Les joies et les peines d’une double appartenance (évangélique et catholique) - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Les joies et les peines d’une double appartenance (évangélique et catholique)

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Dans moins de deux semaines je ferai une intervention à Atlanta à l’assemblée annuelle de la Société philosophique évangélique (EPS). C’est une association dont je suis membre depuis 1988. Elle se réunit chaque année avec un aréopage bien plus important, la Société théologique évangélique (ETS). J’ai été le 57e président de cette dernière avant de renoncer à la fois à cette présidence et à ma qualité de membre en mai 2007, une semaine après avoir été réintégré dans l’Eglise catholique de ma jeunesse.

Depuis novembre 2007 j’ai participé à cinq réunions conjointes de ces deux sociétés (EPS/ETS). Certains de mes amis catholiques se sont déclarés stupéfaits (et consternés) que je continue à me définir (avec les réserves appropriées) comme une sorte d’évangélique, bien que j’ai à de nombreuses occasions émis des évaluations critiques des courants dominants de la théologie évangélique qui se distinguent des enseignements de l’Eglise catholique.

Par exemple, j’ai contesté l’interprétation par les protestants de la doctrine de la justification, soutenu la succession apostolique, le sacrement de pénitence et la transsubstantiation, ainsi que la possibilité d’accepter l’évolution théiste (tout en rejetant, bien sûr, le naturalisme philosophique). J’ai expliqué en 2010 et 2011 comment mes propres réflexions sur la nature de la Réforme avaient contribué à mon retour dans le giron de l’Eglise catholique. Et pourtant je continue à assister aux réunions conjointes EPS/ETS aux côtés d’érudits, d’écrivains et d’enseignants qui, à quelques exceptions près, sont en désaccord avec moi sur ces questions. Pourquoi ? Pour deux raisons.
Tout d’abord, en tant que catholique, j’ai beaucoup à apprendre de mes amis protestants. Bien que j’aie passé près de trente ans dans le monde des évangéliques, j’étais en fait dans une branche restreinte du protestantisme américain. Par une sorte de paradoxe, quand j’ai commencé à penser de nouveau à l’Eglise catholique il y a une dizaine d’années, j’ai été amené à étudier la vaste variété de traditions du monde protestant, dont certaines ont contribué à éclairer ma compréhension de la doctrine catholique. Ce qui ne devrait pas surprendre. Car, comme le Catéchisme de l’Eglise catholique nous l’enseigne, «beaucoup d’éléments de sanctification et de vérité existent en dehors des limites visibles de l’Eglise catholique : la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l’espérance et la charité, d’autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d’autres éléments visibles. L’Esprit du Christ se sert de ces Eglises et communautés ecclésiales comme moyens de salut dont la force vient de la plénitude de grâce et de vérité que le Christ a confiée à l’Eglise catholique. Tous ces biens proviennent du Christ et conduisent à Lui et appellent par eux-mêmes l’unité catholique ». [par.819].

Nos frères évangéliques sont, comme l’Eglise l’enseigne, nos frères et sœurs dans le Christ. Il est vrai que nous sommes des frères séparés, ce dont aucun catholique ou protestant ne devrait être fier. (Comme je l’ai signalé sur ce site il y a plusieurs années, célébrer le grand schisme qui a divisé la christianité d’Occident équivaudrait à célébrer son divorce, même si vous jugez que le divorce était justifié). Toutefois, le schisme de la Réforme n’a pas seulement entraîné une perte de l’unité, mais aussi une fragmentation des talents, des piétés, des dons et des cultures.

Pensez, par exemple, comment l’existence d’un catholicisme anglais non schismatique aurait influé sur le développement et la spiritualité du christianisme d’Occident. A cause de la Réforme anglaise, l’Eglise catholique a perdu non seulement les Anglicans, mais aussi tous les groupes qui sont sortis de la communion anglicane après la Réforme : les baptistes, les puritains et les méthodistes. Si chacun d’entre eux, avec son propre ensemble de pratiques et de disciplines, avait eu la possibilité de s’épanouir dans les limites de l’église universelle, il y aurait eu un enrichissement mutuel ainsi qu’un frein organique à la croissance de l’hérésie.

La deuxième raison pour laquelle je continue à m’identifier aux évangéliques est viscérale. J’aime ces gens-là. Ils prennent leur foi au sérieux d’une manière qui dérange les catholiques rigides. Vous pouvez vraiment débattre avec eux de l’orthodoxie, de l’hérésie et de l’apostasie sans mise en garde préalable. Et contrairement à la plaisanterie conventionnelle, « la haine » ne surgit jamais de ces débats. [Allusion à un article dont le titre est « Théologie et haine »]. En fait, ce qu’on ressent c’est le genre de fraternité et d’affection qui émerge quand des personnes sérieuses qui se respectent se lancent à dessein dans une longue discussion serrée à l’ancienne mode.

L’an dernier, par exemple, le président de la Société théologique évangélique, Thomas R.Shreiner, a choisi, dans son discours lors du banquet annuel, de critiquer ma défense de la doctrine catholique de la justification. (En fait, son nouveau livre comprend un chapitre fondé sur cette allocution : « Le retour de Frank Beckwith à Rome »). Il m’avait envoyé un courriel deux jours avant la réunion pour me prévenir. Son message était aimable, généreux et plein de respect. Ai-je été offensé ou tenté d’écrire à mes amis pour orchestrer une campagne afin d’arrêter cet échange? Vous plaisantez ! J’étais honoré.

Tom, comme moi, aime le Christ. Mais il pense que j’ai tort en ce qui concerne la doctrine de la justification. C’est assez important à ses yeux pour qu’il me critique en public dans une salle remplie d’hommes et de femmes que je respecte profondément. Qu’est-ce qu’un professeur désirant être pris au sérieux comme moi aurait pu souhaiter de mieux ?

En outre, nous vivons à présent une époque où nous tous qui – quelles que soient nos convictions religieuses – prenons les Ecritures et les débats théologiques au sérieux sommes engagés dans une tâche commune qui nous sépare du climat culturel et des courants dans nos propres Eglises qui préfèrent l’esprit du temps à la tradition chrétienne. Dans nos combats actuels, nous les catholiques avons beaucoup à enseigner. Nous pouvons aussi beaucoup apprendre de nos camarades, les évangéliques, qui ont vigoureusement œuvré dans la vigne du Seigneur pour contrer certains des mêmes défis.

Jeudi 5 novembre 2015

Photographie : Billy Graham et saint Jean-Paul II en 1993.

Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études sur les rapports entre l’Eglise et l’Etat, et codirecteur du programme d’études philosophiques de la religion à l’Institut d’études de la religion de l’Université Baylor à Waco (Texas).

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/05/the-joys-and-burdens-of-being-both-evangelical-and-catholic/