Union européenne : le piège de la dramatisation - France Catholique
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Union européenne : le piège de la dramatisation

À la Sorbonne, le 25 avril, Emmanuel Macron a précisé sa vision de l’Union européenne, près d’un mois avant les élections. Si le chef de l’État a défendu une stratégie de « puissance », les moyens de sa concrétisation restent incertains.
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Discours sur l'Europe, 25 avril 2024.

© X-Twitter / Emmanuel Macron

Certes, l’intervention du président de la République n’était pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Alors que la tête de liste de Renaissance, Valérie Hayer, est à la peine dans les sondages – elle est désormais talonnée par Raphaël Glucksmann pour le Parti socialiste – le chef de l’État voulait sans doute lui donner la caution de son magistère en détaillant sa vision du projet européen. Créer une « Europe forte » qui se fasse « respecter » ; élaborer une « initiative européenne de défense » ; développer une « capacité européenne de cyberdéfense et de cybersécurité » ; inciter à la « préférence européenne » en matière d’acquisition de matériel militaire ; retrouver la « maîtrise des frontières » ; accélérer le financement des technologies de pointe et la décarbonation ; réguler Internet et y assurer la protection des mineurs…

Une stratégie payante ?

Le ton était fort, voire dramatique… « Notre Europe aujourd’hui est mortelle. Elle peut mourir et cela dépend uniquement de nos choix » a-t-il asséné, s’inspirant de la célèbre citation de Paul Valéry. Un artifice rhétorique ? Dans Le Figaro (26/04), Louis Haushalter estime qu’il s’agit d’« une dramatisation pour venir à la rescousse d’une campagne en mauvaise posture ». Cette « entrée en campagne », comme Le Monde (26/04) qualifie cet événement, peut-elle se révéler efficace pour redresser le tir ? Dans son éditorial de France Info (26/04), Renaud Dély se montre dubitatif. L’expérience montre que jouer sur les peurs ne produit pas les effets escomptés. « Quand Emmanuel Macron a évoqué l’hypothèse d’envoyer un jour des troupes au sol en Ukraine pour repousser la menace russe, la liste de la majorité n’a tiré aucun profit dans les sondages d’intentions de vote pour les Européennes de cette dramatisation », observe-t-il. Interrogé sur CNEWS (26/04), Philippe de Villiers estime que ce discours dépasse la dimension politique. « C’est un discours majeur, [Emmanuel Macron] a congédié l’article 5 de la Constitution qui dispose que le président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de du respect des traités […]. Il a substitué la souveraineté européenne à la souveraineté nationale », analyse-t-il.

Retour du tragique

Pour autant, l’état des lieux dressé par Emmanuel Macron est-il dénué de toute pertinence au regard des évolutions du contexte ? À plusieurs reprises déjà, il a évoqué le « retour du tragique » en Europe, comme dans un entretien accordé à la NRF en mai 2018, ou devant le Parlement européen en 2022. L’irruption d’un conflit de haute intensité aux portes de l’Europe, en Ukraine, suffit à en faire la démonstration. Mais on pourrait ajouter aussi la menace terroriste croissante, l’immigration incontrôlée, les risques cyber ou le désordre environnemental. En l’espèce, on ne saurait reprocher à celui qui préside de faire preuve de lucidité et de fixer des caps. Mal nommer les choses…

Le piège du catalogue

Plus nuancé que bon nombre d’observateurs sur le discours de la Sorbonne, Nicolas Beytout estime dans L’Opinion (26/04) qu’il y avait « dans ces presque deux heures de prestation, ce qu’il faut d’innovations, de ruptures, d’audaces. Sur la défense, sur la souveraineté, sur les nouvelles conditions de la puissance et la façon de se faire respecter, sur la croissance, les projets industriels, mais aussi la lutte contre les géants du numérique et leurs excès de pouvoir ». Mais, estime l’éditorialiste, « le plus dur sera […] de donner une identité à tout cela. C’est le défaut des catalogues et le péché mignon du président, faire long rend difficile la synthèse ».

La proposition de trop ?

Sans compter qu’Emmanuel Macron a ajouté samedi une proposition complémentaire à ce catalogue, à l’occasion d’un entretien accordé aux journaux du groupe Ebra : une défense européenne avec l’arme nucléaire. Il s’est dit prêt « à ouvrir ce débat qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine ». La proposition, avancée sans concertation, n’a pas manqué de faire bondir les oppositions de droite et de gauche. « Un chef de l’État ne devrait pas dire cela. Cette expression est d’une gravité exceptionnelle, parce que là nous touchons au nerf même de la souveraineté française », a ainsi commenté François-Xavier Bellamy, tête de liste LR, lors du grand RV Europe 1 / CNEWS / Les Echos (28/04). « Sous couvert de défense du sol européen, Macron veut liquider l’autonomie stratégique française », a pour sa part jugé le député LFI Bastien Lachaud sur le réseau social X (28/04). Paradoxe d’un volontarisme qui se prive de recul, de concertation et de moyens… Emmanuel Macron « a appelé à une réorientation profonde des paradigmes européens, mais force est de constater que, même revisité, tout ce qui faisait la doxa européenne reste » analyse ainsi Philippe Nguyen dans Causeur (26/04).