Un an plus tard - France Catholique
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Padre Pio, ses photos inédites
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Un an plus tard

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Ces deux dernières semaines, nous avons vu certains de nos collèges et universités en train de sombrer, avec des administrateurs dépassés par les clichés qu’ils avaient été heureux, au long des années, d’honorer et de laisser incontestés. Ma femme Judy qui est morte, a été pendant 38 ans directrice des publications universitaires à l’université George Washington. Tout ce qui était publié sous le sceau de l’université devait lui passer entre les mains, même les textes des cours.

Récemment, j’ai retrouvé un mémo qu’elle avait écrit au milieu des années 90, dans lequel elle reconnaissait que finalement elle ne pouvait pas « se tenir à l’écart des guerres canoniques ». Elle gérait des propositions de créer, pour les études de doctorat, de nouveaux domaines pour « la littérature Afro-américaine, et Américano – asiatique ». Elle faisait la remarque suivante : « Ne pourrait-on dire que l’ensemble des œuvres, quelque peu mince, en littérature Américano – asiatique, présente des analogies avec l’effort de création qui il y a plusieurs siècles, a tissé la légende de Beowulf, et les œuvres de Chaucer, Spencer, Shakespeare, Marlowe, Bacon, Webster, Jonson, Milton, Donne, Dryden et autres. »

Plus tard, j’ai été frappé par le fait que tous ces écrivains, elle les avait étudiés intensément elle-même. Mais si l’université s’ouvrait à de nouveaux domaines grandioses, si pointus, elle avait une autre suggestion à faire : « Ouvrons vraiment largement tout cela et ajoutons un domaine avec les œuvres d’expatriés viennois qui vivaient à moins d’un mille de l’université de Chicago, 1945 – 1955. »

Cette courte note reflétait la sensibilité et l’humour sardonique de mon épouse. Depuis sa mort, j’essaye de retrouver un peu plus cette sensibilité en relisant les livres qu’elle aimait – en particulier Middlemarch, et même certains romans d’Angela Thirkell, qui nous donnent essentiellement un avant-goût de ce que Jane Austin aurait pu écrire si elle avait raconté la vie dans la campagne anglaise sous le gouvernement travailliste de l’après-guerre. J’ai aussi lu le livre que a fait pleurer Judy peu de temps avant sa mort, « Les amants de Sylvia » de Madame Gaskell, une histoire émouvante et finement ciselée.

Mais j’ai aussi retrouvé des caches avec des lettres, et mon propre journal familial, des années 1970 et 1980. Je ne sais pas pourquoi la simple vérité a mis si longtemps à apparaître : Je passe tellement de temps à lire des livres, biographies comprises, est-ce que cela n’aurait pas vraiment un sens, avec la mort de Judy, de commencer à lire attentivement le livre de ma propre vie ? Repassant rapidement le passé dans ma tête, les années 60 et 70 peuvent être quelque peu estompées. Mais ces années étaient vécues jour après jour, et en relisant ces lettres et ces notes, je me rends compte que je revis la vie de Judy jour après jour.

Voilà la lettre de Judy au directeur du Lycée, sans rancœur, mais pointant vertement le fait que notre fils aîné avait été accablé en maths d’un travail si élémentaire qu’il avait fait surgir l’ennui, et avec l’ennui, les méfaits. Mes propres notes faisaient état d’une bagarre entre nos fils, et l’aîné, Peter, qui avait 9 ans, avait eu recours à ses histoires favorites de Tin Tin, et protesté : » J’ai fait des excuses convenables,…je demande une insulte convenable ».
J’ai pu ressentir le désespoir de Judy en trouvant un paquet d’une quarantaine de lettres, élaborées chacune séparément. Elle postulait pour des postes d’éditrice dans n’importe quel type d’entreprise, alors que les enfants étaient occupés toute la journée à l’école. Elle a cherché un travail à Washington quand j’ai gagné une bourse pour passer un an à l’Institut Smithson. Mais comment pouvait-elle se proposer pour un travail substantiel, alors qu’elle devrait y renoncer au bout d’un an pour retourner à Amherst et à « l’oisiveté » ?

Finalement, elle a trouvé le travail idéal et la solution, pendant un petit moment, fut de faire les trajets : Elle revenait chaque week end nous retrouver, les enfants et moi, à Amherst. Cela mettait une tension dans sa vie, le fait d’être loin de la famille, même seulement quelques jours. Une note pendant le trajet en avion : « Distribue des baisers de ma part, et envoie leur ma tendresse, (aussi pour toi). Je t’aime. Judy »

Parfois, c’était moi qui prenais l’avion. La dernière fois qu’ elle m’a déposé à l’aéroport, je lui ai dit qu’il n’y aurait plus que 3 allers et retours, et qu’ensuite, je serais avec elle pour de bon.

Nous venons de passer le premier anniversaire de sa mort, le 13 novembre, et le Frère Arne Panula a célébré vendredi dernier à midi une très belle messe pour elle. Mais en fait elle était morte un jeudi. Je me préparais jeudi dernier, à aller à un dîner en smoking, quand j’ai réalisé que c’était précisément le moment où la nouvelle m’avait écrasé il y a un an.

J’avais pris l’avion en provenance d’Amherst, et j’étais arrivé à l’hôpital à 6 h 30, pour apprendre seulement à ce moment-là la triste nouvelle. Et soudain, j’ai ressenti dans mon estomac ce que cela avait été de rentrer cette nuit-là dans notre appartement – noir, vide et silencieux.

Je supplie mes lecteurs d’être indulgents si je mentionne tout ceci maintenant, car nous avons vécu une semaine pleine de tumultes dans les campus, les attentats à Paris, et les échos des troubles dans le monde. Mais en ce moment, il m’est impossible de donner priorité à tout cela, quand je fais face à l’anniversaire de ce que j’avais anticipé depuis si longtemps, et qui ne laisse que des bribes de sens pour tout le reste. Ce que je peux dire, c’est que, au cours de cette année dans un état inhabituel, essayant de suivre mon chemin sans elle, je revis la vie de Judy avec ces lettres et ces notes, et elle demeure vivante avec moi chaque jour.

17 novembre 2015

Photo : Judy Arkes

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/17/a-year-later/