Yézidis et chrétiens - France Catholique
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Yézidis et chrétiens

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Je ne suis pas un spécialiste des Yézidis de Mossoul et de ses environs (à présent en exil). Je ne suis pas davantage un spécialiste des chrétiens assyriens de cette région ni des chrétiens où qu’ils se trouvent. Les juifs aussi constituent pour moi une énigme, malgré mes études en religion comparée. Mon incompréhension s’étend à d’autres religions, nationalités et tribus. Elles restent insondables pour moi. Et il y a des jours où je ne me comprends pas moi-même non plus.

Mes convictions chrétiennes (sincères je l’espère), par exemple. Elles ne se justifient guère dans une logique de rentabilité. Du point de vue d’un économiste professionnel qui part de l’hypothèse que l’être humain recherche son « intérêt économique », ma conversion au catholicisme a été la plus grande bêtise de ma vie.

Mais si on parle de l’Iraq, être un Yézidi semble plus bête encore. Ou être un chrétien assyrien pendant que nous y sommes : tous cherchent à vous tuer. Autant se rallier aux persécuteurs !

Je parle des Yézidis parce que, vus à distance, ils sont « étranges ». Ils m’ont fascinés lors de mon voyage en Iraq, il y a longtemps, après le coup d’Etat baassiste, mais avant Saddam Hussein. Ce dernier leur offrit une certaine protection par défaut parce qu’il était occupé à massacrer d’autres gens et voulait garder le droit exclusif de décider dans ce domaine.

Les Yézidis vivaient sur des collines, les rochers arides qui se dressent dans la plaine alluviale de la Mésopotamie. Ils venaient en ville pour commercer et étaient tolérés. Bien que les fidèles de toutes les autres religions les aient toujours traités « d’adorateurs du diable », et ce depuis des siècles.
Sinon, ils restaient entre eux. Leurs temples, pour autant que je puisse en juger, n’étaient pas des chefs-d’œuvre d’architecture ; mais je n’ai vu que des photographies, prises clandestinement.

Comme les autres monothéistes, ils croient en une créature qu’ils appellent « Dieu ». Mais là où cela devient intéressant et troublant, c’est que cette tribu étant illettré depuis la nuit des temps, leur révélation leur a été transmise oralement … nul ne sait quand.

Il y a sept anges dans cette religion, à ce qu’il me semble. Melek Taous, « l’ange- paon », a été chargé par Dieu de veiller sur la Création depuis le début. Il n’est pas fiable; mais je pense que l’identifier à Satan serait aller trop loin. L’idée de se soumettre à un agent cosmique considéré comme retors et imprévisible me paraît étrange. Parfois cet « ange-paon » devient très méchant ; mais parfois aussi, il pleure et demande pardon à Dieu. La seule certitude, c’est qu’il conserve un grand pouvoir sur le monde.

Je pense (et rappelez-vous, je ne suis pas un expert) que l’attitude des Yézidis à l’égard des êtres spirituels est « l’art du compromis ». Attitude qui est peut-être celle de la plupart des religions païennes : « Ne prenons pas parti pour le bien ou le mal, cela pourrait nous coûter cher ». Mieux vaut négocier au cas par cas.

Ceux que j’ai vus (à Mossoul) semblaient timides et aimables, et plutôt séduisants tout de blanc vêtus, mais je le répète, que pouvais-je affirmer ? A l’époque, leur devise semblait être « Vivre et laisser vivre ». On m’a dit qu’ils supportaient très bien les insultes ; ce qui, du point de vue de sunnites de nature plus agressive, en faisait des proies peu intéressantes. (Les Assyriens étaient, eux aussi, habitués à faire fi des insultes).

Ce qui m’intriguait, c’était la possibilité que leur attitude soit moins le fruit des circonstances que d’une croyance religieuse : le monde est rempli de démons et les compromis avec eux sont ce que Dieu attend normalement des hommes. Il faut rester neutre, ne jamais prendre parti. Ce qui exige le respect d’une stricte « endogamie » pour la survie de la tribu : l’obligation non seulement de se marier dans la tribu, mais aussi de vivre exclusivement au sein de celle-ci. En évitant tout contact extérieur superflu.

Malheureusement pour eux, Daech est arrivé. Des centaines de milliers d’entre eux ont été massacrés ou contraints à l’exil. On ne peut, semble-t-il, conclure de marchés qu’avec des démons « modérés ». Mais le véritable démon sous forme humaine, fanatique et tout-puissant, n’est pas du genre à négocier.
J’ai déjà dit que je ne me prends pas pour un expert. Les Yézidis sont pour moi un aussi grand mystère que la majorité des évangéliques, des protestants ordinaires de la classe ouvrière et des catholiques, les employés de bureau et les autres, qui vivent dans notre société post-moderne en Amérique du Nord.
Cela ne veut pas dire qu’ils ne « croient » pas en la présence du mal dans le monde ; ou que, le ciel nous en préserve, ils ne croient pas en Dieu. Un grand nombre d’entre eux vont à l’église, comme Melania Trump avec son mari, à l’en croire : apparemment, une bonne église presbytérienne où, de même que dans la plupart des églises catholiques et autres, on vous apprend à se sentir bien dans sa peau (du moins, c’est la rumeur qui court).

En vérité, je tiens de Charles Murray et d’autres que les riches en Amérique sont plus susceptibles d’aller à l’église que les pauvres ou « les classes défavorisées ». Ce sont d’agréables endroits bourgeois où on peut fréquenter ses pairs, des gens de la même tribu.

Il n’y a pas que les riches, bien sûr. Il existe des églises pour les blancs et des églises pour les noirs, et pour toutes les nuances de peau basanée; des églises pour les riches et pour les pauvres et pour tout segment imaginable de la population. Et après le service, il y a un pot amical où « tout un chacun » est invité. C’est on ne peut plus charmant.

J’ai essayé de décrypter les statistiques et les sondages, surtout les sondages à l’entrée des bureaux de vote effectués par des méthodes scientifiques modernes, qui ventilent les votants par âge, « genre », revenu, « niveau d’instruction », affiliation religieuse etc. Les politiciens « charismatiques » (on pense tout de suite à Obama et Trump) semblent dépasser tous les clivages.
Je suis particulièrement fasciné par le fait que la rubrique « religion » a cessé d’être très utile pour prévoir l’éventail des suffrages. En tant que chrétien, et que catholique converti et zélé, je trouve difficile d’imaginer que même un chrétien « modéré » puisse voter pour quelqu’un qui mériterait vingt fois d’être frappé d’anathème si on appliquait les prescriptions élémentaires du catéchisme.

Ce n’est pas que le christianisme se meure en tant que tel. Il y a sans doute des millions de paroissiens en moins le dimanche qu’autrefois, mais il en reste encore des millions. Pourquoi est-il si difficile, voire impossible, de regrouper les électeurs de cette catégorie dans les sondages ?

Ma théorie, c’est que leurs idées et la structure de leurs croyances « évoluent » au point de se rapprocher d’une vision théologique de l’ordre de celle des Yézidis. Acceptons un compromis avec le démon, pensent-ils, et, dans sa bonté, il nous laissera tranquilles.

Vendredi 4 mars 2016

https://www.thecatholicthing.org/2016/03/04/yazidis-christians/


Photographie : Temple yézidi à Lalech (situé à plusieurs centaines de kilomètres au nord-ouest de Bagdad.

David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un collaborateur du Ottawa Citizen. Il est un spécialiste du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.