Sommes-nous en train de revenir entre catholiques – et plus largement entre chrétiens – sur un débat qui faisait rage aux alentours des années 1960. Sur le type : y a-t-il une politique proprement évangélique ? Et donc un engagement temporel découlant nécessairement de l’étude des Écritures ? On se repose aujourd’hui la question en raison des clivages qui existent chez les catholiques, ne serait-ce que face à la guerre en Ukraine. Dans un récent article de La Croix, Laurent Larcher estimait que sur ce sujet on distinguait trois groupes. Le premier rassemblait les adversaires résolus de la guerre, rejoignant le pape François dans sa volonté de désarmement intégral de la planète. Le second accordait sa sympathie au président russe, Vladimir Poutine, validant ainsi son offensive ukrainienne. Le troisième rejoignait Emmanuel Macron dans son projet de réarmement de l’Europe face à la menace russe.
Pas de complaisance
Il conviendrait sans doute d’apporter plus que des nuances à ce tableau. On pourrait, par exemple, ajouter un quatrième groupe, se réclamant de la prudence en politique. Une prudence qui imposerait l’arrêt des combats, même si c’est au prix de concessions cruelles pour l’Ukraine. Et cela nullement par complaisance ou complicité à l’égard de Poutine, mais par simple réalisme. Cette guerre n’est pas gagnable en l’état actuel des forces, et une surenchère serait dangereuse à tous égards. Il y aurait donc lieu d’arrêter un massacre qui touche notamment les forces de Kiev. Et la solution d’une neutralisation, au moins provisoire, à l’exemple de l’Autriche de l’après-Seconde Guerre mondiale devrait être envisagée. J’avouerais aisément que j’appartiens à ce quatrième groupe qui se distingue du premier envisagé par Laurent Larcher. Car le désarmement intégral de la planète appartient, hélas, à une sorte d’horizon eschatologique qui n’est pas dans nos moyens. Sans doute, ceux qui militent en sa faveur ne sont pas démunis de raisons prudentielles, ne serait-ce que celle qui concerne l’escalade sans fin pour surclasser l’adversaire. Il y a eu d’ailleurs dans le passé des accords limités pour modérer cette surenchère périlleuse.
Quant à la volonté des nations européennes, singulièrement celle de l’Allemagne, d’assurer une défense autonome d’autant plus urgente que l’on craint un désengagement américain, elle se comprend aussi. Le problème réside dans la participation à un accord avec les États-Unis pour parvenir à un règlement de paix en Ukraine.
Raison et sagesse
De quelque façon qu’on envisage la situation et les choix possibles, on est amené à réfléchir à l’aide d’une prudence politique indispensable. Dans le monde dangereux qui est le nôtre, les sentiments les plus nobles ne suffisent pas. Nous avons besoin de cette vertu, illustrée aussi bien par Aristote que saint Thomas d’Aquin, qui est tout simplement celle des hommes d’action. Si l’on se réfère à l’étymologie grecque, la phronèsis, c’est d’abord la raison et la sagesse, et sur le terrain de l’action, le soin et le souci du bien des communautés humaines, notamment de leur sécurité.
Dans quelle mesure l’éclairage évangélique peut-il éclairer ce souci et ce soin ? Le Christ ne nous invite nullement à fermer les yeux sur les réalités. Il lui arrive même d’évoquer la prudence des serpents. Il parle aussitôt après de la simplicité des colombes (Mt 10, 16). On pourrait peut-être traduire cela par le conseil de regarder la réalité de la façon la plus sagace mais de ne jamais oublier que la vocation chrétienne implique aussi de ne pas se laisser corrompre par la perversité du monde.