Les héritiers des pères fondateurs catholiques des traités européens, de Robert Schuman à Jacques Delors (pour ne parler que de la France) se cacheraient dans leur ombre ou auraient changé de camp (cas de feu Maurice Schumann). On les accusait de tous les maux : de la démesure opaque de Berlaimont aux appétits d’indépendance des régions qui demandent à exercer leur droit à l’autodétermination. La présence cléricale dans les couloirs (lobbys) de Bruxelles est dénoncée tout autant : elle soutiendrait des partis autonomistes ou sécessionnistes basque, catalan, flamand, hier nord-irlandais, slovaque ou croate. Il n’y a guère qu’en Écosse où le facteur religieux ne soit pas identifié comme tel — il serait presbytérien. Quoique le souvenir des Stuart aidant, on ne sait jamais s’il n’y a pas quelque anguille (ou saumon) sous roche ?
L’Église serait-elle au contraire hostile non seulement au nationalisme exacerbé mais encore au nationalisme tout court et même à la « nation » en général ? Mais ces vocables recouvrent tant de réalités différentes. Les deux États-nations les plus récents en Europe, l’Allemagne et l’Italie, se tiennent aujourd’hui à l’abri des revendications régionalistes : aucun Land ne se plaint de son statut ; la Ligue du Nord a sombré sous une Padanie introuvable. Ce sont au contraire les royaumes les plus anciens et les mieux établis, l’Espagne et la Grande-Bretagne, qui sont la cible majeure des autonomistes — la Belgique étant un cas à part.
L’on se sortirait avantageusement de tels dilemmes si l’on retrouvait le sens de la subsidiarité. Le principe, qui a son origine dans le droit canon, est simple : tout ce qui peut être mieux traité au niveau subsidiaire ne doit pas remonter au niveau supérieur. Contrairement à ce que l’on croit généralement, le principe du fédéralisme n’est pas différent. C’est par une déviation récente, datant de la crise économique de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale, qu’il a basculé des droits des États fédérés au profit du renforcement de l’État fédéral ou État central.
La République fédérale allemande après la Seconde Guerre est revenue à la forme initiale, d’où aujourd’hui sa forme apaisée.
L’Europe fédérale, plutôt qu’un slogan au profit du centralisme bruxellois, devrait au contraire être défendue à son encontre, pour un retour des pouvoirs aux entités subsidiaires : ce qui inclut les États-nations aussi, des régions sub-étatiques comme éventuellement des régions supra-étatiques : le besoin de regroupements des petits États entre eux (comme dans les Balkans ou l’Europe centrale ou l’Europe nordique) pourrait s’avérer aussi avantageux que le besoin de créer de grandes régions ou de favoriser les intercommunalités des métropoles au sein des grands États comme la France, l’Italie, l’Espagne ou la Grande-Bretagne.
Il n‘y a pas lieu d’imposer une uniformité contraire à la richesse d’imagination de la vie en société. Toutes sortes de formules peuvent être créées. Ce qui est vrai pour une région ou une cité n’est pas nécessairement valable pour une autre. Quand donc en finira-t-on avec les statuts identiques ? Quand reviendra-t-on à l’inventivité de l’ancienne France, comme l’Allemagne a su garder ses particularismes historiques (la ville de Brême est un État [Land] au même titre que la Bavière) ?
Faisant fi des catégories juridiques — souvent purement nationales —, on confond parfois État fédéral et État confédéral. Il ne faut pas se laisser arrêter par des considérations doctrinales. Il fut un temps où ce sont les gaullistes qui parlaient d’Europe fédérale et où les fédéralistes (américains) prônaient un État fédéral fort. Le terme était moteur, les interprétations multiples. Aujourd’hui les Bruxellois ont réussi à faire honnir le vocable. Revenons donc à la subsidiarité !