L’Osservatore Romano du 30 mars titrait : « Que les armes se taisent et que commence le dialogue. » Ceci implique que le « dialogue » peut toujours remplacer les armes. Le statu quo est préférable au changement. Le présupposé est que le recours aux armes n’est en aucune façon calculé ou rationnel. L’expérience nous instruit souvent qu’avant qu’une discussion positive puisse s’engager, les armes ou la violence doivent être combattus par les armes ou la violence. Il serait étrange de penser que la nature humaine et l’histoire nous enseignent que tout ce que nous avons à faire est de déposer les armes et « dialoguer ». Et qu’ainsi tout irait pour le mieux. Il y a des ennemis pour lesquels le « dialogue » n’est pas un concept pertinent sinon un moyen pour atteindre leurs objectifs sans recours aux armes.
Benoît XVI, interrogé par une musulmane lors d’un entretien à la télévision italienne le Vendredi saint, a répondu : « La violence ne vient pas de Dieu et n’apporte jamais rien de bien ; c’est un instrument de destruction et non une voie pour éviter les problèmes. Le Christ parle hautement contre toute forme de violence » (ORE, 27 avril). Les bureaux de l’administration pontificale sont pleinement occupés à recommander des pacificateurs, la non violence et toutes sortes de dialogues.
Nous n’entendons à peu prés jamais parler de guerre juste ou légitime, ni même de mesures de défense contraignantes. Le Saint-Père a coutume de s’adresser aux corps de police du Vatican et d’Italie, aux aumôniers militaires, et bien entendu aux diplomates. Dans son discours de Ratisbonne, Benoît XVI avait souligné que les lieux de discussion et de dialogue devaient être protégés de toute violence pour pouvoir fonctionner. Toutefois cette condamnation quasi absolue de la « violence » me surprend. Elle demande à être précisée. On peut argumenter en faveur d’un usage des armes qui ne soit pas réductible à la « violence » au sens péjoratif.
Le récent tournant du discours ecclésiastique, qui pourrait souvent passer pour du pacifisme, me fait penser à la distinction opérée par Yves Simon (ndt : philosophe catholique français résident aux Etats-Unis, ami de Maritain) entre violence et coercition. Dans son ouvrage célèbre La philosophie du gouvernement démocratique, il souligne que le terme « violence » ne revêt pas toujours une connotation simplement négative. Il convient de distinguer entre les usages justes et injustes de la violence. « La « violence », écrit Simon, est parfois entendue comme synonyme de « coercition ». En ce sens, un policier qui arrête un cambrioleur commettrait un acte de violence. Chacun comprendra que ce type d’abus de langage doit être évité quand la terminologie se veut scientifiquement rigoureuse. Ce n’est pas l’agent de police qui est violent mais le cambrioleur. »
La violence et la coercition sont donc deux choses distinctes. La coercition est l’usage d’une force proportionnée selon les lois humaines, conformément au droit naturel. La fonction des policiers et des militaires est de déférer les criminels à la justice, et de prévenir toute « violence » qui n’est pas justifiée. Parfois, néanmoins, des citoyens ont besoin de se défendre par eux-mêmes contre des criminels sans l’aide directe de la loi. Ainsi pour l’essentiel de la « violence » du trafic de drogue. Ceci ne veut pas dire qu’il n’existe pas des cas où la police ou les forces armées ne puissent aller à l’encontre de leurs propres lois. Mais on ne saurait qualifier de « violence » un usage dûment validé de la force comme s’il était dépourvu de raison ou de cause.
La sous-estimation de la brutalité des criminels ou des idéologues modernes est une tentation permanente de l’esprit religieux. De nombreux chrétiens sont aujourd’hui tués ou persécutés parce que la police locale ne peut ou ne veut leur venir en aide. Nous voyons aussi beaucoup d’hommes qui pensent que la violence est autorisée par leur religion pour tuer les infidèles. Nous ne parlons que pour nous-mêmes. Nous parlons de liberté religieuse à des gens dont la définition même de la liberté religieuse est que chacun doit être musulman. Nous nous référons à des standards qui ne sont pas reconnus sauf, comme nous aimons à le dire, par le droit universel.
Nous en sommes souvent réduits à accepter de tels meurtres. Ils se produisent loin de nous. Nous devons reconnaître que nous sommes impuissants à les empêcher, que nous le voulions ou que nous le puissions. En tout cas, nous avons besoin d’une règle plus précise pour distinguer entre les efforts pour empêcher la violence injuste et la violence elle-même. Elles ne relèvent pas des mêmes catégories morales. A les confondre, on risque, me semble-t-il, de verser dans une impuissance politique qui ne ferait qu’aggraver la situation.
James V. Schall, s.j., est professeur à l’Université de Georgetown.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/on-the-word-qviolenceq.html