Quand on se trouve à Rome près des thermes de Caracalla, commence la Via Appia, construite en 350 avant Jésus-Christ pour relier la capitale du monde romain à la ville de Brindes, devenue Brindisi – port le plus important vers l’Orient ou vers l’Afrique.
C’est à Brindes qu’est mort Virgile qui, dans ses Bucoliques, fait dialoguer deux bergers. L’un, Mélibée, fuit en poussant devant lui ses moutons, dans la condition la plus terrible de l’époque, ou peut-être de toutes les époques, celle du migrant : « Nos patriam fugimus » – Nous fuyons la patrie. L’autre, Tityre, mollement assis au pied d’un hêtre, improvise sur son pipeau un air à sa belle Amaryllis. Mélibée l’interroge sur l’origine de ce bonheur et Tityre lui répond : « Urbem quam dicunt Romam » – La Ville qu’on appelle Rome. Cette cité que le berger assimile à un dieu lui a en effet apporté la paix et la liberté, en même temps que la tranquillité de l’ordre, et donc, la prospérité. Il invite le fuyard à partager son repas fait de fromages frais et de châtaignes molles. Tels sont les bienfaits que Rome a apportés à Tityre mais aussi à l’Univers et c’est par ses routes, dont la Via Appia est la reine, Regina viarum, qu’ils se sont propagés.
Préposée à gouverner le monde
En l’an 65 après Jésus-Christ, Paul de Tarse, venant de l’Orient, a remonté cette voie le long de laquelle on trouve les catacombes des premiers chrétiens. Paul après Pierre, et avec lui, ont fait de Rome la capitale de l’Église et, par là même, la capitale du nouveau monde – « caput mundi ». C’est un mystère que cette destinée de Rome. Jérusalem aurait eu plus de titres religieux si elle n’avait pas rejeté la Révélation. Athènes aurait eu plus de titres intellectuels si elle n’avait pas cédé à l’orgueil de son intelligence en se moquant de Paul quand il vint annoncer la Résurrection du Christ à l’Aréopage. Pourtant, la langue grecque était la langue courante de la civilisation et c’est en grec que Pilate, le Romain, et Jésus, le Nazaréen, ont dialogué au matin de la Passion. Rome n’a eu que le privilège d’avoir obéi à sa vocation de préposition au gouvernement de l’Univers, comme le lui rappelait Virgile dans l’Énéide : « Memento Roma » – Souviens-toi, Rome, que tu as été faite pour gouverner le monde.
Missionnaires de l’Évangile
Dans son Discours sur l’histoire universelle, Bossuet fait observer que la Révélation a attendu cet apogée de Rome qui a permis que les missionnaires de l’Évangile aillent baptiser toutes les nations en épousant ses voies terrestres et maritimes. Ainsi, Rome manifeste que le surnaturel a voulu dépendre du temporel comme l’âme dépend du corps. Le message de l’Évangile a été mis sous la protection du « lourd légionnaire romain » qui, comme le dit encore Péguy, a mesuré l’espace de terre où non seulement fleurissent Platon, Aristote et Virgile mais aussi les prophètes et le Nouveau Testament. Rome a hérité de Jérusalem et d’Athènes, et ce sont Pierre et Paul qui ont transféré cet héritage.
Depuis le lundi de Pâques mais plus encore depuis le mercredi 7 mai, le monde entier a les yeux rivés sur la colline du Vatican. Le plus petit État du monde était pourtant réputé sous l’Empire pour son mauvais air et servait de nécropole. Caligula puis son successeur Néron décidèrent d’en faire un lieu de spectacle destiné aux courses : « Du pain et des jeux » mais aussi des spectacles sanglants. Cette appétence des Romains, de l’empereur aux esclaves, pour ces exécutions fut la face sombre de cette grande civilisation… C’est donc dans le cirque de Néron que Pierre fut crucifié et c’est dans le sang de tous les martyrs que l’Église fit la conquête de la ville éternelle.