Secret des hommes, secret des dieux - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Secret des hommes, secret des dieux

Henry Quinson a été le « conseiller monastique » du long métrage « Des hommes et des dieux » consacré aux moines de Tibhirine, qui a bouleversé 3,2 millions de spectateurs en France et concourt pour onze nominations aux prochains Césars. Il a refusé toutes les conférences autour du film en 2010, préférant le silence d’une vie ordinaire et son travail d’enseignant à Marseille. Il reprend la parole au printemps avec la publication de son dernier ouvrage, « Secret des hommes, secret des dieux », préfacé par le réalisateur Xavier Beauvois. Ce livre, publié le 3 mars, raconte et analyse cette aventure humaine et spirituelle peu commune.
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Pourquoi avez-vous été appelé sur le tournage du film ?

Henry Quinson : Le réalisateur Xavier Beauvois est un passionné de documentaires. Il en regarde souvent plusieurs par jour. Il voulait travailler avec un « conseiller monastique » capable de l’aider à être le plus proche possible de la réalité des moines de Tibhirine. Il m’a expliqué que mon expérience de cinq ans à l’abbaye de Tamié (de 1989 à 1995) permettrait de répondre aux questions de mise en scène qui déjà le taraudait. Le fait d’avoir connu quatre des frères assassinés aiderait les acteurs à entrer dans leurs rôles. Je serais aussi utile pour les décors puisque j’étais allé à Tibhirine où j’avais pris de nombreuses photos de détails en 2006. Enfin, il m’a avoué avoir été impressionné par la mine de renseignements contenus dans l’enquête de l’Américain John Kiser que j’ai corrigée, traduite et mise à jour dans sa version française à l’occasion du dixième anniversaire de la mort des frères. Il a également apprécié mon ouvrage sur la mystique de Frère Christophe 1.

Les entretiens accordés par Lambert Wilson ou Xavier Beauvois ont été décevants pour les chrétiens. Ils ne disent pas grand-chose de leur film. C’est sans doute la raison pour laquelle Xavier Beauvois n’a pas mis de véritables « making-of » dans son DVD ?

Quand Lambert Wilson explique dans la presse que la scène où Christian de Chergé prie devant la dépouille du chef terroriste qui l’a menacé le 24 décembre 1993 est une « situation d’amour absolu », moi qui suis chrétien, je ne suis pas déçu ! Quand Xavier Beauvois constate dans la revue de cinéma Première que « les moines sont des hommes libres, égaux entre eux et avec leurs voisins » et que « c’est intéressant de mettre la société en perspective à travers le regard de ces moines », je dis : « Bravo ! » L’Évangile est de retour dans les milieux artistiques français ! Le Christ interroge notre société matérialiste et égoïste !

L’absence de bonus dans le DVD n’a rien à voir avec un éventuel décalage entre l’équipe du film et la spiritualité des moines de Tibhirine. Il s’agit de pudeur : Xavier Beauvois, Lambert Wilson et tous les acteurs ont été bouleversés par cette aventure. Xavier Beau­vois a préféré que cette histoire soit racontée avec sérieux et respect dans un livre à paraître le 3 mars, juste après les Césars. S’il a accepté de préfacer cette chronique spirituelle, c’est qu’il est vraiment « tombé amoureux » des frères de Tibhirine, comme il l’a toujours dit. « Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé, » explique Jésus aux Douze (Mt 10, 40). En accueillant les frères de Tibhirine, en m’associant de A à Z à son travail de réalisateur en qualité de disciple de Jésus Christ, Xavier Beauvois a accueilli le Seigneur des frères de l’Atlas.

Qu’ajouter de plus ? Je raconte toutes les étapes par lesquelles l’Esprit saint a soufflé sur ce film, sans trahir les confidences trop intimes des uns et des autres.

Les acteurs se sont donc identifiés aux moines beaucoup plus que ne l’ont dit les critiques ?

Difficile d’expliquer ce dont je témoigne dans un récit de trois cents pages ! Lambert Wilson, par exemple, a dû écrire de sa propre main le testament de Christian de Chergé.

Je lui ai donné pour modèle la reproduction du document manuscrit de Christian. Lambert est devenu pensif : « C’est incroyable comme cet exercice est émouvant. Écrire de ma main ce que Christian a rédigé il y a seulement seize ans, avec tant de conviction, de foi… Il y a chez Christian ce sentiment si fort d’une mission… Son amour de l’Algérie est presque obsessionnel… C’est ce que j’ai le plus de mal à comprendre. Il a cette conscience aiguë du danger et en même temps comme une tentation du martyre, une tentation de la sainteté… »

L’acteur se heurtait à la profondeur de celui qu’il devait incarner. Il a fini par lui adresser « une forme de prière » ! J’ai été frappé par la convergence du propos des acteurs. Philippe Laudenbach m’expliquait la même chose : « Être Frère Célestin plutôt que chercher à lui ressembler. » Comment exprimer la vie spirituelle quand on est acteur ? J’étais moi-même un peu perdu : je ne distinguais plus la frontière entre les acteurs et les hommes, entre les hommes et les personnages, entre les personnages et les vrais moines de Tibhirine.

À mon avis, c’est cette espèce d’osmose entre les acteurs et les moines, entre les vivants d’ici-bas et les vivants de l’au-delà, qui a frappé les spectateurs. Comment l’Esprit imprime-t-il sa marque sur une pellicule ? C’est un grand mystère !

Michael Lonsdale semble avoir été un élément moteur dans l’ambiance sur le tournage. Il a monté en puissance dans sa qualité de témoignage…

Non, Michael a été largement dépassé par Xavier Maly pour l’ambiance sur le tournage ! L’atmosphère était incroyablement fraternelle, de l’aveu des acteurs. Au début je me suis dit que cela devait être toujours comme ça dans les tournages. Puis, j’ai pensé que ces acteurs exagéraient, que le soufflé allait finir par retomber. Mais je constate le contraire : les liens d’amitié se poursuivent alors que je ne représente rien dans le cinéma français ! Michael avait un rôle en or et n’a eu guère de difficulté à devenir frère Luc, le convers médecin. Lui aussi m’a bien expliqué qu’il n’interprétait pas un personnage mais incarnait un témoin de la foi.

Bien sûr, il partage comme moi cette foi et n’hésite pas à prendre la parole lors de projections du film. Mais tous les acteurs ont participé à des débats. Ils ont été saisis par la profondeur du lien avec les spectateurs : ils ont été transcendés par leurs rôles et finalement dépassés par la Transcendance !

Et vous, qu’est-ce que vous a apporté ce tournage ?

Comme je l’explique dans mon livre, dès l’été 2007 j’avais le projet d’un film sur les frères de Tibhirine. Au mois de mars 2009 j’ai présenté cette idée à l’un de mes amis producteur de cinéma. Il m’a expliqué que je n’étais pas scénariste professionnel et que sept moines qui se faisaient assassiner, ce n’était pas très « vendeur ». Deux semaines plus tard, j’ai découvert dans ma boîte mail un message d’Étienne Comar, producteur de cinéma, qui me demandait ce que je pensais d’un projet de film sur les moines de Tibhirine ! J’ai d’abord cru à une blague de mon ami rencontré quinze jours plus tôt. Mais ce n’était pas une farce. J’y ai vu un appel de Dieu. Mais il fallait le vérifier, discerner. Ma première rencontre avec Xavier Beauvois a été décisive. Il m’a prévenu : « Je vis chaque film comme une aventure. C’est la raison pour laquelle les gens aiment bien tourner avec moi : ils n’ont pas juste participé à un film, ils ont vécu quelque chose de fort, un peu rock’n roll. » Il a ajouté : « Certains films ont une âme. »

Je croyais Xavier agnostique. Les artistes qui doutent croient-ils que les films ont une âme mais que l’existence de Dieu est sujette à débat ? De quel Dieu parlons-nous ? C’est une des grandes questions que je soulève dans mon livre. Pour l’heure, j’entrevoyais un amour sincère envers les moines. Je ne me suis pas trompé. Xavier Beauvois m’avait annoncé : « Moi, je ne sais que travailler avec la lumière : la capter pour la projeter. On va faire briller la lumière des frères dans le monde entier comme les étoiles dans le ciel ! » Ambition démesurée ou souffle de Pentecôte ?

J’avoue que je n’en reviens toujours pas : tout s’est terminé dans la salle Louis Lumière par le chant de l’hymne Ô Père des lumières. Grand Prix du festival international de Cannes le dimanche de Pentecôte, quatorze ans jour pour jour après la publication du testament spirituel de Christian de Chergé ! Voilà ce que ce film m’a apporté : la lumière de Paul, Christophe, Christian, Célestin, Luc, Michel et Bruno. Ils sont bien vivants ! La Bonne Nouvelle s’en va jusqu’au bout du monde : plus de cinquante pays sur les cinq continents. Mon rêve est devenu réalité. C’était celui d’Étienne Comar et de Xavier Beauvois. C’est devenu celui de toute une équipe. Immense célébration universelle d’un amour sans frontières !

Je suis sûr aujourd’hui que c’était le projet complètement fou des frères et le plan si délicat de Dieu. La neige et la nuée arrivées juste au bon moment et pour seulement vingt-quatre heures m’en ont donné l’intime conviction : le Ciel a béni ce film. Frère Jean-Pierre, le rescapé de Tibhirine, l’a bien résumé dans le Figaro Magazine du 5 février 2011 : « Ce film est une icône. C’est une vraie réussite, un chef-d’œuvre. » L’écriture du livre Secret des hommes, secret des dieux m’a permis de dénoncer les faux dieux qui menacent la justice et la paix dans le monde d’aujourd’hui et de rendre grâce au Seigneur de l’amour désarmé et libérateur qui, à chaque génération, se fait connaître de mille manières. Telle est la responsabilité du disciple. Telle est la joie des aventures que le Ciel nous appelle à vivre.

  1. Henry Quinson, Prier 15 jours avec Christophe Lebreton,
    Nouvelle Cité, 2007.