturelle.

En quoi la royauté sociale du Christ diffère-t-elle de l’avènement dès ici-bas de la Jérusalem céleste ?

Ce point est capital. D’ailleurs, nous mettons en garde les pèlerins contre cette tentation qui est réelle : on ne cherche pas à remplacer le ciel par une société terrestre parfaite ! Même irriguée par la loi de Jésus-Christ, une société a des défauts, parce que nous restons des hommes et des pécheurs. Si nous pensons qu’une société dans laquelle le Christ est connu et accessible est préférable à une société dans laquelle il est oublié, sa loi combattue et la culture de mort mise en avant, ce mieux est loin d’être la perfection du Ciel ! Dom Gérard Calvet disait : « Si nous cherchons à pacifier la terre, à embellir la terre, ce n’est pas pour remplacer le Ciel, c’est pour lui servir d’escabeau. »

La royauté du Christ ne risque-t-elle pas d’être une tyrannie ?

Le Christ-Roi est le règne de la charité, parce que c’est par amour que le Christ est venu sur la terre. Si l’Église nous pousse à imprégner la société de la douce loi de Jésus-Christ, ce n’est pas pour gagner contre les autres, mais parce que nous sommes animés de l’amour de Dieu et que nous voulons que les personnes puissent le découvrir. C’est pour cela que nous allons consacrer tout le pèlerinage au Sacré-Cœur de Jésus. Parce que c’est ce Cœur qui a tant aimé les hommes qui leur dit à quel point il souffre de l’indifférence et du mépris ! Ce Cœur qui, si les hommes le rencontraient, leur ferait découvrir à quel point ils sont aimés. Quand on parle de royauté du Christ, il peut être tentant pour les chrétiens d’utiliser les armes du monde, celles de la politique politicienne, du mépris, de l’amertume, de la dureté de cœur et d’entrer dans un combat qui assèche l’âme. En se plaçant sous le signe du Sacré-Cœur, nous rappelons à l’inverse que c’est par amour que nous faisons tout cela, nous donnant l’onction et la douceur nécessaires pour être des disciples ajustés dans le service du Christ-Roi. Car cet engagement n’est pas un « combat », au sens guerrier du mot, mais bien un service : la paix du Christ dans le règne du Christ !