En souvenir de Michael Novak - France Catholique
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En souvenir de Michael Novak

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Le premier livre de Michael Novak , Le Tibre était d’argent, un roman, racontait l’histoire d’ un séminariste à Rome, qui rencontre une jeune femme qui l’enchante. Et l’intrigue, si familière, si en accord avec l’époque, était en place : Deviendrait-elle l’unique nécessaire qui le ferait abandonner la vocation qui l’avait attiré ?

Le tour particulier que le jeune écrivain a donné à son roman, est qu’elle n’y arrivait pas. Il ne « sautait pas le pas ». Mais la tentation, présentée avec précision par Michael, offrait les descriptions les plus précises du jeune auteur lui-même. Cela expliquait, mieux que tout, pourquoi lui-même avait finalement décidé de quitter Rome et sa préparation à la prêtrise.

A propos de son héros, Richard McKay, il écrivait :

Il était humain. Il aimait l’art, les villes, les gens. Tout le captivait ! Les gouvernements, les réformes, les demandes en mariage, tout ce qui pouvait concerner la cité terrestre. Construire tout ce qui était vrai et bon, le conserver… C’était tout ce qu’il souhaitait sur terre.

Michael a quitté Rome et ses études en 1958, à vingt-cinq ans. Ce premier roman a été publié trois ans plus tard, et juste deux ans après qu’il ait rencontré à Cambridge, la jeune femme qui l’a enchantée comme avait été enchanté son héros, Richard McKay. Mais il était alors libre d’épouser Karen Laub, une artiste très douée de l’Iowa.

Il était entré au séminaire à quatorze ans, et bien qu’il ait renoncé à cette vie-là, il n’a jamais regretté les onze années qu’il y avait passées : « A la base, j’aimais les études, les prières, l’atmosphère de charité et de culture ». Et ce sens des choses est ce qui peut le mieux rendre compte de ce qu’était ce jeune homme qui devait s’immerger dans le monde et devenir un de nos écrivains les plus sensés, aussi bien en politique et économie, qu’en théologie et sur l’Eglise.

Il abordait tous ces sujets avec une imagination qui voyait, dans certains des actions les plus ordinaires et prosaïques, des actes touchés par la grâce. Il pouvait voir dans les églises des espaces sacrés, destinés à se voir épargner les intrusions vulgaires des gouvernements. Et il pouvait voir le sens spécial attaché aux champs de bataille et aux terrains de baseball, portant des souvenirs de blessures reçues et de victoires gagnées.

Il n’a jamais cessé d’être un théologien et le plus sérieux dans l’étude du catholicisme, et du coup il n’a pas une seule fois hésité sur ce que pourraient être à son avis les questions fondamentales – questions sur Dieu, sur l’incarnation et la résurrection, et le besoin de vivre nos vies dans ce monde d’une manière qui nous rendrait plus prêts pour la vie future.
Et pourtant, il n’était pas un théologien perdu dans les nuages. Il était fasciné par la rudesse de la vie, et il voyait le sens le plus profond de la créativité et de la dévotion, dans ces petites actions telles que démarrer une nouvelle entreprise, ou faire vivre une famille.

Il était capable d’écrire avec éloquence sur les mystères de la Trinité, mais c’était aussi important pour lui d’être clair sur les vérités qui nécessitaient que le monticule du lanceur au Base Ball, soit à une distance précise et exacte du marbre. Et c’est un fait qu’en Base Ball, il a trouvé ces subtils équilibres de pouvoir reflétant les principes qui mettaient un ordre juste dans la politique et l’économie et beaucoup d’autres choses dans l’univers : « si l’on permet que le monticule du lanceur soit rehaussé de plusieurs centimètres, ou si on autorise des battes d’une nouvelle matière, ou plus lourdes, (ou si on rapproche de 40 centimètres la première base du marbre) …les équilibres nécessaires sont subtilement changés. »

Une fois, il a dit qu’il avait voulu être un écrivain depuis le CE1. Et l’un des faits qui le définissent le mieux, c’était qu’il vivait pour écrire. Il pouvait écrire sur l’histoire et les détails matériels du Baseball, ou sur la métaphysique des sports, aussi bien que sur la bataille de Lépante. Il pouvait écrire sur n’importe quoi parce qu’il s’intéressait ardemment à tout ce qui existe dans la création, et aux idées morales qui faisaient agir ces créatures qui étaient le sommet de la création.

Il a écrit environ quarante-cinq livres, dont un roman sur l’inondation de Johnstown, prêt pour l’impression au moment de sa mort. Et il avait toujours un projet, était toujours prêt à démarrer un nouveau livre.

Un jour, il a écrit « Je n’ai jamais eu de mal à m’identifier aux pauvres. Je suis né parmi eux. Johnstown, en Pennsylvanie, dont les aciéries se dressaient et se voyaient depuis une vingtaine de kilomètres…flanquées de collines vertes et pentues, était un bon endroit pour grandir, parmi des gens simples et solides. » Quand il y est allé, l’automne dernier, pour assister à un enterrement, il a été frappé de voir les cours et les collines pleines d’affiches en faveur de « Trump » Ces gens autrefois étaient fidèles aux démocrates, et aux syndicats, mais leur dérive politique s’éloignant de la gauche, reflétait celle de Michael. Le parti de l’avortement et du mariage homosexuel avait pris un tour culturel, tout à fait détaché des intérêts de ces gens « simples et solides ». Et il était maintenant totalement méprisant des convictions morales et religieuses qui rassemblaient les loyautés de ces gens-là.

Le 1 Janvier, Je suis allé à la messe avec Michaël à la Maison des Etudes des Dominicains, à côté de l’immeuble où il habite, près de l’Université de Washington. Il était étonnamment optimiste à propos de la chimiothérapie qu’il devait envisager pour traiter son cancer, mais il était clair, également, qu’il n’avait pas peur de mourir. Parce que, disait-il, « je reverrais Karen plus tôt. »

Karen est morte il y a sept ans. A cette phrase, il a remarqué quelque chose dans mon expression. Il a souri, et a dit : « tu n’as pas encore complètement absorbé cette manière que les catholiques ont d’envisager les choses. » Il savait que je me demandais de mon côté : « Pourrai-je un jour revoir ma Judy bienaimée ? »

Il avait été l’une de ces forces personnelles et très chères qui m’avaient guidé à finalement intégrer l’église catholique il y a sept ans. Il voulait tellement que je communie avec lui. Mais il me distillait aussi ces bribes de sagesse qui facilitaient mon chemin et encourageaient mon évolution. « C’est une Eglise de pécheurs, disait-il, faite par des pécheurs pour les pécheurs ». Et l’argument vraiment décisif : « Si tu es catholique, au moins, tu es juif. »

Et en effet, depuis que j’ai intégré l’Eglise, je n’ai jamais eu l’impression d’être moins juif. Michaël y ajoutait une élégante clé de voûte avec ses conférences sur la fondation des Etats Unis, et sa vision remarquable de la « métaphysique hébraïque » qui imprégnait la Déclaration d’Indépendance. Nous pourrons entendre la voix de Michaël dans les écrits qu’il nous a laissés, et dans des enregistrements. Et pourtant, la dure vérité fait son chemin en nous : Il ne sera plus là pour nous dispenser son amour et ses conseils, son bon sens politique, toujours calme, jamais dans l’angoisse, jamais sans espérance.

Henry James a un jour décrit une scène à Rome, au crépuscule place saint Pierre, avec la foule des colporteurs, vibrant de jeux et de conversation, et il remarquait que le spectacle était aussi vaste et ouvert que la grande Eglise elle-même, « qui n’avait pas de petites pruderies à appliquer. » Michaël Novak était aussi ouvert dans ses buts que cette Eglise dans laquelle il avait été élevé et nourri – et que, à un âge plus avancé, il était capable de conseiller et d’instruire à son tour. Il a rempli le monde de ses enseignements, comme il a rempli la vie de ses amis par sa culture et son amour.

Adieu, mais pas pour toujours

Michael Pakaluk

« Je te verrai de l’autre côté ». Ce court message, peut-être (en ce qui me concerne) exagérément optimiste, est ce que j’ai pensé envoyer à mon cher ami et collègue Michael Novak quand ma femme Catherine est allée lui rende visite à l’hôpital quelques jours avant sa mort. Plus tard, je me suis demandé pourquoi. Oui, en partie, c’était parce que nous étions tous les deux des philosophes marchant dans les pas de Socrate, et habitués, de ce fait, à penser à la mort comme un simple « mouvement vers ailleurs ». En partie aussi je voulais lui signaler que je partageais sa vibrante foi chrétienne, et l’idée que dans la mort, la vie est « changée, mais pas terminée. »

Mais j’ai réalisé que la raison la plus profonde était que nous étions passés tous les deux par la mort ensemble déjà trois fois. Le passage de ce côté à l’autre nous était familier, et faisait partie de notre amitié.

Je veux parler de nos méditations sur le « Rêve de Gerontius » du Bienheureux Henry Newman, dans un cours sur « La renaissance intellectuelle catholique au 20° siècle », que j’ai eu la chance de donner avec Michaël Novak à l’université Ave Maria.

Nous passions deux semaines entières sur Gerontius. Tout d’abord, nous faisions alternativement une lecture dramatique complète du poème, suivie d’une discussion. Ensuite, nous assistions avec la classe à la performance de Sir Edward Elgar dans le magnifique oratorio dont le poème est le livret. (Novak aimait beaucoup l’interprétation de Daniel Barenboim avec le philarmonique de Berlin). Cela représentait huit heures de réflexion très intense, épuisante sur Gerontius sur son lit de mort, et finalement sur son passage vers le trône de Dieu, conduit avec tendresse par son ange gardien.
Un professeur a dit un jour avec sagesse que la vraie tâche de l’enseignement est de faire remarquer ce qui est beau et vrai et de dire : « Regardez ! »

Michael croyait que le simple fait de faire remarquer aux étudiants, ces œuvres que la plupart des élèves de premier cycle ignoraient, était leur rendre un immense service. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait l’habitude à la fin d’une discussion de recommander un livre. Comme l’a remarqué un étudiant : « C’était sa manière de continuer une conversation et de continuer à nous enseigner, même quand il ne pouvait plus être présent avec nous. »
Mais supposons que ces choses belles et vraies se reflètent aussi sur le visage du professeur qui les fait remarquer. Je crois que c’est cela que les étudiants ont expérimenté chez Novak. « Je suis certain que le thème de Gerontius est quelque chose sur quoi Novak a profondément réfléchi, a écrit un étudiant. Je me sentais comme un enfant, essayant de comprendre quelque chose au-delà de moi, quelque chose que je comprendrais plus tard. »

C’était un enseignant blessé. Il portait sur lui des blessures d’amour à la suite de la mort de sa chère femme Karen. « Il ne se passait pas de jour sans qu’il proclame devant tous ceux qui écoutaient, la beauté, l’entrain, et la vertu de sa femme Karen Laub-Novak » a écrit un étudiant. Cet amour infusait dans toutes ses relations avec ses collègues et ses élèves. Dans la classe, il voulait surtout enseigner la charité. C’était le sujet qui le rendait le plus animé, le plus passionné.

Mais il aimait aussi parler des nuits noires de l’âme, et de la problématique de la souffrance humaine, se tournant à nouveau, l’âge venu, vers les auteurs existentialistes qui l’avaient beaucoup marqué quand il était jeune, surtout Marcel, mais aussi Camus. Il pensait qu’il était important de ne pas édulcorer la vie ou le christianisme.

Il en est résulté que lorsque j’ai demandé à une étudiante de faire un résumé de son enseignement, elle a écrit : « Il m’a appris l’importance de se sacrifier pour ceux qu’on aime. »

J’évalue grossièrement à 1/100 de l’enseignement de Novak, ce qui a eu lieu en classe. Le fait qu’il soit un membre fondateur d’Ave Maria peut expliquer qu’il soit allé habiter en Floride. Le déménagement avait aussi quelque chose à voir avec un besoin de se consoler par un changement d’environnement après le décès de Karen (et c’est très humain). Il a trouvé abondance de consolations dans les amitiés avec des collègues qui l’admiraient, et qui se réunissaient avec plaisir chez lui pour un dîner au pied levé, et avec des étudiants qui l’adoraient.

Il aimait beaucoup ses élèves. Il les félicitait, les encourageait, écrivait des lettres pour les recommander, leur trouvait des stages, les embauchait comme assistants, faisait la promotion de leurs carrières, et les invitait par groupes à passer des semaines avec lui dans sa maison de vacances dans le Delaware. Et surtout, il en faisait ses délices. L’une d’elles a expliqué :  « S’il vous trouvait belle, il vous le disait – et grâce à lui, toutes les filles d’Ave Maria savaient qu’elles étaient jolies. Il regardait les gens, surtout les femmes, comme si chacun était magnifiquement créé, et d’une valeur infinie, et son regard était profond, sincère, et quelque chose à quoi toutes nous aspirions. »

C’était un professeur et un ami disponible au sens de Marcel. « Il était toujours en train d’inviter des étudiants à dîner. Nous lisions ensemble de la poésie, regardions des films, buvions des Manhattans, et souvent ne faisions que bavarder. Un jour il est arrivé dans son chariot de golf au bistrot local, et m’a demandé ce que je voulais faire, et nous sommes restés assis à parler de tout et de rien. Il savait passer du bon temps et cultiver l’amitié » ai-je entendu dire un étudiant.

Et une autre : « Je savais que Novak avait fait de grandes choses dans le monde, mais n’avais jamais réalisé combien de personnes il avait atteint. Il était humble à propos de ses expériences ; il racontait des histoires comme un grand père, doucement et gentiment. J’avais l’impression d’être sa petite fille qui sait que son grand-mère a fait de grandes choses et combattu dans de grandes batailles à l’étranger. Et bien sûr, c’était le cas. Il était le meilleur. »

Pour moi, quand j’enseignais Gerontius avec Michael, j’ai remarqué comme il s’attardait sur les dernières lignes du poème et insistait pour que nous revenions en arrière et nous arrêtions de nouveau dessus, lentement. Ce sont les paroles de l’ange gardien de Gerontius :

Doucement, gentiment, âme chèrement rançonnée,

Je t’enlace maintenant dans mes bras très aimants

Et au-dessus des eaux de servitude, tandis qu’elles roulent,

Je t’incline, te dépose et te maintiens.

Adieu, mais pas pour toujours c frère chéri,

Sois courageux et patient sur ton lit de misère,

Vite, ici va passer la nuit de ton procès,

Et je viendrai et te réveillerai le lendemain.

20 Février 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/20/remembering-michael-novak/