Suis-je le frère de l’enfant prodigue? - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Suis-je le frère de l’enfant prodigue?

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Lundi dernier, dans la soirée, sur le vol Chicago-Philadelphie, j’étais assis dans la pénombre, en pleines turbulences, et, figé par la peur, je me penchais sur la récente publication de l’interview du Saint-Père, à propos duquel plusieurs personnes dans ce numéro, et des milliers d’autres ailleurs, ont donné leur opinion. Du coup, je ne le lisais pas d’un œil neuf, mais plutôt à travers le prisme, non seulement du New York Times, mais aussi des commentaires de nombreux écrivains dont je respecte l’opinion, et par qui j’ai beaucoup appris, comme Royal Wiegel, Scalia, Wehner, Reno, Lopez, Dreher, et Garnette pour n’en citer que quelques-uns.

Comme certains d’entre eux, je ne me suis pas senti complètement satisfait du langage du Pape François. Certaines de ses paroles, comme celles qui suggèrent avec raison que notre théologie morale paraîtrait incohérente si on la séparait de son contexte anthropologique et salvifique habituel, ont été plus tard, ironiquement, séparées du contexte ecclésial selon lequel le pape François nous demande de comprendre que ses recommandations sont destinées à l’Eglise entière.

C’est, à mon avis, précisément ce qui s’est passé dans le compte rendu du New York Times, et dans les commentaires fournis par des croyants, catholiques et non catholiques, qui ont vu dans les paroles de François, sorties de leur contexte, une lueur d’espoir que la barque de Saint Pierre allait opérer une transition vers le rôle qui lui convenait , comme un dinghy sur le Titanic culturel du progressisme libéral. Apparemment, si John Mac Enroe devenait le journaliste religieux du  Times, nous verrions très vite les titres : « Le tennis mentionné dans la Bible ! » puisque après tout, le Livre de la Genèse dit bien que :  « Joseph a servi à la cour de Pharaon. » 1

Quoi qu’il en soit, j’ai commencé à me demander si le petit désagrément que j’éprouvais à la lecture du pape François — qui se manifestait chez moi par une réaction de défense, légère, mais viscérale — ne venait pas du fait que je m’accrochais à un style d’engagement culturel chrétien qui n’est plus celui que l’Esprit Saint appelle l’Eglise à pratiquer à ce moment de l’Histoire.

Bien entendu, comme d’autres l’ont souligné, il n’y avait rien dans les paroles du pape François qui soit en contradiction avec la théologie morale catholique moderne, bien au contraire. Comme le Christ envers la femme adultère (Jean VIII 1 – 11), le Saint-Père offre au monde un évangile de pardon et de réconciliation, message qui a été parfois volontairement submergé par les médias dont la volonté était de peindre l’image d’une Eglise qui se conforme aux préjugés propres à la culture et aux bigoteries populaires en ce qui concerne le monde catholique.

C’est pour cette raison que l’aisance avec laquelle le Saint Père est capable de faire évoluer le débat, révèle qu’il saisit parfaitement à quel point cette fausse image a été adoptée sans esprit critique par des personnes qui par ailleurs sont intelligentes. Il comprend aussi que la manière dont l’Eglise et ses membres s’expriment et se comportent parfois en public est présentée à travers un filtre peu charitable qui ne contribue pas à communiquer la « Bonne Nouvelle ».
Aussi, le succès du Pontife à attirer l’attention internationale à la fois sur la mission de l’Eglise, et sur les paroles de son principal évêque, est autant une conséquence de son génie que de la vanité du monde.

Ceux qui voient en François le pape «  qui ne juge pas » dont ils rêvaient, ne comprennent pas ce que c’est que d’être chrétien ni le vrai sens de la « bonne nouvelle » de Jésus Christ. Car François sait que quand il dit ou quand le Seigneur Jésus dit à un pénitent : « Moi non plus je ne te condamne pas, va et ne pêche plus », il ne dit pas que ce qu’il a fait n’est plus un péché. La réconciliation n’existe que parce qu’il y a eu séparation, de même que l’hôpital n’existe que par la maladie.

Ainsi, quand François offre l’Evangile au monde, — et par là même décrit l’Eglise comme un hôpital de campagne — son offre est ancré dans un jugement. Mais ce n’est pas son propre jugement. C’est, à travers les paroles du Christ, le jugement de l’Esprit Saint que notre Seigneur appelle « Le Consolateur » ; « Et Lui, une fois venu, établira la culpabilité du monde en fait de péché, de justice et de jugement. » (Jean XVI, 8)

Donc, si je réfléchis à ma première réaction face à des extraits de l’interview du pape, il faut que je considère la possibilité que ce soit moi qui me trompe, et non lui. Dans ce cas, je ressemble plus que je n’aimerais l’admettre au frère de l’enfant prodigue. Alors que mon père offre amour, vivre et couvert permanents à sa progéniture capricieuse, cela me dérange qu’il puisse en donner trop à quelqu’un qui par le passé n’a pas hésité à tirer un profit injuste de ses biens.
Alors, j’entends frapper gentiment à la porte de ma conscience les paroles que le Christ a mis dans la bouche du père de l’enfant prodigue, « mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à toi est à moi. Mais il fallait se réjouir et faire la fête car ton frère était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. » (Jean XV 32).

Francis J. Beckwith, professeur de philosophie et d’études écclésiales.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/am-i-the-prodigal-sons-brother.html

  1. NDT : Jeu de mots impossible en français du fait du genre des mots : le court de tennis, et la cour du roi… La phrase anglaise pourrait se traduire : «  Joseph a fait un service sur le court de tennis de Pharaon » (Gen. 41 : 46)