« Le pape, combien de divisions ? » La question narquoise posée par Staline à Laval en 1935, lorsque ce dernier l’invitait à mettre fin aux persécutions religieuses en URSS, vient encore de trouver une réponse magistrale ce 26 avril, 90 ans après. Certes, le plus petit État du monde ne dispose avec ses admirables gardes suisses que d’une force armée minime, mais sa puissance est inouïe. Si l’on se contente d’une seule analyse temporelle de l’événement que furent les obsèques du pape, ce qui serait assurément réducteur, il n’est pas absurde de considérer que le monde entier a assisté à une démonstration définitive du « soft power » de l’Église, d’autant plus impressionnante qu’elle n’était qu’involontaire, tout au long de ces cérémonies destinées avant tout à accompagner la dépouille de François et à prier pour le salut de son âme.
Démonstration d’unité
L’Église est sublime lorsqu’elle est unie. Tous ces prélats venus du monde entier, représentant 1,4 milliard de croyants, unis par le rouge cardinalice, la langue latine et bien sûr le deuil partagé, l’ont rappelé avec force place Saint-Pierre. Cette démonstration d’unité, sous le regard de Dieu et sur le tombeau de Pierre, porte avec elle un message radical : s’il demeure illusoire d’atteindre ici-bas la paix perpétuelle chère à Kant, ne serait-ce qu’en raison du péché originel ancré en chaque homme, il reste possible d’y tendre, à condition d’emprunter la voie de l’humilité chrétienne. Car toute la pompe déployée le 26 avril, rappelons-le, n’est qu’une façon d’honorer le Créateur de la plus belle des façons, et donc de reconnaître en creux la petitesse de ses créatures. De fait, il faut croire que cette magnifique impression a profondément marqué l’assistance, à commencer par certains de ses membres les plus en vue : Donald Trump et Volodymyr Zelensky.
« Miracle »
La scène a stupéfié le Huffington Post (27/04), pourtant peu suspect d’indulgence à l’égard de l’univers chrétien : « Comme frappés d’un miracle sacré, le président américain et son homologue ukrainien ont mis leurs rancunes de côté et se sont retrouvés assis face à face dans une sorte de nulle part vaticanesque au sein de la basilique Saint-Pierre. Installés sur un dispositif de fortune, composé uniquement de deux fauteuils rouges, ils ont échangé durant quinze minutes », écrit ainsi la journaliste Inès Chaïeb. Dans Le Journal du Dimanche (27/04), c’est encore le mot « miracle » qui surgit sous la plume de Jules Torres, impressionné par ce sommet improvisé, « comme si le dernier miracle du pape François avait été d’arracher, au pied de son cercueil, quelques bribes d’espérance pour un monde en guerre ». Jolie formule qui laisse entendre que le Saint-Père avait déjà accompli d’autres miracles, ce qui est sans doute hâtif ! Mais le sens est clair.
« Semaine cruciale »
L’enthousiasme que purent susciter ces images magnifiques doit cependant être tempéré. Au sein de l’Église, le conclave sera probablement le théâtre d’inévitables combinazione, telles qu’elles existent depuis des siècles. Quant aux conflits, à commencer par la guerre en Ukraine, ils ne devraient hélas pas s’interrompre du jour au lendemain : alors même que se déroulaient les obsèques, Moscou se félicitait par communiqué de la reprise complète de la région de Koursk. Néanmoins, ce 28 avril, Washington annonçait une « semaine cruciale » pour les négociations dans le conflit russo-ukrainien. Alors qui sait ?