Que retenir de Vladimir Ghika ? Quel mot le définirait le mieux ?
Mgr Philippe Brizard : La charité, sans aucun doute. Non pas la charité telle qu’on l’entend aujourd’hui, l’action sociale, mais la vertu théologale, une charité apostolique dont la source est l’Eucharistie. Son ancrage, c’est la messe, sacrement par excellence du mystère de la Rédemption. « La racine de la charité, dit-il, se trouve dans la messe et la communion. » Il a des mots magnifiques pour résumer sa foi : « La tâche de la charité, universelle et sans heure fixe, n’est que la dilatation de la messe à la journée et au monde entier. » Pour lui, la charité est l’élément central de l’apostolat, elle évangélise. Ce qui le guide, c’est le service du prochain – on dirait aujourd’hui l’option préférentielle pour les pauvres – : « Je serai avec eux tous les jours, non en étranger mais en ami et en frère, comme un des leurs. » Cet abandon est d’autant plus remarquable qu’il est né prince !
Au point qu’il en tire, dites-vous, une « théologie du besoin »…
Oui, et une « liturgie du prochain ». Il voit le Christ dans la misère d’autrui, pas seulement dans l’acte charitable. Par la charité, pratiquée par amour et avec humilité, le Christ bienfaiteur rejoint le Christ souffrant pour se « réintégrer » dans le Christ victorieux, glorieux et bénissant. Aujourd’hui, en réduisant la charité à la solidarité, on oublie l’essentiel : on agit pour l’amour de Dieu, et par son amour. L’Église n’est pas une ONG. Comme le disait le Père Rousselot, jésuite, tué aux Éparges en 1915, il faut avoir « les yeux de la foi », et non pas un regard aseptisé, sécularisé, neutre. Il faut tenter de voir comme Dieu voit. Ce devrait être le fond de notre prière.
Cette charité, Vladimir Ghika va la mettre en pratique.
Oui, car notre Dieu n’est pas un dieu en surplomb. Ghika a la chance aussi de rencontrer une Fille de la Charité remarquable entre toutes, Sœur Pucci. Avec elle, il crée d’abord un dispensaire à Bucarest, puis l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Il se met au service des malades, des blessés de la révolte paysanne de 1907, des réfugiés atteints du choléra, des lépreux qui l’impressionnent beaucoup. Il est l’humble disciple de Monsieur Vincent, son maître en service du prochain.
Sa famille est orthodoxe, il se convertit au catholicisme, malgré les réticences de sa mère. Pourquoi ?
Sa mère était foncièrement orthodoxe, en effet. Elle souhaitait que son fils demeure dans l’Église orthodoxe… mais elle lisait aussi l’Imitation de Jésus-Christ et les Sermons de Bossuet. Il faut aussi souligner que d’autres princes Ghika s’étaient convertis au catholicisme au siècle précédent, au XVIIIe siècle.