En décidant, après un vote expéditif au Sénat, d’avancer le calendrier législatif en renvoyant dès cette semaine l’examen du projet de loi en faveur du mariage homosexuel devant l’Assemblée nationale pour un vote tout aussi expéditif, le gouvernement incite au déplacement du débat dans la rue et contraint les organisateurs de « La Manif pour tous » à avancer leur manifestation du 26 au 5 mai prochain. Certains s’en étonnent ou s’en inquiètent car cette date est celle qui a déjà été retenue par le Front de gauche pour organiser sa marche citoyenne contre l’austérité et pour l’avènement de la VIe République.
Il est vrai qu’on voit mal les partisans de Jean-Luc Mélenchon faire cause commune avec les opposants au mariage homosexuel dans un grand défilé conjoint. En revanche, les deux cortèges distincts, sans jamais se fondre, pourraient bien dire plus de choses concordantes qu’on ne saurait le croire à première vue.
Tout d’abord, et c’est bien là l’essentiel, les deux courants sont opposés à l’idéologie libérale libertaire que l’actuel gouvernement incarne jusqu’à la caricature. Cette idéologie, dont les partisans sont aussi qualifiés de « bobos » pour bourgeois bohèmes, est fondée sur le culte sans retenue de l’individualisme hédoniste qui lui fait apprécier, dans un même élan, le capitalisme le plus sauvage et les mœurs les plus débridées, l’un et l’autre s’affranchissant de toute règle, qu’elle soit morale ou collective.
Mais, au-delà de l’idéologie qui les sous-tend, sont pointés les mêmes maux qui affligent la société.
En défilant contre l’austérité, les sympathisants du Front de Gauche veulent dénoncer une politique économique davantage libérale que socialiste et qui s’accommode, bien plus qu’elle ne la subit, de la mondialisation, avec sa longue liste jamais close de fermeture d’usines et le niveau de chômage, inégalé à ce jour, qu’elle génère. Or, il est fort probable que les participants de « La Manif pour tous », qui avaient déjà durci leur discours le 24 mars dernier, reprendront à l’envi leur slogan: « On veut du boulot, pas du mariage homo ».
Pour autant, on sait bien que la motivation principale de ces derniers est néanmoins d’un autre ordre, en défendant, à travers l’institution du mariage, une certaine idée de la morale. Ce mot, presque tabou il y a peu, refleurit en ce printemps à travers l’appel à la moralisation de la vie publique. Et les amis de M. Mélenchon, indépendamment des revenus confortables prêtés à celui-ci, ne sont pas les derniers à clamer cette exigence désormais inscrite dans le programme de leur manifestation du 5 mai. De fait, on sait bien que la faillite de la morale publique est la conséquence inéluctable de la perte de la morale individuelle.
En s’opposant, chacun à leur manière et avec toute les nuances qu’il faut avoir soin d’y apporter, au libéralisme et libertarisme conjugués, les participants aux deux défilés du 5 mai s’adresseront au pouvoir pour lui demander un sursaut. Qu’il s’agisse d’économie ou de société, c’est bien une réponse politique qui est réclamée. Aux tenants de la dérégulation, il est requis de poser les règles qui sont autant de repères dans un monde qui en manque cruellement. A ceux qui s’en remettent si facilement aux forces du marché bien relayées par les diktats de la Commission européenne en faveur de la concurrence la plus libre, il est exigé une action volontariste pour encadrer les forts et protéger les faibles. Aux récalcitrants aux institutions porteuses de sens, surtout quand ils refusent d’y entrer eux-même, il est demandé de ne pas en dénaturer la portée et le contenu.
Plus qu’au gouvernement et à la majorité parlementaire, c’est au chef de l’Etat que ce discours s’adresse: il est temps qu’il sorte de sa position attentiste pour montrer que, bien loin d’attiser les fractures, il est le garant de l’unité nationale.